Les vaincus d’Irina Golovkina

« Grand-mère prie, elle va régulièrement à l’église et nous bénit d’un signe de croix, mais elle juge cependant possible de mépriser tant et tant de personnes autour d’elle. J’ai grandi depuis l’enfance dans un profond respect de notre cercle familial et de nos principes et encore maintenant je reste convaincue qu’on m’a éduquée de façon très sensée. Toutefois les manières ne déterminent pas tout. La foi, la prière, l’aspiration à la perfection, dans notre éducation tout cela était abordé de façon trop superficielle. On cultivait en nous l’amour de la patrie, mais moins celui du prochain en général.

Voilà, il ne me reste plus que quelques minutes maintenant… Je suis face au grand changement. En même temps que mon corps disparaîtront toutes les conditions habituelles de l’existence et beaucoup d’autres choses qui paraissaient essentielles et précieuses… Tout, mais pas mon amour, l’enveloppe physique disparait mais l’amour restera. A cet instant, et ce fut une certitude pour lui, celle-ci portait en elle le pressentiment de la vie éternelle. »

Si je devais recommander un seul livre à lire cet été, un livre qui vous remue les tripes, les entrailles, le ventre, le cerveau, le cœur, vous fait perler les yeux et tressauter l’âme, c’est bien celui-ci.

Ecrit sous le manteau par la petite-fille du compositeur Nicolaï Rimski-Korsakov dans les années 60, publié pour la première fois en 1992, ce roman titanesque de plus de 1300 pages est un pur bijou de littérature, de spiritualité, d’humanité, que sais-je encore. En un mot c’est un livre à lire absolument en vertu de sa puissance évocatrice et sa valeur de témoignage, où transparait en filigrane toute l’âme de la Russie, sa culture, sa foi, son essence même.

Roman de la tragédie russe après l’avènement de la dictature bolchevique, il tente à travers le regard d’une famille de retracer le sort de l’aristocratie russe et plus largement de toute son intelligentsia pétrie d’idéaux et de valeurs patriotiques confrontée, au même titre que tant d’intellectuels, de petits propriétaires, de scientifiques, de paysans, à la dictature mortifère du communisme.

Dans ce cloaque abominable d’appartements communautaires, de délations, de déportations, de camps, de tortures, de morts, de souffrances, de privations, de tickets de rationnement, la beauté de ce livre réside dans la délicatesse et la profondeur avec lesquelles l’auteur retrace la grande Histoire au cœur même de toutes ces histoires individuelles qui, vécues et retracées comme autant de portraits intimes, placent d’emblée ce livre parmi les grands classiques incontournables.

Bien plus qu’un roman, il est de ces livres qui vous remuent de l’intérieur et vous conduisent rapidement à un niveau moral et spirituel où le récit s’efface pour devenir le matériau d’où émerge quelque chose de plus grand et nous permet de toucher du doigt des vérités éprouvées au seuil des grands moments de vie.

« Oh ma Patrie ! J’attends ta renaissance ! Quand le brasier sera enfin consumé, quand le Monstre crèvera et que s’ouvrira l’abcès purulent sur ton corps et que sur la Russie ressuscitée se déversera du Ciel « la Lumière terrible », alors je comprendrai pourquoi le sacrifice de telles victimes étaient nécessaires. Mais en attendant… le monde entier est encore recouvert d’un voile funèbre. »

Merci à ma si délicate amie Clémence de l’avoir posé négligemment sur une table de bistrot en me disant « il faut que je te parle de ce livre incroyable »…

2 réponses
  1. eMmA MessanA
    eMmA MessanA dit :

    Malgré le nombre de pages, qui m’effraie un peu, vous m’avez convaincue.
    Je vais passer commande auprès de ma libraire dès son retour de congés.
    Merci beaucoup pour cette page.

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