A la place du mort de Paul Baldenberger

Un premier roman, un livre coup de poing, un livre magistral, un livre éreintant.

Alors qu’il attendait dans la rue celle qui était l’objet de ses premiers émois amoureux, un garçon de douze ans est enlevé sous la menace puis violé à l’arrière d’une voiture dans un parking souterrain. L’auteur ne nous épargne aucun détail dans ce récit où s’entremêlent dans un même souffle ces trois heures qui feront tout basculer et les années de son enfance et celles qui suivront.

Au-delà de l’évènement épouvantable autour duquel s’articule tout le récit et qui pourrait en lui-seul rebuter les âmes trop sensibles, nous assistons à un véritable voyage intérieur de cet enfant devenu adulte.

L’écriture fluide nous tient en apesanteur et nous étreint tout à la fois, dégageant une puissance qui nous laisse pantelants et vidés une fois le livre refermé.

J’ai eu l’impression de me voir dans cet adulte qui opère une véritable relecture de sa vie, et les mots qu’il utilise sont ceux que j’aurais aimé écrire si j’avais pu les accrocher avec tant de limpidité :

« Cette attitude-là, derrière une vitre, immobile, l’esprit en surchauffe, observant le monde, c’est celle de mon enfance (…) trop éloigné du réel pour qu’une remarque soit utile. (…) J’ai mis beaucoup de temps à m’apercevoir que je vivais dans deux mondes (…) me donnant une épaisseur dont je ne fais rien (…) le monde est différent, on est différent, les relations avec les autres sont différentes lorsqu’on voyage seul, (…) ce moment inaugural de ma vie où je suis devenu moi, où je peux être sans chercher à plaire, sans me conformer à une attente, à un désir, une volonté qui ne seraient pas les miens (…) une âme tendre et flottante (…) attendant d’être impressionné. Une vérité peut en cacher beaucoup d’autres, plus difficiles, plus sombres, infiniment plus mélancoliques mais il ne faut surtout pas le dire, ou alors par petit bout et sans lien entre les différents morceaux pour que personne, surtout, n’ait une vision globale : ne pas parler de ma grande solitude intérieure, (…), ma capacité de caméléon à endosser tous les rôles, tous les personnages pour cacher le vide béant  au cœur, mon hypersensibilité qui tend à l’insensibilité, la lucidité sans affect que je cache derrière un cynisme un peu mondain et provocateur. (…) Est-ce -que le fait de craindre quelque chose est suffisamment fort pour aboutir à la suite de causes et d’effets qui, emboîtés et s’enchainant dans une mécanique fatale, font surgir dans le réel ce que notre imagination redoutait ? Derrière tout cela je le sais, il y a la question de la culpabilité : si ma peur est auto-réalisatrice, alors je suis coupable d’avoir eu peur, et responsable de ce qui m’est arrivé (…), une façon de s’approprier l’évènement et son retentissement.  (…) Au moment où l’on s’y attend le moins, au moment où on les croit tenues à une distance respectueuse de sa vie, elles viennent frapper au carreau les trois petits coups secs qui me rappellent à elles, (…) un état limite où je ne peux me maintenir longtemps (…), un sauve-qui-peut mortel où je m’en suis toujours sorti jusqu’à présent par une main, un sourire, une pensée qui me libère ».

Un livre magnifique, dur mais époustouflant, où la poésie et la vie croisent l’horreur, en un chant ininterrompu où le fracas d’une vie devient la source de ce qui l’a magnifiée.

Un livre que j’aurais aimé écrire …

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2 réponses
  1. Paul Baldenger
    Paul Baldenger dit :

    Chère madame,
    Mon éditeur à bien voulu me transmettre vos commentaires sur mon livre… Que j ai écrit sous pseudonyme comme vous pouvez le voir. Moins par volonté de cacher mon identité que par souci de séparer mes activités officielles de mon travail d écrivain.
    Vos mots me touchent et je suis heureux que vous ayez trouvé dans ces pages des sentiments fraternels. Elles sont sorties sans volonté de faire oeuvre guidées par une sorte d urgence vieille de 30 ans. Je ne suis efforcé d être le plus sincère possible de ne rien cacher ni travestir, de me tenir au plus juste de ce garçon de son enfance entre ombre et lumière, de l adulte ou plutôt des adultes qu il est devenu. J ai voulu faire de l intérieur ce que les journalistes font de l extérieur quand il raconte un fait divers. Car après tout un enlèvement et un viol sont des faits divers…. Une rubrique fourre tout où on met ce que la vie tout court peut produire de plus surprenant. J ai voulu écrire un fait divers total en y englobant toute une vie. Je suis heureux que ces pages vous aient touchés. On n’écrit je crois que pour partager. Et lire que ce partage est devenu réalité est le seul critérium du succès.
    Merci à vous pour vos commentaires et le partage sur vous avez bien voulu enfaite sur Facebook
    Bien à vous

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  2. Gustave
    Gustave dit :

    Chère Elvire,
    Ce billet est sans aucun doute la porte d’entrée de votre âme. Le lire et le relire indispensable pour déceler cette part secrète de votre être foisonnant, qui se dévoile avec pudeur dans ces mots magnifiques.

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