Journal et pensées de chaque jour d’Elisabeth Leseur

 « Pour donner il faut acquérir, et pour servir un jour, ou un peu chaque jour, mes frères devant Dieu, il faut que j’aie déjà longuement et purifié mon âme. (…) C’est un devoir de développer sans cesse son intelligence, de fortifier son caractère, de devenir un être de pensée et de volonté : c’est un devoir d’envisager joyeusement la vie et l’affronter avec énergie. C’est un devoir enfin de savoir comprendre son temps et ne pas désespérer de l’avenir. (…) Mes résolutions devront se plier aux circonstances, le précepte charitable doit passer avant le conseil. De plus en plus chercher par l’exemple, par la tendresse et en développant et élevant mon intelligence, à répandre plus de lumière parmi les intelligences et les âmes que je rencontre sur ma route. Je veux plaider la grande cause de la charité par mon attitude, mes paroles et mes actes ».

Elisabeth Leseur m’accompagne depuis quelques mois déjà, depuis, pour être exacte, la lecture de sa biographie dont j’avais parlé ici en mars 2017.

La spiritualité de tout un chacun s’affirme et s’ancre par l’influence de courants très variés qui peuvent passer par notre éducation, nos lectures, nos rencontres, l’époque au sein de laquelle nous vivons mais également à travers des figures qui nous marquent en ce qu’elles font écho aux problématiques et questionnements des hommes de notre temps, et assurément Elisabeth Leseur est une de ces figures à laquelle je me suis vite attachée et que j’ai eu envie de côtoyer de façon plus intime.

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J’ai bien souvent de la peine avec Dieu

Correspondance entre Marie Noël et l’Abbé Mugnier (1918-1944)

«  Monsieur l’Abbé, rencontrant l’Index, je me suis inclinée là plus bas qu’ailleurs avec une crainte religieuse et la terrible question est que je n’arrive pas à concilier ensemble mon amour des lettres et les exigences de ma foi (…). Dois-je forcer tous mes scrupules, au risque de laisser pénétrer et demeurer dans mon esprit quelque impression malsaine, quelque idée inquiétante dont j’ai bien de la peine à me délivrer ensuite et à laquelle je crains parfois de m’accoutumer trop et de me plaire ?

Mademoiselle, je veux que vous restiez catholique, mais une catholique rayonnante, joyeuse, s’il est possible, et trouvant dans sa foi l’aide, l’élan et non l’obstacle. (…) Vous voulez vivre mais vous avez peur de vivre. Considérez la Religion comme une source de vie. Votre esprit est toujours en conflit avec une certaine conception, morale, religieuse, dont vous ne vous êtes pas affranchie. Vivez au jour le jour et ne vous posez pas toutes ces questions subtiles. Vous réfléchissez trop avec la raison. »

Ces quelques lignent résument assez bien le ton et la tonalité de l’abondante correspondance qui débuta en 1918 entre Marie-Noël et l’Abbé Mugnier, jusqu’à la mort de ce dernier en 1944.

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L’inconnu me dévore de Xavier Grall

 « C’est à la mort de mon père que j’ai senti l’abîme se creuser en moi. Et il faut bien que se créent les abîmes pour que s’y engouffrent les vives forces de vérité. L’eau ne coule jamais que là où se lézarde la terre.  C’est à partir de ce jour que j’ai recommencé à croire à l’Amour. L’âme de mon Père circulait dans les choses que mes yeux créaient. Ayez la foi, et le reste vous sera donné de surcroît. Dieu, je n’ai cherché que Lui dans le silence du désert, dans le verre de l’absinthe, dans le lit des plaisirs. La fraicheur du regard est le commencement de la sainteté. La morale qui précède la foi et qui s’en repait jusqu’à l’assassiner est la règle des pauvres types. Ayez le regard clair et le cœur droit. Nous ne possédons le monde que dans la mesure où nous savons en reconnaître les plaies, en sonder les reins déchirés, et y porter l’onguent et le remède. »

Pierre Adrian qui préface cette nouvelle édition parle, non pas d’un livre de chevet, mais d’un livre au chevet.

L’expression est belle et prend tout son sens lorsque de son propre aveu, Xavier Grall écrit, en 1969, vouloir laisser à ses cinq filles un ouvrage mystique, un héritage secret, un testament spirituel, un véritable cantique de la joie.

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Le chemin du cœur de Charles Wright

L’expérience spirituelle d’André Louf (1929-2010)

« André Louf se situe dans la postérité de cette tradition pour qui la reine des puissances de l’âme n’est pas l’intellect, mais ce qu’on appelle la volonté, c’est-à-dire la faculté d’être affecté, de désirer. Le pivot de l’expérience de Dieu est moins la raison que l’affection (…) mise en branle par l’Esprit Saint, maître d’œuvre de l’intériorité. Louf est l’un des grands pédagogues de cette sensibilité spirituelle qui porte attention aux vibrations du souffle de Dieu qui, tel un musicien, fait danser les cordes de l’âme. Cet aventurier a exploré l’âme sous toutes ses coutures. Loin d’une approche doloriste, sacrificielle, les Pères de l’Eglise lui révèlent que la foi est un épanouissement de tout l’être. Ce qu’il demande aux théologiens, ce n’est pas dé livrer un beau discours logique et bien agencé, mais de lui ouvrir les chemins du cœur. »

Ma fillotte,

Partir à la découverte de la vie intérieure d’une personnalité, voilà le voyage auquel nous convie Charles Wright, dont on a pu apprécier par ailleurs les précédents ouvrages.

