Un temps pour mourir de Nicolas Diat

Derniers jours de la vie des moines

« La pensée de la mort n’est pas morbide. Au contraire, elle permet de comprendre le sens de la vie. Il faut apprendre à connaître le bout de notre chemin. Pourquoi avoir peur ? La résurrection est le fondement de notre foi. La véritable vie n’est pas sur terre. Chaque jour, il faut s’apprêter à mourir. (…) Nous savons faire de belles phrases sur la souffrance. Moi-même j’en ai parlé avec chaleur. Dites aux prêtres de n’en rien dire : nous ignorons ce qu’elle est, et j’en ai pleuré. Devant un homme qui souffre, les beaux discours en servent à rien. Ils peuvent uniquement satisfaire les bien portants. »

Il est 22h10.

Le reportage consacré au petit Gaspard Clermont (cf ce billet), décédé il y a tout juste un an de la maladie de Sandhoff à 41 mois, diffusé pour la première fois sur KTO, s’achève.

Les yeux encore humides, mes deux merveilles s’en vont se coucher dans un silence religieux. « Je retiens que même dans la mort il faut rester joyeux car la vie continue », me dit ma fille. « Heureusement qu’il y a le Ciel », me dit mon fils.

Je les embrasse, j’éteins la lumière, moi-même emplie d’émotion.

Me revient à cet instant précis une image de mon enfance où, à peu près au même âge, je suis tombée sur un livre, dont je ne me souviens malheureusement ni du titre ni de l’auteur, qui parlait du Ciel avec une telle magnificence, une telle promesse de bonheur infini et d’amour sans limite, que j’avais eu envie de mourir de suite. Ce n’était pas encore mon heure puisque je suis encore là, mais de cet instant précis, j’ai conservé une telle exaltation de cette vie qui nous attend dans l’au-delà qu’elle ne m’a jamais vraiment quittée.

Et pourtant, demeure une éternelle question qui nous étreint tous : comment serons-nous face à la mort ? Sommes-nous prêts si elle devait survenir demain ? La foi garantit-elle des fins plus douces, plus lumineuses, exemptes d’angoisse ou de doutes ?

Nicolas Diat nous prend délicatement par la main, nous emmène à sa suite dans huit abbayes, de Lagrasse à Fontgombault, de Solesmes à la Grande Chartreuse, et nous plonge dans le mystère de la fin de vie des moines. Ce livre pourrait se lire d’une traite, mais personnellement je l’ai trouvé tellement bouleversant, que j’ai dû digérer chaque chapitre avant de passer au suivant. Il est bouleversant, non pas tant en raison de la mort elle-même, mais bien de la façon dont chaque mort est unique, obéit à un dessein qui nous échappe dans certaines circonstances, et se vit spirituellement en communauté.

Le monachisme ne fait pas obstacle à des maladies violentes, des décès dans la fleur de l’âge, des troubles psychologiques, voire même des suicides, des angoisses terribles, ou même tout simplement la sénilité et la totale dépendance. Certaines morts sont cependant paisibles, les visages des défunts, souvent affectés par la maladie, se transfigurent quand l’âme s’échappe.

L’accompagnement de fin de vie prend tout son sens au sein de ces monastères où les malades et les mourants sont veillés nuit et jour. Nous sentons affleurer dans les témoignages des moines, soucieux de l’acquiescement de l’âme au moment de la mort, pour reprendre les termes des moines de Fontgombault, la délicate question de la frontière entre acharnement thérapeutique et soulagement de la souffrance.

Les moines au sein d’une même abbaye ne se choisissent pas, et pourtant, au moment de mourir ils sont entourés, traités avec dignité, honorés. Certaines abbayes ont pour tradition d’enterrer leurs défunts directement dans la terre, d’autres entretiennent fidèlement la mémoire de leurs morts, chez les Chartreux en revanche, les morts sont souvent solitaires et leurs noms ne sont pas inscrits sur les tombes.

La vie monastique, entièrement donnée au Christ, est l’antichambre du Ciel. Elle prépare à la Rencontre ultime qui passe par la mort, cette porte à franchir pour passer de la vie terrestre à la vie éternelle.

Il n’en demeure pas moins que lorsque le temps de mourir advient, les moines rejoignent la douleur de tous les hommes dans leurs derniers instants : cette lutte entre une âme qui s’envole et un corps qui s’éteint.

Nicolas Diat, avec la grâce et la profondeur qui le caractérisent dans ses écrits, nous fait toucher le Mystère qui fait corps avec notre humanité.

Un livre magnifique, riche d’enseignements, à lire … avant de mourir.

Ecrivain, Nicolas Diat est l’auteur de livres de référence : L’Homme qui ne voulait pas être pape, Dieu ou rien et La Force du silence, qui ont tous été des succès de librairie, recevant un accueil critique exceptionnel, et traduits dans de nombreux pays.

Je profite d’ailleurs de ce billet pour rendre hommage à son livre d’entretien sur la foi avec le Cardinal Sarah, Dieu ou rien, qui est absolument remarquable. Lu, offert à plusieurs reprises, il figure parmi les livres de spiritualité qui m’ont le plus marquée ces dernières années.

 

4 réponses
  1. Domdom
    Domdom dit :

    Un bien beau billet, qui nous place face à l’essentiel, la seule certitude de notre vie:
    notre mort, ou plutôt le passage vers une vie renouvelée. Et pourtant que de craintes, voire
    de peur devant ce grand passage.

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  2. Hugues
    Hugues dit :

    Vivons heureux en attendant la mort.
    Cette devise de Pierre Desproges est certainement la meilleure des préparations à un passage obligé dont la destination dépend de paramètres qui manquent d’évidence pour moi. Hélas. Mille fois hélas. Je lis ton très émouvant billet et m’y prépare dans la joie

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