Antonia de Gabriella Zalapi

Journal de 1965-1966

« Il parait qu’un jour on se réveille affamé de ne pas avoir été ce que l’on souhaite (…) Mon mariage n’est pas celui que j’espérais. (…) J’ai été d’une naïveté grotesque en l’épousant. Je suis simplement supposée obéir, entretenir la maison et superviser l’éducation de notre fils. Rien de plus. Je suis sa subordonnée, son obligée. (…) Je me suis demandée jusqu’à quand l’intimité dure. J’ai compris que les lettres de Franco que je prenais pour de l’amour n’étaient que des mots sur des lignes droites, enfermées entre deux marges. De l’air. Fuir. M’évaporer. Me protéger. Crever. Pleurer. Je veux disparaitre dans l’anonymat. »

 Artiste plasticienne formée à la Haute école d’art et de design à Genève, Gabriella Zalapì puise son inspiration dans sa propre histoire familiale dont elle reprend photographies, archives et souvenirs pour créer des œuvres qui oscillent entre histoire personnelle et fiction. Cette réappropriation du passé, qui s’incarnait jusqu’ici dans des dessins et des peintures, se transpose cette fois à l’écrit dans un premier roman, Antonia, sorti en janvier.

Ecrit sous forme de journal s’étalant sur une année environ, ce livre d’une centaine de pages est un petit bijou, admirablement ciselé. Un livre de femme, écrite par et sur une femme, avec une vision implacable sur le couple, la maternité, l’émancipation de la femme, le carcan social et familial, le poids du passé. Quelques photos venant s’intercaler entre les lignes rendent le récit encore plus saisissant et troublant, et contribuent à rendre impalpable cette frontière étroite entre mémoire ou roman.

Une immersion dans les photos, lettres et journaux hérités de sa grand-mère décédée permet de dresser un rapide portrait de sa famille venant de tout continent, de ses liens, de ses secrets et de ses rancœurs, de son enfance, le tout entrecoupé par l’exposé lapidaire d’un quotidien enserré dans un mariage bourgeois, froid et sans amour, la dépossession de son rôle de mère, le malaise que lui procure la bonne société, ces fameuses « journées-lignes » écrit Antonia, faisant naître chez le lecteur un même sentiment partagé d’étouffement.

Apparemment privilégiée et préservée, Antonia se met à nu pour témoigner de cette hypocrisie jusqu’à en crever, de cette ambiance mortifère et de cette vision étriquée. Les dates s’enchainent et l’horizon s’épaissit de plus en plus.

 « Est-ce que tu serais capable de tout planter là et de recommencer ta vie ? De choisir une chose, une seule chose et d’y rester fidèle ? » écrit-elle en reprenant une réplique de Fellini.

Des forces pour réagir, Antonia en trouvera avec ce mot question à elle-même qui hante probablement toutes les femmes, et qui reste en suspens comme une claque : « décemment ? ».

Recommencer sa vie, comme si le passé n’existait plus et que le futur s’inscrirait sur une page vierge. Question laissée ouverte. Tout au plus, aurais-je tendance à penser, tentons-nous de l’écrire différemment mais c’est un choix, oui, que de tenter d’y rester fidèle, à tout le moins de rester fidèle à soi-même.

Un grand souffle littéraire. Une pépite de cette rentrée.

Gabriella Zalapi,  Anglaise, Italienne et Suisse, a vécu à Palerme Genève, New York, et habite aujourd’hui Paris. Ses longs séjours à Cuba et en Inde ont également été déterminants pour donner corps à l’une de ses préoccupations essentielles : comment une identité se construit ?

3 réponses
  1. Pierre Marie
    Pierre Marie dit :

    Notre Elvire pose toujours les bonnes questions au travers de ses lectures. La Vérité, en Vérité est son credo…
    Se ment on a soi même? Telle est la vaste question… de ce billet inspiré et toujours aussi plaisant à lire, par l’intelligence et le brio de cette relecture magnifique.

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  2. Ludivine
    Ludivine dit :

    Est on fidèle à soi?
    Vaste questionnement et ouvrage que vous partagez avec nous , toute votre finesse et ce regard gourmand contribuant à nous donner envie de le lire à notre tour

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  3. Isabelle
    Isabelle dit :

    Un prénom qui a hanté mon enfance et mon adolescence. Porté par une femme incandescente qui avait répondu à cette question : décemment?
    Une raison pourquoi je n’osais pas lire ce livre. Et pourtant … Comme toujours, dans ton regard si clair, un livre qui semble toucher l’essentiel. Merci madame !

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