Moïra de Julien Green
« Et si Joseph pensait quelquefois à Moïra, c’était pour se dire qu’après tout elle ne ressemblait en aucune façon à la femme qu’il s’était figurée. Cela le rassurait. D’une certaine manière, on pouvait même dire que Moïra lui répugnait : il se rappela qu’elle portait une robe si étroitement ajustée que certaines parties de son corps se laissaient voir avec précision, et que la robe fût rouge aggravait cette impudeur. (…) Ces paroles qui sortaient malgré lui de sa bouche le surprenaient toujours parce qu’elles exprimaient clairement des choses qui, jusque-là, se cachaient au fond de lui-même. (…) Les pensées qu’on a dans l’obscurité ne sont pas les mêmes que celles qu’on a dans la lumière. Il savait qu’en éteignant, il redeviendrait la proie de Moïra. »
L’œuvre de Julien Green correspond tout à fait au genre de littérature que je pouvais dévorer plus jeune, entre 15 et 20 ans environ.
De mémoire, j’avais dû lire Mont-Cinère et la trilogie Dixie, mais comme je lisais beaucoup de livres de la même veine, je reconnais n’en garder que peu de souvenirs.
Cette littérature correspondant de ce fait à une époque que je considérais révolue, je n’aurais pas spontanément opéré une nouvelle immersion dans l’œuvre de cet auteur, si ce n’est sur les chaleureuses recommandations de notre délicieux ami Marc (vous savez, celui qui présente régulièrement ses pépites littéraires exposées sur une table en bois sur laquelle trône une ravissante tasse en porcelaine blanche).
Il pensait que Moira devrait me plaire et il a eu bien raison, ce qui, en passant, est tout à fait le genre de recommandations qui me touchent énormément, car elles supposent d’une part de connaître un peu la personne en face, et d’autre part de s’y intéresser un minimum.
La lecture de Moïra a eu l’effet escompté car, effectivement, j’ai eu l’impression de perdre 20 ans en quelques heures. Le style littéraire, l’époque des évènements, la description des lieux et des caractères, les sentiments, le langage, tout est effectivement réuni pour trouver bien fades aujourd’hui les romans plus contemporains de ce chef et renouer avec mes premières amours littéraires.
Avec quelques années de plus, il m’apparait probable, pour ne pas dire évident, que ce livre revêt une dimension qui m’aurait échappé plus jeune.
Marqué toute sa vie, comme il le dit lui-même, par ce déchirement viscéral entre le spirituel et le charnel, le catholicisme auquel il se convertit à 15 ans après la mort de sa mère qui l’a élevé dans le protestantisme, et l’homosexualité, Moïra n’échappe pas à cette dissension intérieure d’une rare intensité.
Ecrit en 1950, ce livre fut considéré dès sa sortie comme un chef d’œuvre. Julien Green met en scène un jeune étudiant de Virginie, Joseph Day, que l’on devine d’une beauté flamboyante, roux, protestant puritain qui vit sa foi de façon quasi fanatique et Moïra, insolente, fardée, la femme tentatrice par excellence à ses yeux. Je laisse le lecteur découvrir de lui-même les méandres tortueux de la relation entre Moïra et Julien, mais au-delà de l’histoire autour de laquelle se bâtit ce roman, le génie de ce livre réside, à mes yeux, dans l’exposé de la dualité destructrice de Joseph Day.
Pétri de son protestantisme puritain, il éprouve une sainte horreur pour tout ce qui lui semble à ses yeux perverti, jusqu’à déchirer un Roméo et Juliette où quelques vers amoureux lui semblent indécents ou détourner son regard de statues antiques, tout en étant par ailleurs d’une candeur déroutante, d’une rage à fleur de peau, totalement inconscient de l’effet que sa beauté et sa personnalité peuvent procurer sur l’entourage, jusqu’à ne pas déceler l’attirance d’un de ses camarades dont la présence violemment repoussée le portera au suicide ou à se sentir blessé par une attitude, une parole ou un regard qu’il ne comprend pas.
Joseph Day est un personnage éminemment torturé, où la foi, vécue avec cette sévérité et cette austérité, et dont la dimension d’amour du prochain, du pêcheur, voire de soi-même, est totalement absente, conduit à des excès dont nous avons du mal à percevoir qu’ils puissent être considérés comme conduisant au Salut tant recherché.
Julien Green écrira : « Ce fut par le péché que je retrouvai l’humanité. »
Cette phrase me semble fort pertinente.
Un auteur fascinant, dont l’œuvre mérite absolument d’être (re)-découverte.
Julien Green est né en 1900 de parents américains et protestants. Il grandit à Paris mais effectue trois années d’études à l’Université de Virginie. Vivant alternativement entre la France et les Etats-Unis, on lui doit une œuvre abondante dont son journal publié en 19 volumes. Il est élu à l’Académie Française en 1971 et fut également un ami de Maritain. Il est décédé en 1998.
Magnifique billet qui traduit avec intelligence et brio le rapport si complexe entre séduction attirance désir et abstinence, au travers de la foi. J’ai récemment vu sur kto une émission traitant de ce dernier sujet mettant en lumière la grandeur de ce vœu malgré des pulsions, sujet qui me paraît toujours si complexe….
Ce n’est pas Elvire qui sera surprise.
Elvire est surtout surprise que Hugues regarde KTO…
Surpris que tu sois surprise. Ce n’est ni la première fois ni la dernière. J’ai toujours à cœur de partager et de tâcher de comprendre ce qui passionne ceux pour qui j’ai une affection sincère et profonde même quand les sujets sont loin de mon environnement naturel; bien que juif, plus catho que beaucoup de cathos me disais-tu souvent
Hugues, Connaissez-vous Leon Bloy, grand écrivain catholique et son « Le Salut par les Juifs » ? Je crois qu’on y trouve la phrase « l’antisémitisme c’est souffleter le Christ sur le visage de sa Mère »
Jean 23/8/17 à 18h30
Maheureusement non cher jean, cette phrase est tres belle et riche de sens et de vérité.