Va chemine et montre-toi

De ci, de là

Cahin-caha

Va ! chemine, va ! trottine

Va ! petit âne, va de-ci, de-là,

Cahin-caha, le picotin te récompensera.

« Vous ne vous montrez pas assez, vous êtes trop discrète. »

Toute en retenue me révèlerais-je, trop peu visible je serais.

Ce ne sont pas des qualificatifs dont je me gratifierais spontanément, mais force est de constater que mon président bien aimé m’en fait la remarque suffisamment souvent pour que je me dise :

–          Soit il manie l’ironie avec brio

–          Soit il trouve que je ne fais pas assez d’heures

–          Soit il souhaite que je montre davantage ma bobine et que j’aille plus souvent aux nombreux cocktails, soirées, conférences et j’en passe de la profession

–          Soit il perçoit en moi un volcan en irruption contenue

–          Soit il pense que je ne me fais pas assez confiance, et que je devrais oser davantage m’affirmer

Suivant les situations, je pense qu’il y a certainement un peu de tout, mais en ce moment de fortes chaleurs où je n’ai qu’un regret c’est que la tong ne soit pas en tête de gondole du dress-code du bitume parisien, j’ai ce refrain d’opérette qui me trottine dans la tête, et je me fais figure d’une mule cherchant son picotin !

Car ironie du sort, je me sens tout sauf discrète et retenue, et pourtant, pourtant, pourtant, il suffit de la présence qu’un quinqua, d’une nana sûre d’elle-même, de trois / quatre anglicismes dans une phrase que je ne comprends pas, d’un prétentieux imbu de sa position, pour que spontanément je me place en position affichée d’infériorité : en gros, j’écoute patiemment et je n’ose m’exprimer que lorsque j’ai passé au crible l’ensemble des intervenants.

Rien ne me subjugue davantage que le temps passé à observer combien les gens aiment s’écouter, se prennent au sérieux, vous balancent quelques millions sur la table l’air de rien comme s’ils le sortaient de leur poche, disent en deux heures ce qui pourrait être exposé en dix minutes, titillent sur des détails qui font oublier l’essentiel, pianotent sur leur téléphone en permanence comme s’ils jouaient en bourse, vous font un drame d’une broutille résolue en cinq minutes.

Mon souci est que je suis la reine de la synthèse, des exposés clairs et concis, que j’aime que les choses aillent vite, que ma vie est pour beaucoup au boulot mais que mon cœur est ailleurs, et que montrer ma bouille dans ces conditions, ça m’enquiquine grave !

Sauf que ne pas montrer ma bouille, cela enquiquine grave mon boss qui tient absolument à ce que « je sorte la tête de mes grimoires car j’aurais des choses pertinentes à dire ! » (sic).

C’est fâcheux tout de même car j’adore les grimoires. A une autre époque, je me rêverais nonne copiste. Dans une époque plus récente, j’aurais dû être notaire dans une étude couverte de boiseries et d’archives, derrière un pupitre en bois muni d’un encrier.

Comme il me connaît bien le patron, et qu’il a de la suite dans les idées, que fait-il pour m’obliger à montrer ma bouille davantage ?

Primo, comme il me sait très affective et très sensible aux êtres brillants du cerveau, il me présente des personnes dont il sait qu’amitié, admiration et loyauté me rendront totalement dévouée à la cause.

Deuzio, comme il sait que j’aime l’excellence et les défis intellectuels, il me finance généreusement les droits d’accès aux « examens » qui flattent la carte de visite et permettent d’entrer dans des réseaux.

Tertio, comme je ne sais pas dire non, que je suis très très corporate et que je ne me plains pas trop, il me confie des missions qui m’obligent à sillonner la France et la Navarre, et pas pour faire des pèlerinages ou voir la famille, je précise.

Pour le moment, je ne sais pas si la récompense sera le picotin, mais j’espère que lorsque viendra le temps où il se retirera du métier et profitera de sa retraite méritée, il se souviendra de son employée trop discrète et trop peu visible, et que ce jour-là, lassée du tumulte de cette vie professionnelle, je cheminerai sur des grimoires de hautes volées, sans retenue et en toute confiance.

 

 

 

3 réponses
  1. Colbert
    Colbert dit :

    Chère Elvire,
    Je découvre la saveur de vos écrits, la drôlerie des situations cocasses que vous peignez avec humilité, et toujours empreint de cette auto dérision si particulière.
    Je suis certain que vous avez des choses intéressantes à dire, pas qu’à écrire.
    Fidèlement votre

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