En deux mois et demi …
Deux mois et demi que je n’ai pas écrit sur ce blog, mon dernier billet datant du 12 février dernier.
Un record de silence.
J’ai effectué mon « carême » social en quelque sorte, lassée du flux et reflux des réseaux sociaux et autres sources d’informations diverses et variées qui ont fini par tarir mon enthousiasme, tant est il est facile de se laisser happer par le côté parfois mortifère, souvent anxiogène, de ce qui est écrit, exposé, commenté, relaté, dans un tumulte qui conduit à user les racines et nous laisser en surface souvent exsangues.
Alors j’ai coupé pour quelques temps, finissant par douter moi-même de l’intérêt de remplir un blog et de la légitimité de mes propres écrits, tant il est vrai que j’étais souvent heurtée de ce que je pouvais lire ou entendre chez autrui.
A trop s’exposer, il me semble que nous en devenons tout à la fois trop vulnérables ou orgueilleux, et qu’à défaut de nourrir son intériorité, nous devenons très vite des coquilles vides. Mon carême ne fut donc pas tant alimentaire que de lutter contre la tentation de m’éparpiller sur tout et rien, voire d’intervenir sporadiquement dans des débats sous le coup d’une impulsion immédiate.J’ai donc pris la ferme résolution, comme on dit en confession, de lâcher du lest, de prendre du recul, de ne plus lire les gens qui m’agacent, en résumé de reprendre une vie moins virtuelle et davantage ancrée dans le quotidien, au profit d’une plus grande sérénité.
Ce qui ne m’a pas empêchée de sortir, d’aller au théâtre (souvent), au cinéma (occasionnellement), au musée (plus rarement) et de chercher le livre profond dont j’aurais envie de parler à la suite du livre sur la joie d’Emmanuel Godo, et en cherchant un, j’en ai lu une bonne dizaine que je vous partage ci-après.
Depuis un certain temps déjà, j’avais très envie de connaître davantage les Maritain. Un nom familier, mais un simple nom qui apparaissait régulièrement dans ma bibliothèque grâce à cette biographie de Jean-Luc Barré que j’avais achetée à une certaine époque pour le lire un jour, mais chose que je ne fis jamais, et qui fut enfin, en quelques livres, une merveilleuse révélation. A dire le vrai, ma première approche de Jacques Maritain s’opéra par des voies parallèles, puisqu’avant de le lire pour lui-même, ou même de lire cette fameuse biographie, j’éprouvai le besoin de le connaître à travers ceux qui l’avaient côtoyé, et qui pouvait en parler le mieux si ce n’est son épouse. C’est ainsi que la première porte ouverte et de fait, mon premier coup de foudre, fut grâce et pour Raïssa, dans ce petit bijou intime que sont Les Grandes Amitiés et son non moins exceptionnel Journal spirituel, qui permettent de découvrir ce couple de l’intérieur avant même d’en connaître les idées. S’en est suivi la lecture de ce tout récent livre de correspondances entre Maritain, Claudel, Mauriac et Bernanos, sous-titré Un Catholique n’a pas d’alliés absolument passionnant et finement commenté par Michel Bressolette et Henri Quantin .
En 1948, Mauriac écrivait « L’histoire de Jacques et Raïssa Maritain, ce serait peu de choses si elle n’était que l’histoire de très belles intelligences : qu’ils soient l’un et l’autre comblés des dons de l’esprit, cela est indéniable, mais enfin nullement exceptionnel. Qu’ils aient reçu la grâce de la conversion dans les circonstances que raconte ce livre n’offre rien non plus qui rende leur aventure différente de beaucoup d’autres. Mais ceci leur est particulier : à travers tant d’années et tant d’épreuves, la fidélité à leur vocation ; cette fidélité a fait de leur modeste maison l’un des centres de vie spirituelle les plus féconds peut-être de France et même d’Europe. Chez eux, la connaissance tourne à l’amour : l’ordre de l’esprit rejoint l’ordre de la charité, voilà le secret de tout ; car qui dit fidélité, dit charité. »
L’ordre de l’esprit rejoint l’ordre de la charité … voilà de quoi méditer. Raïssa, à bien des égards, n’est pas sans présenter quelques similitudes profondes avec mon Elisabeth Leseur, et pour qui souhaite retrouver le chemin de l’intériorité, cette ouverture du cœur et la soif de vérité propres aux âmes habitées, je vous en recommande chaudement la lecture.
