Voyage littéraire …
L’hiver, l’hiver, l’hiver, toujours l’hiver… Vive les échappées, les envolées, la vagabondages littéraires et les voyages.
Un voyage dans des contrées lointaines, un voyage dans le temps, à la rencontre d’êtres d’exception qui demeurent à jamais d’éternels présents à travers une forme de génie qui leur est propre et qui parle encore et toujours à nos contemporains.
Fermez les yeux, remémorez-vous vos lectures de jeunesse et partons en Russie, sur les traces de l’auteur de Guerre et Paix et d’Anna Karénine. Léon Tolstoï (1828-1910), pour ne pas le nommer, à qui Christiane Rancé a consacré un émouvant et puissant portrait en suivant les pas de cet ogre, aussi féroce dans ses rapports à la vie, que dans sa prise de conscience soudaine que celle-ci a une fin. Marié, père de treize enfants, comte en son domaine d’Iasnaïa Poliana, Tolstoï est un génie reconnu de son vivant, d’abord par ses récits autobiographiques et ses célèbres romans, véritables fresques d’une époque, puis, tourmenté et angoissé par l’horreur du néant, il s’attellera dans des nouvelles et des essais à comprendre le monde de façon existentielle et philosophique, jusqu’à s’enthousiasmer pour la doctrine du Christ qu’il décortiquera puis réécrira.
Incarnation de la puissance vitale qu’il a voulu retranscrire à la hauteur de son appétit du monde, radicalité dans ce qu’il a voulu vivre et comprendre jusqu’au bout de lui-même mais sans s’en départir totalement, Tolstoï ne peut laisser indifférent, rationnel dans son irrationnalité, ou vice versa. Je ne peux que vous recommander cet ouvrage absolument passionnant consacré à un homme à la stature démesurée, dans tous les sens du terme, et qui portait en lui l’humanité toute entière.
Refermons les yeux à nouveau et déplaçons-nous en Pologne, à l’époque de Solidarnosc et de Lech Walesa. Un prêtre, aumônier de ce syndicat, va incarner la résistance de tout un peuple au régime communiste : le Père Jerzy Popieluszko. Désigné comme le « martyr de la vérité », le Père Jerzy est le symbole du courage, de la lutte pour le respect de la dignité des consciences, le droit à la vérité, de la défense de la patrie, de la protection de la culture polonaise, du pardon et de la non-violence en pleine période totalitaire. Sous l’égide de ce prêtre, et encouragé par Jean-Paul II, Solidarnosc a vaincu sans la violence à laquelle il aurait été légitime de s’attendre, « à genoux et le chapelet dans la main ». Véritable figure en Pologne, le Père Jerzy a marqué les consciences et les esprits par ses sermons, sa foi et son dévouement.
En 1984, il sera assassiné à 37 ans par la sécurité intérieure du régime. Sa mort et le retentissement national qui s’en est suivi ont permis les premiers dialogues d’ouverture avec le régime communiste.
Sa vie est ici relatée par le Père Brien, témoin du premier miracle authentifié du Père Jerzy, permettant l’ouverture, par Mgr Santier du diocèse de Créteil, de son procès en canonisation en 2015.
Très beau récit, lu à mes enfants, qui redonne un cap sur le sens et la forme de ses engagements et nous replonge dans cette période polonaise trop facilement oubliée.
Revenons quelques années en arrière, en France cette fois-ci, aux côtés des poilus. Un jeune lieutenant de la Légion a pour mission de partir à l’assaut de la côte 418 avec ses hommes. « La patrie n’est pas une idée de papier ni un tissu tricolore. C’est une communauté de valeurs et d’arts de vivre qui a le nom et la chaleur des camarades vivants et morts. C’est un élan qui a le visage d’un chef inspirant. C’est une envie d’habiter et de transmettre un haussement de l’être et une passion partagée. » A travers un récit de guerre qui n’est au fond qu’un support, François Bert revient sur un thème qui lui est cher et sur lequel il intervient régulièrement avec le talent qu’on lui connait, celui du commandement, de la prise de décision, du meneur d’hommes. En prêtant sa si jolie plume à Vincent qu’il met face à des situations nécessitant des prises de décisions rapides, lourdes souvent de conséquences en vies humaines, c’est l’étoffe d’un chef qu’il déroule. Courage, discernement, justesse des émotions, instinct, audace, écoute du réel, clarté des objectifs, autant de termes rencontrés dans le monde des officiers dont François Bert est issu et qui peuvent sembler un peu militaires en dehors du cadre de ce récit, mais qui font pourtant aisément écho pour toute personne en situation de management. Un roman donc, qui se lit d’une traite (en deux traites pour être exacte, le temps d’un aller-retour Paris-Bordeaux), mais pas que. Un guide essentiellement, des clés de réflexion et d’analyse pour les chefs actuels ou en devenir.
Quittons les tranchées pour l’Angleterre et le monde de l’enfance. L’enfance d’un homme auprès de qui une canne à pêche était posée au pied de son lit d’hôpital, celle d’un homme qui choisit comme pseudonyme le nom d’un fleuve, celle d’un homme qui compte parmi les plus grands mythes de la littérature et de la réflexion politique par sa capacité à comprendre et exprimer nos tyrannies modernes, Éric Blair alias George Orwell (1903-1950). François Bordes, dans un court essai limpide et passionnant, s’interroge sur les ressorts et la source de la lucidité de l’auteur de 1984, en creusant la question de l’enfance. Enfant solitaire rêvant d’être écrivain, choyé dans son plus jeune âge mais ayant beaucoup souffert durant ses années de pensionnat (dès l’âge de 8 ans), François Bordes décortique l’œuvre et la vie de cet écrivain pour mettre en exergue combien son enfance, et le souci de l’enfance en général, est devenu un critère d’analyse des politiques de domination et d’oppression et une des causes de son engagement socialiste. Deux passions l’animent enfant et resteront son refuge : la pêche et la littérature, ces lieux où l’esprit vagabonde et forge les souvenirs de l’enfant devenu adulte. George Orwell fut profondément marqué par ses lectures de jeunesse (Dickens, Swift, Kipling, Wells…), qui continuèrent à rayonner dans sa vision d’homme mûr. Ce chapitre en particulier est passionnant et presque malgré moi, je me suis sentie happée quelques minutes, quelques heures, vers ma propre enfance et une envie irrépressible de retrouver les sensations éprouvées lors de mes (chronophages) lectures d’époque et il est émouvant de constater en effet à quel point elles ne sont point étrangères à ce que nous sommes devenus. Un essai sur George Orwell mais avant tout un formidable voyage dans les méandres de l’enfance et son regard, un plaidoyer pour protéger et préserver l’enfant permanent en chacun de nous.
Un beau voyage en hiver, des livres encore et toujours, jamais sans le regard d’elvire, perçant brillant.
Vous êtes indulgent Monsieur l’Anonyme