La femme sucre d’orge
Ce que je ne soupçonnais pas en écrivant mes petits billets à travers ce blog, c’est la réaction de mes amis les plus proches qui, étonnamment, m’ont découverte à travers ce que je pouvais écrire. C’est dire si une trop grande pudeur nuit par certains aspects à la profondeur des relations, à moins d’être doté visiblement d’une grande connaissance de la nature humaine qui supplante les non-dits.
Certains s’enthousiasment davantage sur les recommandations littéraires ou les sorties, d’autres pour les billets que j’appelle « air du temps » au sein desquels je parle de tout, de rien, de ma vie.
Étrangement, les billets « spirituels » sont ceux qui m’ont ouvert un plus large public, alors que, même si je revendique une forme de catholicisme décomplexé, je ne souhaitais pas particulièrement conférer cette dimension à mon blog, par le côté très vite communautariste qu’elle peut revêtir.
Ceci étant dit, ce blog qui s’est imposé à moi courant août comme une évidence quasi vitale et nécessaire, me permet de balayer des sujets très divers, dont un qui plait particulièrement à mon entourage et qui est celui des portraits. Il est amusant, pour ne pas dire attendrissant, de recevoir des appels ou des messages, pour me demander « est-ce que c’est moi », et de sentir qu’un tel ou une telle, presque déçu(e) de ne pas avoir été l’élu(e), espère avec avidité avoir son petit billet comme gage d’affection privilégiée.
J’avoue que je n’avais pas anticipé à l’origine m’adonner à cet exercice, mais force est de constater que l’entourage immédiat est un vivier parfait d’analyses des traits de caractère et que même si je suis inspirée effectivement par une personne proche en particulier, je pense que nombre de personnes peuvent s’y reconnaitre. C’est par ailleurs une occasion originale de dire à mes amis que je les aime et qu’ils ont du prix à mes yeux, ne serait-ce que parce que bien souvent ils sont très différents de moi, ce qui en fait toute la richesse. Et je précise d’ores et déjà pour les esprits sourcilleux, je ne fais pas de hiérarchie affective dans l’ordre de sortie de mes billets, tout dépend de l’inspiration.
Aujourd’hui, je vais donc parler de la femme « sucre d’orge ».
La femme « sucre d’orge » est absolument étonnante à mes yeux car elle a un centre émotionnel à fleur de peau et, avant d’apprendre à la comprendre, elle était de nature à profondément me déstabiliser, comme si vous rentriez dans un magasin de porcelaine avec un bouledogue.
La femme « sucre d’orge » a en effet un système lacrymal très développé et peut dans le même instant de raison, comme nous disions sur les bancs de la fac de droit, se mettre à pleurer et rire. Au début, vous cherchez l’horreur que vous avez pu sortir pour provoquer une telle réaction, vous cherchez un trou de souris où vous cacher, vous farfouillez fébrilement dans votre sac à main à la recherche d’un kleenex, mais pas du tout, elle est juste émue par une parole, un moment partagé, un gâteau sec, une bougie qui flambe, un témoignage d’affection.
La femme « sucre d’orge » est dotée d’une émotion à manifestation immédiate, sans voile ni pudeur, capable de vous parler les larmes aux yeux d’un évènement qui vous a semblé totalement insignifiant sur l’instant mais qui semble à ses yeux absolument extraordinaire. Ses enthousiasmes débridés n’ont d’égal que son besoin addictif de se sentir aimée et valorisée dans le regard des tiers.
Redoutant la solitude, même entourée d’une ribambelle de gamins, la femme « sucre d’orge » est une personne infiniment généreuse de son temps et de ses sentiments.
Vous avez à peine franchi le pas de sa porte, qu’elle vous dit déjà que vous lui manquez, au point de se dire dans votre for intérieur est-ce moi qui manque de cœur ou elle qui en a trop : le nougat face à la pomme d’amour.
Quand vous dites à la femme « sucre d’orge » que vous avez besoin de temps pour vous et que vous aimez la solitude, elle vous appelle quinze fois en pensant que vous êtes dépressive. Débordant d’affection à déverser, elle anticipe vos désirs même ceux qui n’existent pas, aime qu’on vienne la voir à l’improviste, vous saute au cou à vous en étouffer, ne se lasse pas de vous dire que vous comptez pour elle, et s’angoisse de ne pas vous voir réagir de la même manière.
Un « je t’aime » non fébrile et exalté résonne à ses oreilles comme un « je te le dis parce que tu l’attends », il n’est pas crédible.
La femme « sucre d’orge » n’est jamais aussi heureuse que lorsqu’elle est entourée, que ça s’agite, qu’on soit quinze à table et n’est pas rebutée pour parler de choses profondes même entourée d’enfants qui se disputent.
Elle est capable de vous appeler en se lavant les dents pour vous demander conseil tout en vous disant qu’elle vous aime avec des grelots dans la voix. Vous pouvez la voir débarquer chez vous pour vous déposer par surprise des lasagnes préparées la veille avec amour à 8h du matin alors que vous êtes à peine réveillée.
Indispensable femme « sucre d’orge » qui oblige à faire bouger les lignes et à marier plus subtilement cerveau et cœur.
J’ai compris grâce à elle que les kleenex ne servaient à rien, qu’il ne fallait pas s’inquiéter plus que de raison de ses envolées enthousiastes ou mélancoliques, qu’une force tranquille et bienveillante suffisait à la remettre sur les lignes ou à canaliser les émotions trop fortes : la femme « sucre d’orge » est juste toute émotion.
P.S : mon amie « sucre d’orge » que j’aime, j’adore tes lasagnes, elles sont fabuleuses, mais je profite de ce billet pour te dire : pitié pas à 8h du matin et oui oui oui je te confirme que quand j’aime être seule ce n’est pas parce que je suis au fond du gouffre…
Chère Elvire,
Je reste confondu et rempli d’admiration devant ce texte dans lequel vous dressez à la fois avec tendresse, humour, subtilité et exigence le portrait de cette amie « sucre d’orge » !
Ceux qui vous connaissent ont bien de la chance de bénéficier de votre amitié…
A vous lire à nouveau très vite !
Fidèlement.
Etienne