André Louf est ici présenté avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse. Abbé d’un grand monastère, le Mont des Cats, puis ermite, Dom Louf a tenu une place éminente chez les trappistes, où ses interventions ont toujours été remarquées. Des papes aussi l’ont reçu et écouté. Ses livres et ses articles, traduits en plusieurs langues, sont empreints de spiritualité, celle qui part et revient au cœur.

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Paternité de François-Xavier de Boissoudy

 Au-dessus de tout homme, et quoi qu’on puisse faire, quelqu’un est toujours Dieu, quelqu’un est toujours père. » Victor Hugo ; La légende des siècles, XV, 3, La Paternité.

Veste Barbour et souliers en cuir, il arrive à vélo qu’il dépose près de la Galerie sans l’attacher, nulle crainte de se le faire dérober ne le traversant. Il retire une caisse du panier situé devant, m’embrasse et m’appelle par mon prénom comme si nous nous connaissions, pousse la porte, dépose son carton, échange quelques bribes avec le galeriste, et m’entraine dans son sillage à la découverte de ses tableaux.

Regard pétillant et d’une vive acuité, il me donne le sentiment de chercher ses mots, de peiner à parler de ses œuvres, mais je comprends vite que la pensée se formant dans son esprit ne se livre qu’en son aboutissement. Il me faut relier les gestes, les regards, les phrases, quelques pirouettes intellectuelles et son sourire en un tout homogène pour recréer le fil conducteur de toutes ses toiles et deviner ce qui est conçu sans être exprimé, si ce n’est l’essentiel. Point d’élucubrations philosophiques ou théologiques, les tableaux montrent ce qu’il a voulu dire, nommé, il le répète, pas de fantasme sur la paternité, une réalité charnelle qui jaillit de ses tripes et accouche sur la toile. Quelques toiles profanes, mais la Paternité se dessine et se lit à travers les grandes figures bibliques : Noé, Abraham, Joseph, le Christ, Zacharie, Jean-Baptiste, Saul…

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La Rencontre de Françoise Evenou

« Aujourd’hui, dimanche de Pâques, dans le compartiment du train qui me ramène à Paris, je te souris. Je souris car je mesure le chemin parcouru depuis ce jour où je frappais, hagarde, à ta porte. Te rappelles-tu combien j’étais dévastée par ce cyclone imprévisible, brutal, qui avait surgi à l’aube de ma quarantaine ? Quelle détresse intérieure lorsqu’on vit cette crise existentielle au midi de sa vie ! Te souviens-tu de ce qui s’est passé ? »

Rendez-vous était pris depuis des semaines.

A son initiative.

Elle voulait me rencontrer, moi, elle l’espérait. J’avais souhaité la rencontrer, elle, mais c’est elle qui a osé me demander de me rencontrer, moi.

C’est fou comme les petits vélos incontrôlables de notre for intérieur sont puissants : que peut-elle me trouver, serais-je à la hauteur, va-t-elle m’apprécier, me trouver sympathique, intéressante, aurais-je des choses à dire ?

La rencontre a eu lieu, dans un charmant restaurant parisien place Victor Hugo de son choix, j’ai franchi la porte avec appréhension, sensible au cadre, encouragée par l’accueil qui m’a été fait, et je la vois, sourire lumineux éclairant tout son visage, elle m’attendait.

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Toute fin est une histoire de Véronique Comolet

« Familles, soignants, bénévoles, nous sommes nombreux à poser notre regard sur le malade, pour en découvrir toute la complexité, et tenter de l’accompagner au plus juste. Par notre diversité, nous lui offrons la liberté de choisir celui qu’il accueillera, avec lequel il parlera ou se taira, celui qu’il rejettera… Nous lui permettons de rester sujet et acteur de la rencontre la plus longtemps possible. (…) Face aux différentes situations rencontrées, nous avons à nous adapter en permanence, (…) jusqu’à notre face à face avec la mort, celle de l’autre. (…) Chacune de ces rencontres est unique et universelle. Elle se vit en unité de soins palliatifs. Vieillesse, handicap, isolement, précarité, autant d’états de vie qui fragilisent l’homme, bouleversant ses repères et mettent à mal le sens de sa vie et sa place dans la société. (…) Dans ces extraits de vie, il est avant tout question d’un face-à-face entre deux humanités. »

Parmi les neuf thématiques abordées en ce moment lors des Etats Généraux de la Bioéthique en vue de procéder à la révision de la loi de bioéthique fin 2018, une concerne tout particulièrement la prise en charge de la fin de vie.

