Merci qui? Merci Daddy

« Ce qui fait que les grands-pères s’entendent aussi bien avec les petits enfants, c’est que, pour ces derniers, la vie n’est pas encore assez sérieuse et que, pour les aïeuls, elle ne l’est plus autant. Tristan Bernard »

Parler de son père quand on est sa fille est certainement un des exercices les plus difficiles, surtout quand on est doté d’un père multiforme, aux facettes diverses, au caractère affirmé et d’une richesse  et densité intellectuelles d’une si grande ampleur que le définir serait déjà le limiter.

Je me garderai bien d’en faire un portrait, même si je pense que ce serait certainement ma plus belle déclaration d’amour, étant tous deux des pudiques maladifs des sentiments, mais mon côté exalté à l’écrit le mettrait sur un piédestal et laisserait penser à tort que je n’ai pas coupé le cordon ombilical. Je sais par ailleurs d’avance que mes frères et sœurs ne verraient pas le même père.

Ce qui au fond n’est pas tout à fait faux, car quand je vois ma sœur de 13 ans ma cadette faire des selfies avec lui, je me demande réellement si on a le même papa. Mon papa à moi n’est pas à un papa à selfies, et je crois que cela ne me viendrait même pas à l’idée. Mon papa à moi épluche les livres que je lis, et me les trie en me disant « ça c’est bien (ouf), ça bof (grrr..), ça à la limite (bon…), ah ça je ne connais pas, mais je le lirais bien (triomphe, joie absolue intérieure) ». La coupure du cordon ombilical est manifeste quand en dépit du « bof », j’ose écrire tout de même le billet.

Si j’avais dû dresser un portrait de mon papa, j’aurais forcément parlé de lui assis dans sa bibliothèque en train de lire ou d’écrire. Je ne l’aurais pas décrit en train de taper la carte, jouer aux jeux de société, cuisiner ou se déhancher sur de la musique endiablée. Là-dessus, il y a unanimité familiale et absence de controverse.

Je ne l’aurais pas imaginé non plus garder seul ses petits-enfants, et de surcroit en dehors de sa si chère demeure périgourdine.

Et pourtant, cette première semaine de vacances scolaires où je me suis retrouvée sans solution pour faire garder mes enfants, et qu’en désespoir de cause j’envoie un timide mail à mon papa en lui disant « est-ce qu’une semaine à Paris, chambre indépendante, avec tes petits-enfants et repas préparés te tente ? » et qu’il a dit  » oui, ma fillotte »,j’ai chaussé mes lunettes pour m’assurer que j’avais bien rédigé ma demande, qu’il l’avait bien comprise, et que j’avais bien lu une réponse positive.

J’ai dû m’assoir et me ventiler, tant j’ai cru défaillir de surprise dans un premier temps et de joie dans un second. Si ce n’est pas un acte d’amour cela, je ne m’y connais pas.

Donc, par un fait absolument extraordinaire que je pourrais qualifier de surnaturel, mon papa s’est transformé le temps de quelques jours en nounou parisienne. La preuve que son portrait aurait été incomplet.

N’allez pas croire cependant qu’il a amené mes enfants au parc Disney, à la piscine, ou faire de l’accrobranche, il ne faut pas non plus exagérer. J’ai parlé de miracle, pas de mutation génétique.

Avec bon-papa, on se promène au square, on visite des musées (le si beau musée Nissim de Camondo) ou la Chapelle Expiatoire, on regarde des films (la vie de Louis XV, la vie de Sissi, la vie de Juan Carlos, la vie d’Albert de Monaco, la vie d’Eugénie …), on rencontre des Chevaliers (du Saint Sépulcre, pas avec des armures et des épées mon chéri …), on marche pendant des heures qu’il vente ou qu’il pleuve dans Paris (maman, bon-papa ne sait pas se repérer dans le métro …), on rejoint maman le vendredi midi dans son quartier professionnel pour découvrir l’église où elle va et déjeuner avec elle (oh surprise, bon-papa prend encore une entrecôte avec des frites … bon-papa, il ne mange jamais les légumes de son assiette, je peux finir les tomates ?).

Et le soir, avec bon-papa, on attend avec impatience que maman rentre, dans un appartement parfaitement rangé car bon-papa est très très ordonné, et on espère que les tontons vont passer car les tontons on les adore et ils font beaucoup rire.

Voir son papa attendri et gâteux devant ses petits-enfants, c’est éblouissant.

Bref, mon papa, je vous ai déposés tous les trois à la gare ce matin le cœur bien lourd, toi rentrant chez toi et les enfants partant chez leurs autres grands-parents, et je n’ai pas su te dire merci à la hauteur de ta présence et de l’immense service que tu m’as rendu.

Un seul mot : tu reviens quand tu veux !

 

8 réponses
  1. danielle
    danielle dit :

    particulièrement émue… L’annonce de la maladie de mon papa m’a plongée depuis quelques temps dans un océan de sentiments difficiles à prévoir ou contrôler. Je cherche depuis, les mots, mais l’écriture ne me vient toujours pas, je suis privée de mots. Votre texte m’en a donné , et qui plus est, des mots qui nous ressemblent, à moi, à lui, à nous. Merci

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  2. Clo
    Clo dit :

    Hihi, j’adore ce billet ma Douce ! Daddy Chou nous surprendra toujours. Il s’adapte merveilleusement bien aux personnalités si différentes de ces filles chéries !

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  3. Etienne
    Etienne dit :

    Chère Elvire,
    Je serai bref : par ce billet, vous touchez le coeur d’un autre grand-père qui, pour n’en pas être encore à garder deux petits-enfants incapables à ce jour de visiter un musée ou de le guider dans le métro, n’en a pas moins déjà goûté le bonheur de pouvoir, pour le premier (à deux ans), lui raconter des histoires ou lui chanter des comptines, et, pour la seconde, avoir eu récemment la joie d’en obtenir les premiers et précoces sourires (à deux mois), le tout en ayant modestement contribué au rangement d’un logement parental quelque révolutionné par l’arrivée d’icelle ! Vous transmettrez, si vous voulez bien, l’expression de mon amicale complicité à votre papa à qui je rends l’hommage de me précéder dans des expériences à venir dont je me réjouis par avance (les musées, le métro, etc.) !
    Fidèlement vôtre.
    Etienne

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