L’héritage de Benoit XVI de Christophe Dickès

« Aucun personnage public dans l’ère moderne n’a souffert d’une disjonction plus dramatique entre son image publique et la réalité de sa personnalité. (…) Tant humainement qu’intellectuellement, il avait cette double capacité à rafraichir la raison et à réchauffer le cœur de son interlocuteur. (…) Benoit XVI a joué la partition de l’intelligence de la foi, (…) en nous expliquant la foi, l’espérance et la charité dans la tradition des grands docteurs de l’Eglise. (…) Mais son premier héritage, est celui de la renonciation et surtout de la « création » au sens propre d’une nouvelle charge dans l’Eglise, celle de pape émérite. »

 Le passage presque éclair de Benoit XVI au ministère pétrinien (2005-2013) m’a laissé peu de traces car il est intervenu à une période de ma vie que je pourrais qualifier de désert spirituel, à tout le moins à une époque où certains évènements personnels m’ont rendue imperméable à toute question théologique. Je le suivais et écoutais à distance, mais ne m’en imprégnais pas, et ce que je savais de Benoit XVI relevait davantage de discussions familiales que d’une prise de possession intérieure de ses écrits.

Je connaissais la qualité de ses textes, sa grande rigueur intellectuelle et théologique, son amitié indéfectible à Jean-Paul II, sa bonté, sa foi profonde, ses tentatives de rapprochement avec la Fraternité Saint Pie X, la libéralisation du rite extraordinaire, mais entendais aussi à quel point il était peu populaire, comment il était injustement conspué dans les médias, et assistais, attristée sans toujours les comprendre, aux nombreux scandales qui ont éclaté sous son pontificat.

Comme pour beaucoup de catholiques de ma génération, mon pape était Jean-Paul II. Il a fait partie intégrante de mon enfance et de mon adolescence, il était celui dont la photo était encadrée dans la chapelle familiale, celui qui faisait du ski, celui qui avait connu la seconde guerre mondiale en Pologne, celui qui avait écrit des pièces de théâtre, celui que maman trouvait très beau, celui que mes frères étaient allés voir à Rome, celui que j’associais à Mère Térèsa, celui qui avait pardonné à son assassin, celui qui avait lutté contre le communisme, celui que j’étais allée voir à 18 ans aux JMJ de Paris en 1997, celui qui nous avait dit de ne pas avoir peur, celui qui est resté en mission jusqu’à son dernier souffle, celui qui nous a laissés orphelins quand il est mort.

De la même manière, si vous interrogez mes enfants, ils vous répondront que leur pape est François, car ils n’ont connu que celui-là.

J’ai cependant pris conscience ces dernières années être passée à côté de quelque chose d’essentiel concernant Benoit XVI, et commençais petit à petit à revenir vers ses écrits, notamment sur des sujets qui me touchent plus personnellement et la clarté et la limpidité de ses textes, à l’aune du magistère de l’Eglise, m’ont éblouie. J’ai d’ailleurs réalisé à ce moment-là à quel point le pape François, loin d’être dans la rupture qu’on lui prête bien souvent, s’inscrit totalement dans la lignée de ses prédécesseurs.

Le livre de Christophe Dickès, sorti le 21 septembre 2017 et intégrant la nouvelle collection Essais de chez Tallandier, arrive donc à point nommé, avec l’ambition de nous remettre en mémoire l’héritage extraordinaire que nous a légué le Cardinal Ratzinger, devenu Benoit XVI.

Cet essai est de ce point de vue absolument remarquable et je le referme le cœur gonflé de gratitude et d’admiration pour ce pape dont l’érudition, la foi, l’humilité, la douceur et l’immense œuvre littéraire font figurer cet homme parmi ceux qui, bien que vivant dans le monde et en comprenant tous les enjeux, l’embrassent dans une intemporalité qui ne peut être que le fruit de la Grâce.

La petite histoire ne retiendra probablement de lui que les crises auxquelles il fut confronté et son abdication.

L’Histoire de l’Eglise louera celui qui fut l’un des plus grands intellectuels du siècle et qui eut le génie d’adapter l’héritage théologique aux défis de son temps. Lire et comprendre Benoit XVI ne relèvent donc pas du ressort de la simple curiosité intellectuelle, mais bien d’une nécessité spirituelle d’intelligence au regard d’une œuvre majeure rarement égalée par son ampleur et sa qualité, ce qui me donnerait bien envie, si je le pouvais, de prendre quelques années sabbatiques pour aller l’étudier sur les bancs d’universités romaines.

En quelques lignes, quel est en effet son héritage ?

