La chambre de l’âme de Paule Amblard
« Cette histoire ne prend pas fin. La lecture d’un manuscrit s’arrête et les jours d’hôpital sont clos. Et pourtant, la maladie nous a laissé sa marque d’amour, intensément. Pendant cette période, je n’ai pensé à rien, à part demeurer auprès de ma « sœur amazone ». J’ai été témoin. Impuissante et présente. J’ai vu la solitude ressentie par celle dont le corps est faible et douloureux et son sentiment d’être abandonnée. Sans pouvoir y remédier. Dans ce dur creuset de la maladie, nous naissons. La maladie peut faire naître l’amour. Je sais, comme ma sœur, qu’il est plus fort que la mort. (…) Cette interruption de nos trajectoires fut le lieu de notre rencontre. Ce qui saigne peut être blessure divine et donner un supplément de vie »
Un coup de fil du paternel un soir de semaine m’enjoignit de regarder en replay la dernière émission de l’Esprit des Lettres avec cette indication (que je prends comme une magnifique marque d’amour, car elle signifie en creux qu’il me connait bien et y contribue) : « deux invités devraient te plaire et te toucher ».
Le premier auteur était Louis Bouffard, venu présenter son premier roman « Une lueur dans les tranchées » édité chez Téqui, vis-à-vis duquel il est effectivement difficile de rester insensible tant la douceur et la simplicité de ce jeune homme, assis dans son fauteuil roulant, irradié de foi, vous saisissent. L’émotion de l’animateur fut elle-même palpable au cours de l’émission et il y a des moments comme cela où vous vous sentez saisi par la force de l’instant. Son roman, lu dans la foulée et dans cet état d’esprit, est totalement à son image.
Le deuxième invité qui devait me plaire était cette fois-ci une femme, Paule Amblard et son livre La chambre de l’âme, et c’est à elle que je souhaitais consacrer mon billet du jour.
Mêlant subtilement autobiographie et fiction, Paule Amblard démarre son récit au sein d’un hôpital où deux sœurs, l’une malade, l’autre accompagnante, vont se voir tous les jours dans cette chambre 136, aussi insipide que la nourriture qui y est servie, témoin des examens, des soins, des angoisses, des souffrances et des espérances qui se succèdent, se chevauchent et s’entrecroisent. Proches dans l’enfance, plus distantes adultes, cette épreuve sera leur renouveau à travers la lecture d’un manuscrit enluminé du Moyen-Âge, « Le pèlerinage de l’âme humaine », écrit par un moine du XIVème siècle, Guillaume de Digulleville. Leur intimité retrouvée trouve sa source dans la découverte du voyage de l’âme après la mort, qui leur permit de passer outre le miroir de la maladie, pour se nicher vers des hauteurs que le lecteur que nous sommes tente d’atteindre avec elles.
Ce témoignage est absolument fascinant. Emaillant le récit, les enluminures illustrent le texte de Guillaume de Digulleville que Paule Amblard nous reproduit pour partie. Du moment où l’âme quitte le corps, elle se voit nue, revêtue du sac de ses actes passés et mauvaises actions, sa conscience obscurcie par le manque d’amour ici-bas. Son ange gardien, toujours présent, la guide lors de toutes les étapes indispensables à sa purification avant d’entrer pleinement au paradis, et l’on comprend dès lors pleinement l’importance de la prière pour les âmes du purgatoire.
L’auteur mêle au récit ses propres analyses, pour éclairer le lecteur et de façon plus romanesque, la sœur malade, éloignée (en apparence) de toute forme de spiritualité. L’impuissance face à la maladie, la présence silencieuse, se transforment ainsi au fil des jours en qualité d’être qui agit en profondeur.
Le livre s’achève sur cette citation d’Alexandre Soljenitsyne : « La vraie vie, l’acte de vivre, comporte une telle intensité de bonheur que la mort semble alors contenue dans cette vie. La façon de mourir est ce qui unit et départage le plus les hommes. Chaque homme possède en lui une force spirituelle, un trésor humble et inébranlable. »
Historienne de l’art et conférencière, Paule Amblard a écrit de nombreux ouvrages, en particulier sur les Tapisseries de l’Apocalypse. Elle a également publié Un pèlerinage intérieur en 2017 et Les enfants de Notre-Dame en 2021.
Envie de le lire
Si bien écrit…c’est toujours aussi fascinant 🙂
Sans commentaire ou beaucoup au contraire.
Elvire comprendra. Magnifique billet