Sur ce sujet spécifiquement, le site des Etats Généraux dresse, en préambule de la concertation, le constat suivant : 60% de la population française meurt actuellement dans une structure médicalisée, et les progrès de la médecine, qui ont permis l’allongement de la vie et l’amélioration de la qualité de vie, contribuent paradoxalement à des situations de survie inédites, parfois jugées indignes et insupportables. Au cœur du sujet, se trouve la question du juste équilibre entre deux droits fondamentaux : celui du respect de la vie et celui de mourir dans la dignité.

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A la découverte des parfums de Cheyenne-Marie Carron

« Depuis mes débuts au cinéma, le parfum a toujours été un élément important dans mes films. Plus généralement, cinéma et parfum entretiennent une relation naturelle et profonde dans l’imaginaire collectif. Depuis un an, j’ai décidé d’aller plus loin dans cet alliage entre mes deux passions, et de raconter des histoires autrement : des histoires olfactives qui éveillent l’imagination, les sens et les souvenirs, et ce, à travers des fragrances de ma création… Car, au cinéma comme dans le parfum, l’objectif reste le même : créer une émotion, une réflexion, faire voyager ; et aussi, si possible, enchanter la vie. »

 

Cheyenne-Marie Carron, j’en avais longuement parlé ici. Pourquoi cette réalisatrice, plutôt qu’une autre ? tout simplement parce que sa personnalité m’avait séduite, que ses convictions défendues avec fougue et ténacité pourraient être les miennes, que les thèmes qu’elle aborde dans ses films sont loin d’être évidents, qu’elle soulève des montagnes pour parvenir à réaliser et produire ses films avec peu de moyens, qu’elle a des passions multiples, qu’elle est ravissante, en un mot c’est une femme complexe, assumée et qui s’assume. Lire la suite

Fromentin, le roman d’une vie de Patrick Tudoret

 « Peintre et écrivain… c’est dans cet ordre invariable que le présentent les dictionnaires, mais Eugène Fromentin fut autant l’un que l’autre avec un art subtil qui confine à la grâce. Peintre dans l’écriture, écrivain dans le trait. (…) Chez l’auteur, chez le peintre aussi, tous deux célébrés de leur temps, reconnus à l’aune d’un vrai talent, il y a un désir d’absolu qu’il voulut assouvir (…), une soif de hauteur qui toujours sembla l’animer, lui l’homme d’airain à la sérénité apparente. (…) Pour peu que l’on gratte un peu, il y a une jolie fièvre romantique chez l’ami Eugène, (…) une vive intelligence qui toute sa vie aura couru après deux buts : être un artiste complet (…) mais avant tout un homme libre, intègre, exigent, généreux, paradoxal, qui aura su parfois s’appartenir… »

Mon cher Eugène,

Vous me pardonnerez cette familiarité qui me conduit à vous appeler par votre prénom, mais après avoir passé quelques heures exceptionnelles en votre compagnie, depuis votre prime jeunesse jusqu’à vos derniers jours, il me semblerait faire montre d’une grande froideur à votre égard en vous nommant Monsieur, alors que vous m’êtes apparu fort sympathique, presque familier maintenant, et qu’il me sera désormais possible d’accoler quelques détails supplémentaires aux deux substantifs qui vous caractérisent rapidement au sein d’une époque : peintre et écrivain du XIXème siècle .

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Vivre libre avec Etty Hillesum de Cécilia Dutter

« Apprendre pas à pas, comme Etty a su le faire, à s’aimer, se respecter, s’assumer en tant que personne, lui a permis de développer la sécurité nécessaire pour conquérir sa liberté intérieure. (…) Tendre la main à notre prochain, c’est accepter de mettre de côté nos préjugés, reflet de nos peurs ou de nos attentes, pour nous ouvrir à lui dans sa vérité, au moment où nous l’approchons. (…) Connaître l’autre pan de l’amour, plus grand, pur et désintéressé, cet amour-amitié qui se réjouit de l’existence et de la présence d’une personne préférentielle avec laquelle on partage un projet, une vision commune (…) qui au désir de fusion, préfère la communion où chacun se remplit de la présence de l’autre et se révèle à travers lui, donne et se donne pour pénétrer toujours plus loin en terre d’humanité.»

Mon cher H.,

Les livres et les destinées s’appellent et s’interpellent, happés par un même but, et aussi difficile à identifier qu’il semble parfois l’être, et si tortueux sont certains chemins pour y parvenir, il est extraordinaire de vivre parfois ces instants de plénitude où les détours, retours et contours de chacun finissent par se croiser pour mener un bout de parcours ensemble.

Il en est ainsi des êtres évidemment, il en est aussi des livres où les mots viennent en écho à des cheminements intérieurs qui sont autant de morceaux de puzzle qui peinent souvent à prendre place. Que d’émotions profondes et de moments d’exaltation lorsque ces morceaux épars finissent par s’assembler pour former le patchwork de notre humanité tissé par un Fil commun.

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