–          Le don de l’humilité : en renonçant à sa charge qu’il estimait ne plus pouvoir assumer, il est devenu pape émérite, entièrement donné à la prière, et s’il y a bien un seul pape aujourd’hui, le pape François, nous assistons de facto à un ministère élargi avec en quelque sorte un membre actif et un membre contemplatif, dont la vie est aujourd’hui consacrée notamment à porter spirituellement le pape François.

–          La prière, outil nécessaire et indispensable à l’élévation vers la divinité, et la foi sans laquelle toute réforme dans l’Eglise est impossible.

–          La théologie du silence pour redécouvrir le sens du recueillement et de la vie intérieure, là où se révèle le secret de sa vocation. Parole et silence, deux éléments essentiels pour un renouveau de l’annonce du Christ dans le monde contemporain.

–          La liturgie qui vise à approfondir le sens de la célébration eucharistique et à en restaurer la beauté et sa clarté. Rite ordinaire et rite extraordinaire doivent coexister dans une même unité et s’enrichir l’un l’autre, en passant par le cœur et dans la même recherche de sacralité.

–          Le lien fondamental entre foi et raison, pour tous chrétiens en premier lieu, mais également dans le cadre du dialogue interreligieux recherché par Nostra Aetate (1965). Le fossé théologique est tel avec certaines religions, comme notamment l’islam, que trouver ce qui rassemble en parlant un langage commun de la raison, sans pourtant laisser place au syncrétisme ou au relativisme, permet d’aborder les questions essentielles, et en particulier celle du fondamentalisme, tout en conservant un respect mutuel. La foi sans raison et vice versa ampute l’homme de sa liberté.

–          Susciter en Europe un renouveau éthique et spirituel en puisant aux racines chrétiennes du continent, afin qu’elles donnent un éclairage pour la mise en œuvre de normes objectives qui dirigent une action droite. Benoit XVI n’a eu de cesse de rappeler dans ses déplacements combien la philosophie et la théologie ont joué un rôle essentiel dans la formation de la culture juridique occidentale, combien la raison entrelacée à la foi, a permis l’émergence d’un droit naturel inspirant les droits de l’homme et que le positivisme actuel, en voulant s’en abstraire, réduit l’homme ou menace son humanité et devient de plus en plus intolérant. En rejetant le christianisme et sa culture, l’Europe en vient à perdre son âme.

Le testament de Benoit XVI ne peut être dissocié du pontificat de Jean-Paul II auquel il fut étroitement lié pour avoir été par trois fois Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Il n’eut de cesse de vouloir une réforme de l’Eglise, intérieure et de l’intérieur, et mettre fin aux discordes de Vatican II, en faisant appel à l’intelligence de la foi.

« La plus grande persécution de l’Eglise ne vient pas de ses ennemis de l’extérieur mais nait du péché de l’Eglise » écrira-t-il

Ce pontificat fut tourné d’abord vers l’Eglise avant d’être politique et contrairement à un François beaucoup plus autoritaire et tranchant, Benoit XVI agissait sans bruit, considérant qu’intervenir de manière précitée pouvait causer plus de dégâts que de bien.

Un pape qui portera l’Eglise à travers les difficultés et les crises qu’elle a endurées pendant les huit ans de son pontificat, avec humilité et modestie, au risque même d’être incompris.

Réforme et conservation, les deux mots d’ordre indissociables de la continuité dont le centre est le Christ, et qui a ouvert une voie royale au pape François.

Un grand merci à Christophe Dickès pour cet essai remarquable de concision, de clarté et d’écriture.

Christophe Dickès, docteur en histoire, travaille depuis plus de dix ans sur la papauté contemporaine. Après avoir dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège (2013), il est notamment l’auteur de Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde (Tallandier, 2015). Consultant de plusieurs médias, il est également le fondateur de la radio web Storiavoce.

 

6 réponses
  1. Christophe Dickès
    Christophe Dickès dit :

    Je vous relis à nouveau et je trouve mon commentaire bien plat. En parlant de l’intemporalité de l’oeuvre de Benoît XVI vous avez tout compris et saisi. Je n’utilise pas le terme dans mon livre. Mais il est tout à fait juste et vrai. Encore une fois un grand merci à vous et à la qualité de votre lecture.

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  2. Hugues
    Hugues dit :

    Billet à la fois pertinent et brillamment écrit. C’est vrai qu’on a une image tronquée de ce pape moins illustre que son prédécesseur ou François, auquel tu rends par une synthèse très bien faite la qualité de son bilan. Magnifique

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