J’ai par la suite farfouillé dans ma très (trop) haute pile de livres à lire pour faire remonter en surface quelques romans choisis au gré de mes découvertes ou envie du moment, pour dévorer quelques pépites que je vous livre simplement ci-après.
Les premières pépites sont les œuvres de Kazuo Ishiguro, prix Nobel de littérature en 2017. Ce nom vous est peut-être inconnu mais probablement pas ce chef-d’œuvre Les vestiges du jour, dont fut tiré ce magnifique film éponyme avec Emma Thompson et Anthony Hopkins. Ishiguro est à l’Angleterre ce que François Cheng est à la France : un amoureux des mots et de la culture du pays qui l’a vu grandir tout en restant empreint de la richesse de ses origines asiatiques, ce qui confère à ses livres un petit quelque chose d’indéfinissable, oscillant entre poésie, silence, mystère, richesse des mots et de la pensée. Ces deux livres ci-dessous sont des ponts entre l’Orient et l’Occident, le Japon et l’Angleterre, de la très belle littérature, tout simplement.
Une autre pépite est Léviathan de Julien Green. Maeterlinck a écrit, après l’avoir lu, avoir découvert « tout à coup un Balzac souterrain qui promenait sa lampe de mineur dans des ténèbres bien plus épaisses que celles auxquelles nous sommes accoutumés ». Une passion qui vire au cauchemar dans une petite bourgade de province où la lumière peine à jaillir de cette noirceur des êtres qui vous éclabousse tant elle est là, réelle, tangible, palpable. C’est vous, c’est moi, le commerçant du coin, le voisin. Un livre grandiose, à la plume acérée, lucide, féroce, géniale, de la grande littérature.
Dans la même veine, bien que le style et le cadre soient différents, je vous invite également à lire Le Tunnel d’Ernesto Sabato, écrit en 1948 et qui est un chef-d’œuvre de la littérature argentine. Explorant lui aussi les noirceurs de l’âme, sa folie, sa déshérence, ce livre est absolument magistral, même si personnellement je regrette l’absence de rédemption qui elle, est toujours présente plus ou moins en filigrane chez Julien Green. Très court, il n’en est pas moins dense et je dois d’ailleurs cette découverte au non moins illustre Juan Asensio, bien connu des lecteurs qui suivent les blogs littéraires pour son regard exigeant et analyses percutantes.
Je dois aussi à Juan Asensio la lecture de cet autre petit chef-d’œuvre littéraire Un été à Baden-Baden de Leonid Tsypkin, une œuvre absolument originale mêlant réalité et fiction, palpitant au rythme d’un portrait de Dostoïevski et du parcours du narrateur qui, sur ses traces, nous dresse celui des souffrances de l’ère soviétique. Cette confusion de temporalité peut rendre la lecture ardue il faut bien l’avouer. Cependant, Leonid Tsypkin est un des écrivains juifs russes le plus important et le plus mésestimé du XXème siècle, un dissident qui a été confronté à l’antisémitisme tout au long de sa vie et qui, contraint d’envoyer clandestinement son travail hors de la Russie soviétique, n’aura eu qu’un succès que posthume.
Parmi les écrivains qui ont un souffle quasi christique, dégageant une émotion et une puissance rare à notre époque, il me faut citer Sylvie Germain que je ne lis pas assez malheureusement et que j’ai redécouvert avec son Eclats de sel : « Que savons-nous d’ailleurs des pleurs cachés des uns et des autres ? Rien! Et des larmes des anges qui boîtent dans nos ombres de pêcheurs désinvoltes ? Moins que rien ! Quant aux larmes que Dieu verse au plus secret de sa solitude, nous en ignorons tout ; au mieux, nous les nommons silence, au pire, nous les taxons de mutisme. » Un homme repu de liberté mais infirme d’idéaux, qui effectue un exil à rebours pour retrouver le sens et la conscience de la vie.
