Comme l’éclair part de l’Orient d’Alexandre Siniakov

« Ce sont bien les livres dits profanes qui m’ont conduit au Livre sacré, et le génie humain qui m’a introduit auprès de la magnificence divine. Il est bon qu’à mon tour je me fasse leur ambassadeur au sein d’une Eglise parfois tentée de se prémunir du siècle pour mieux se délivrer du mal. Il y a dans ce nihilisme culturel, comme dans le maximalisme cultuel qu’il est censé garantir, un athéisme qui s’ignore, si ce n’est même une détestation assumée de la Sagesse. (…) Cette lutte contre le monde extérieur détournait efficacement notre attention de celle contre nos propres péchés et passions. Cette dépense inutile d’énergie en lutte contre les erreurs des autres, je l’ai souvent observée dans nos milieux chrétiens par la suite. (…) Le zèle est indispensable au chrétien, mais il doit être employé à combattre le vieil homme qui survit en lui. »

La littérature a ceci d’extraordinaire, parmi d’autres attraits, de pouvoir nous faire voyage sans bouger de son lit. (Oui je lis dans ou sur mon lit. Certains préfèrent les fauteuils ou les canapés, mais pour ma part, je n’ai rien trouvé de mieux que la couette).

Sous peu que le livre soit par ailleurs divinement écrit et que le lecteur soit doté d’une capacité à se laisser rapidement emporter dans son imaginaire, c’est tout un univers qui s’ouvre dans lequel il est facile de se glisser en ayant le sentiment d’en être un des protagonistes.

Ceci était particulièrement vrai quand j’étais plus jeune et probablement plus insouciante, et je me souviens que certains pays, à travers la littérature, possédaient ce pouvoir d’attraction au point de totalement me fasciner. Je peux citer l’Inde par exemple à travers les ouvrages de Dominique Lapierre, ses Maharajahs et ses intouchables, et toute la période de son indépendance.

Il y a eu la Chine, avec tous les livres de Pearl Buck et tant d’autres qui dévoilaient ses traditions, le confucianisme, la vie dans la Cité interdite, celle des concubines et des eunuques, les maisons ancestrales regroupant plusieurs générations avec ses codes.

Et il y avait la Russie. J’ai toujours associé la Russie à un pays glacial mais à travers Anna Karénine, Guerre et Paix ou Mayerling, elle ne manquait pas de certains charmes, ni d’un certain lustre d’ailleurs avec la Grande Catherine, ses Tsars, la famille Romanov et ses russes blancs. Cette image s’est effacée malheureusement, comme pour la Chine d’ailleurs, avec l’Archipel du Goulag, l’arrivée des bolcheviques et les horreurs qui y ont été perpétrées.

Une partie de l’âme russe semblait s’être totalement envolée, si ce n’était faire l’impasse sur la puissance de la spiritualité slave qui perdura en dépit de décennies de régime communiste.

C’est dans un petit village de deux mille habitants, en plein cœur des steppes du Caucase, que naquit et vécut Alexandre Siniakov les quinze premières années de sa vie. Descendant de Cosaques vieux-croyants ayant fui l’oppression turque, sa famille s’installa dans cette contrée reculée, qui devint sous Staline, un véritable sovkhoze, sorte de ferme d’Etat.

L’expression « les voies du Seigneur sont impénétrables » prend ici tout son sens lorsqu’on lit le parcours si exceptionnel d’Alexandre Siniakov. Elevé comme tous les enfants russes au biberon de la propagande soviétique, il relève du miracle qu’il fut dès son plus jeune âge passionné de littérature et de langues étrangères. Sa soif de lecture fut assouvie en s’enfermant dans la réserve de la bibliothèque municipale où croupissaient tous les livres occidentaux ; quant aux langues étrangères, il apprit un peu d’anglais et d’allemand à l’école, mais passa des heures entières à se former en autodidacte sur des vinyles ou de vieilles cassettes, et en particulier pour le français.

