L’homme du ressentiment de Max Scheler
« C’est à la suite d’un conflit intérieur d’une violence particulière qui met aux prises d’une part la rancune, la haine, l’envie, etc… et leurs modes d’expression, de l’autre l’impuissance, que ces sentiments prennent forme de ressentiment. (…) Il va de soi que le ressentiment ne peut déterminer que le faux jugement de valeur et les actes qui en découlent. (…) Dès là que l’homme du ressentiment ne parvient plus à justifier, à comprendre, à réaliser son être et sa vie, en fonction des valeurs positives ; dès là qu’une faiblesse, une peur, une angoisse l’empêche de se rendre maitre de ces choses ou de ces qualités, insensiblement, son sens des valeurs met tout en œuvre pour venir décréter que « tout cela n’est rien ». Par cette sublime vengeance, le ressentiment joue véritablement un rôle de créateur dans l’histoire des jugements moraux et des systèmes de morale. »
L’homme du ressentiment, c’est cet homme qui, par la force conjuguée de l’envie, du désir, de la haine, de la rancune, de la jalousie ou de la vengeance, et de son impuissance (physique, sociale, morale, intellectuelle, etc..) à pouvoir les assouvir, les exprimer ou les transcender, va entretenir un certain nombre d’émotions de nature à provoquer une déformation plus ou moins permanente du sens des valeurs et de sa faculté de jugement.
Au sein d’une société, plus les lieux de « décharge » de ces ressentiments sont restreints, plus les processus de refoulement sont violents. Autrement dit, plus les institutions telles que par exemple les tribunaux, lieux de justice, les organes de presse, lieux de liberté d’expression, les parlements, lieu de représentation du peuple, sont défaillants ou ne remplissent plus leur rôle ; plus il existe une distorsion entre des droits affichés et une réalité effective, plus les mécanismes de ressentiment opèrent entrainant, suivant les stades, des dépressions, des haines, des renversements de valeur jusqu’à, dans sa forme ultime, créer de nouveaux systèmes de morale.
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