J’ai lu également dans le train le dernier Houellebecq, Sérotonine, que je ne classerai pas dans la catégorie des pépites, si ce n’est pour sa dernière page qui arrive presque comme une sorte de respiration spirituelle tout à fait inattendue. Mais quitte à citer mes dernières lectures, je n’en fais pas l’impasse car même s’il est tout à fait compréhensible de détester et l’auteur et son œuvre, on ne peut nier qu’il a des éclairs de génie, des pages savoureuses et son dernier livre n’est pas exempt de quelques traits d’humour et de réalisme cynique qui lui sont tout à fait caractéristiques.
Ma libraire et une amie m’ont conduite à lire dans la foulée Le Lambeau de Philippe Lançon, prix Fémina 2018. Plus de 500 pages consacrées à ce que je croyais être un simple témoignage d’un journaliste rescapé de l’attentat de Charlie Hebdo mais c’est bien plus que cela. Avant d’être une histoire personnelle, c’est d’abord une œuvre littéraire, et il me faut reconnaître que c’est un livre que j’ai trouvé éblouissant. Eblouissant par la qualité de l’écriture, éblouissant par la teneur des propos, et admirable eu égard à ce que l’auteur a vécu et qu’il nous raconte avec force détails chirurgicaux et précisions de tous ordres, mais sans être ni larmoyant, ni vindicatif, ce qui est tout à fait extraordinaire compte tenu du contexte. Quelques lignes tout au plus sont consacrées à une brève analyse des évènements, mais alors qu’il est en quelque sorte une « gueule cassée » du XXIème siècle, il nous offre un livre totalement inclassable où la souffrance n’est pas que celle du corps, mais aussi celle d’un homme qui relit le monde et s’y insère sous un prisme différent.
Je ne peux pas ne pas citer également le dernier livre du Cardinal Sarah avec Nicolas Diat, Le soir approche et déjà le jour baisse. Son livre Dieu ou rien fut une révélation, La force du silence une méditation. Celui-ci est malheureusement … un désappointement. Les critiques sont plutôt élogieuses, mais pour ma part, je l’ai refermé avec un goût amer, le trouvant très noir, sans aucune concession pour l’Occident, et même si l’analyse est souvent percutante et attendue en quelque sorte, j’y ai certes retrouvé l’homme de foi, l’homme de radicalité, mais très peu l’homme d’espérance. Peut-être cette lecture est-elle venue se mêler à ce sentiment de trop plein dont j’ai parlé au début sur des thèmes dont beaucoup se sont saisis ces dernières semaines, peut-être que de temps en temps, j’aimerais lire que nous habitons un pays merveilleux et que nous devrions nous réjouir, peut-être que je finis par me dire que notre époque au fond n’est pas pire que les précédentes à bien s’y pencher, peut-être que ce mode « questions / réponses et citations abondantes » rend la lecture peu fluide, autant de peut-être qui ont eu pour conséquence de ne pas me sentir aussi émerveillée et transportée à la hauteur de ce que j’en attendais.
Je termine sur Théophilos de Miachel D. O’Brien, sorti en 2012, qui était un des derniers livres de cet auteur, que j’apprécie énormément, que je n’avais pas encore lu. On y retrouve toute la gravité et la douceur de cet auteur catholique, prophète sans posture, messager sans coup d’éclat, toujours d’une profonde humanité. Voici la 4ème de couverture pour vous en livrer le résumé : Qui est le mystérieux Theophilos auquel Luc adresse son évangile ainsi que le récit qu’il fait des Actes des apôtres ? Si l’exégèse moderne ne sait en retrouver les traces, M.-D. O Brien, lui, brosse avec saveur le portrait d’un homme éduqué et assoiffé de vérité dont il fait le père adoptif de Loukas, le futur évangéliste. Médecin humaniste et philosophe, Theophilos, qui a arraché le jeune Loukas à l’épidémie de peste dont il est sorti orphelin, sera à son tour happé par la soif de vérité qu’il découvrira dans le cœur de ce jeune homme qu’il a lui-même formé à la médecine. Une plongée troublante et puissante au cœur de l’Empire romain des premières décennies du christianisme, faisant défiler magistralement des personnages familiers au lecteur du Nouveau Testament dont il vient renouveler la lecture.
Un roman foisonnant, historique et spirituel qui se lit d’une traite.
… Parce qu’on ne se relit jamais assez et qu’on laisse passer des fautes. Mille excuses. Vous ferez le tri !
« Le soir approche et déjà le jour baisse ».