C’est en lisant qu’il devient à la fois fou amoureux de la France et fou amoureux de Dieu, ce Dieu qui affleurait à travers les lignes des grands classiques profanes. La lecture des Évangiles sur un vieil exemplaire sauvegardé par une voisine fut une révélation.

Il entra ainsi au séminaire orthodoxe de Kostroma à 15 ans, mais ses aptitudes linguistiques hors du commun et sa soif abyssale d’apprendre conduisirent ses supérieurs à l’envoyer étudier à l’Institut catholique de Toulouse où il fut accueilli par les Dominicains, puis à Louvain et Paris. Ordonné diacre en 2003 puis prêtre en 2004 à Vienne (Autriche), il est aujourd’hui en charge du séminaire orthodoxe d’Epinay-sous-Sénart (91).

Cet itinéraire si particulier d’un jeune homme russe, doté de parents extrêmement bienveillants et compréhensifs au sein d’un univers laissant pourtant peu de place à la fantaisie, qui migre en France dans un environnement catholique, qui est né et baptisé selon le rite cosaque nékrassovien, devint prêtre selon la tradition orthodoxe byzantine, n’est pas étranger à ce qu’aujourd’hui, Alexandre Siniakov, se sente libéré des frontières politiques et des clôtures religieuses institutionnelles, héritées du passé. Il emploie d’ailleurs régulièrement le terme de catholicité cosmopolite, s’attachant à répéter que l’Église c’est avant tout celle qui se crée à l’échelle d’une communauté.

La lecture de ce livre insuffle un air vivifiant et lucide sur des sujets aussi variés que la Tradition, le monachisme, les animaux, les amis, les livres, la nature, le zèle, le baptême, et l’érudition de son auteur n’est pas vain discours mais bien maturité, quand la lettre s’efface au profit de l’esprit.

J’avais déjà eu l’occasion d’écouter Alexandre Siniakov dans une émission littéraire, L’esprit des Lettres. J’avais également visionné sur KTO un reportage consacré à son séminaire.

Lire son parcours sous sa plume n’en est pas moins remarquable, surtout quand on constate qu’il a tout juste 36 ans.

Au moment où je terminais la lecture de cet ouvrage, nous apprenions le décès du père archimandrite Placide Deseille, fondateur du séminaire orthodoxe Saint Antoine le Grand, dans le Vercors, dont il était l’higoumène depuis 40 ans. D’abord moine catholique avant de passer à l’orthodoxie, il était (et demeure) une figure de la spiritualité orthodoxe francophone, véritable pont entre l’Orient et l’Occident et les deux Traditions, laissant derrière lui une œuvre très abondante.

Alexandre Siniakov est un de ces ponts, témoignage vivant de l’Église universelle, où les différences, qui ne sont d’ailleurs pas particulièrement abordées dans cet ouvrage, s’effacent pour laisser place à l’unique Église du Christ.


Alexandre Siniakov, né en 1981 est titulaire d’une maîtrise de théologie de l’Institut orthodoxe Saint-Serge et d’un doctorat en lettres classiques de l’École pratique des hautes études (Paris), il a enseigné à la faculté d’études slaves à la Sorbonne. Le père Alexandre a été membre de la représentation de l’Église orthodoxe russe près des institutions européennes à Bruxelles, puis chargé des relations œcuméniques et publiques du diocèse de l’Église russe en France. En 2008, le patriarcat de Moscou lui a confié la création d’un séminaire en région parisienne qu’il dirige depuis.

2 réponses
  1. Domdom
    Domdom dit :

    J’ai vu comme toi cet auteur sur KTO, et cela à plusieurs reprises. J’avoue être séduit et par la personne et par son parcours. Avec des esprits aussi ouverts la communion cathos/ortodoxes serait vraiment possible.

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  2. Anonyme
    Anonyme dit :

    Que tes billets sont riches ! Merci de nous apprendre des tas de choses en nous faisant voyager et savourer ta jolie écriture

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