Soumission de Michel Houellebecq

« Je me rendais bien compte pourtant, et depuis des années, que l’écart croissant, devenu abyssal, entre la population et ceux qui parlaient en son nom, politiciens et journalistes, devait nécessairement conduire à quelque chose de chaotique, de violent et d’imprévisible. (…) Jusqu’à ces derniers jours j’étais encore persuadé que les Français dans leur immense majorité restaient résignés et apathiques. (…) Je m’étais trompé ».

Certains livres vous font de l’œil depuis leur sortie, vous connaissez leur existence, vous savez de quoi ils parlent, vous ne doutez pas du talent immense de leur auteur qui confine au génie, et pourtant, vous savez pertinemment  au fond de vous que si vous les lisez, il est plus que probable que l’effet qu’il vous procurera vous ferait presque regretter de les avoir ouverts.

Pétrie d’idées chevaleresques, sensible aux grandes envolées lyriques et à notre histoire, nourrie d’un vaste sentiment patriotique, toujours très prompte à vibrer à des causes auréolées d’honneur et de résistance, ulcérée très rapidement par la tournure que peuvent prendre certains sujets qui me tiennent à cœur, je me connais suffisamment pour me protéger instinctivement de thèses, livres, films ou fréquentations qui viendraient immédiatement titiller en moi des sentiments spontanés de colère, d’amertume, de crispation, de nostalgie voire même de désespérance.

Le grand risque à ce petit jeu est qu’à être trop observateur, nous en oublions de vivre voire même d’être juste humains. Adopter le prisme de la bienveillance n’empêche pas une certaine lucidité, mais il permet de ne pas basculer dans un instinct d’aigreur, d’hostilité et de recherche d’entre-soi.

L’envie de lire cet ouvrage était donc déjà là mais l’occasion n’avait pas été provoquée jusqu’à ce qu’une amie me l’offre tout récemment. Je ne sais pas si je dois l’en remercier car comme je m’y attendais, je termine ce livre remontée comme une cocotte-minute sous pression.

Soumission, livre quasiment visionnaire tant l’époque troublée que nous vivons pourrait transformer la fiction en une cruelle réalité, a suscité en moi une envie irrépressible de bouter le Sarrasin hors de France et de donner un gros coup de pied dans la sphère politico-médiatique qui contribue à l’agonie de notre civilisation.

Sorti le jour même des attentats contre Charlie hebdo, ce roman de type politique-fiction anticipe un futur proche dans lequel est élu un président de la République issu d’un parti politique musulman.

Il a pour décor une France où s’affrontent régulièrement identitaires et salafistes, le tout dans le silence des médias craignant un embrasement généralisé au profit du Front national dont les scores élevés dans les sondages laissent supposer sa victoire possible aux prochaines présidentielles.

Partis de droite et de gauche décident alors de s’unir avec le parti musulman afin de lui assurer la victoire.

Si le rôle d’un écrivain est de révéler la société et la nature humaine, Michel Houellebecq a parfaitement réussi sa mission. Sa plume est incisive, sans concession, crue. Son personnage principal, un brillant professeur de la Sorbonne féru de Huysmans, entame sa quarantaine sous le signe de la vacuité et la solitude après une vie intellectuelle qui décroit au rythme de celle de sa vie sexuelle, et les évènements auxquels il assiste lui fourniront contre toute attente une nouvelle vie.

Michel Houellebecq campe avec lucidité les grandes mutations auxquelles nous assistons, et rend plausible l’émergence d’un parti musulman arrivant au pouvoir par voie démocratique sans grands heurts ni des médias ni de la grande majorité de la population, face à une gauche engluée dans son combat de l’antiracisme et  à une droite  essayant en vain un retour aux valeurs traditionnelles.

Les têtes se couvrent, la polygamie est de mise, les conversions se multiplient pour accéder ou conserver les postes d’enseignement mais le chômage baisse, les moyens alloués aux grandes institutions de prestige sont illimités, la famille est valorisée, la délinquance disparait.

Rencontrant un succès fulgurant dès sa parution, les évènements conduisirent l’auteur, mis sous protection policière, à en suspendre la promotion.

Provocation, vision prémonitoire, génie, il est difficile de ne pas faire le parallèle de ce livre avec celui de Jean Raspail, Le Camp des Saints paru en 1973 qui anticipait une déferlante de migrants sur nos côtes méditerranéennes,  et qui avait également à l’époque créé de vives polémiques (lecture en cours qui donnera lieu probablement à un autre billet… ou pas).

Livre troublant, qui nous interroge avec vigueur sur qui nous sommes face à l’autre et sur notre civilisation.

Autant de questions sur lesquelles nous aimerions ne pas avoir à choisir un camp.

 

 

 

 

3 réponses
  1. WAROUX Lucile
    WAROUX Lucile dit :

    Complètement d’accord avec Gustave.

    Pour la petite histoire ce livre a été le deuxième que j’ai jeté à la poubelle (impensable!), mais celui-ci, sans l’avoir lu. Il a été donné à mon mari dans le train. Je l’ai récupéré à la gare, il l’avait lu d’une traite: il était comme groggy et souriant en coin, le cristallin un peu opaque, il me l’a raconté entre fascination, colère et fantasme: je l’ai jeté et ce n’était pas un poche.
    J’ai un peu regretté par la suite car je n’avais aucune citation à donner pour faire valoir ma critique dans des débats enflammés car il enflamme, ce bouquin. Mais pas beaucoup regretté.

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  2. Gustave
    Gustave dit :

    Billet remarquable ou comment affirmer ses convictions sans tomber dans l’écueil de l’excès. Cette analyse est d’une finesse et d’une subtilité qui sont vos marques de fabrique, made in France.

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