Vous dites : « j’y ai certes retrouvé l’homme de foi, l’homme de radicalité, mais très peu l’homme d’espérance. »
Nous savons tous que les prophètes ne sont pas entendus … On ne veut pas les écouter parce qu’ils nous disent souvent ce que nous n’aimons pas entendre. Le cardinal Sarah a une histoire qui peut bien nous conduire à mieux comprendre le monde où nous vivons. Vous dites « Je l’ai refermé avec un goût amer ». L’avez-vous vraiment lu jusqu’à la dernière page. Je pose la question sans esprit critique malveillant. Pour ma part je suis plongé dans la lecture. L’espérance demande à regarder aussi le passé et le présent. L’espérance n’est pas ce que nous rêvons, ce que nous voudrions voir demain… ou après-demain. Certes on ne peut lire ce livre sans se poser des questions… de vraies questions. Mais l’espérance n’est pas une utopie, vouloir repeindre en vert ce qui aujourd’hui est gris voire, noir. Pour espérer il faut partir. Sans espérance on ne partira jamais. Le quai du départ est noyé dans une brume épaisse, mais c’est notre monde. Celui que nous connaissons sans être, sans doute, les acteurs principaux. Nous ne sommes pour l’immense majorité d’entre nous que de simples figurants. Je partage avec vous seulement qu’il est un homme de foi et de radicalité. Mais celui qu’il suit il l’appelle dans le premier livre du tryptique, « Dieu ou rien ». Il n’y a plus beaucoup de foi aujourd’hui. Il y a si peu d’amour. Il ne reste que l’espérance. Le diagnostic que le cardinal porte sur le monde est sévère mais il est vrai et si nous ne sommes pas capable de le recevoir sans la conviction que c’est justement sa vérité qui est porteuse d’espérance parce qu’elle doit nous inspirer pour le changer, à notre mesure, c’est que nous ne comprenons pas ce qu’est la vertu de l’espérance.
PS : Le site est en panne… simplement en sommeil.
« Le soir approche et déjà le jour baisse ».
Vous dites : « j’y ai certes retrouvé l’homme de foi, l’homme de radicalité, mais très peu l’homme d’espérance. »
Nous savons tous que les prophètes ne sont pas entendus … On ne veut pas les écouter parce qu’ils nous disent souvent ce que n’aimons pas entendre. Le cardinal Sarah a une histoire qui peut bien nous conduire à mieux comprendre le monde où nous vivons. Vous dites « Je l’ai refermé avec un goût amer ». L’avez-vous vraiment lu jusqu’à la dernière page. Je pose la question sans esprit critique malveillant. Pour ma part je suis plongé dans la lecture. L’espérance demande à regarder aussi le passé et le présent. L’espérance n’est pas ce que nous rêvons, ce que nous voudrions voir demain… ou après-demain. Certes on ne peut lire ce livre sans se poser des questions… de vraies questions. Mais l’espérance n’est pas une utopie, vouloir repeindre en vert ce qui aujourd »hui est gris voire, noir. Pour espérer il faut partir. Sans espérance on ne partira jamais. Le quai du départ est noyé dans une brume épaisse, mais c’est notre monde. Celui que nous connaissons sans être, sans doute, les acteurs principaux. Nous ne sommes pour l’immense majorité d’entre nous que de simples figurants. Je partage avec vous seulement qu’il est un homme de foi et de radicailité. Mais celui qu’il suit il l’appelle dans le premier livre du tryptique, « Dieu ou rien ». Il n’y a plus beaucoup de foi aujourd’hui. Il y a si peu d’amour. Il ne reste que l’espérance. Le diagnostic que le cardinal porte sur le monde est sévère mais il est vrai et si nous ne sommes pas capable de le recevoir sans la conviction que c’est justement sa vérité qui est porteuse d’espérance parce qu’elle doit nous inspirer pour le changer, à notre mesure, c’est que ne comprenons pas ce qu’est la vertu de l’espérance.
Le site est un en panne… simplement en sommeil.
Quelle richesse en deux mois et demi ! J’en suis baba je ne peux toutes les prendre, mais
en tous cas merci de nous faire part de vos découvertes.
Henri
Vous avez eu raison de vous retirer pendant un certain temps, il faut à tout prix préserver notre désert intérieur et le nourrir.
Merci pour vos choix de lecture.
Merci de me lire et de vos encouragements chaleureux