Paris sous la pluie
« Par les deux fenêtres qui sont en face de moi, les deux fenêtres qui sont à ma gauche, et les deux fenêtres qui sont à ma droite, je vois, j’entends d’une oreille et de l’autre tomber immensément la pluie. Je pense qu’il est un quart d’heure après midi : autour de moi, tout est lumière et eau. Je porte ma plume à l’encrier, et jouissant de la sécurité de mon emprisonnement, intérieur, aquatique, tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème. » Paul Claudel
Pour un mois d’août, le temps est particulièrement exécrable. Il pleut, le ciel est gris, et lorsque le soir tombe les températures chutent lourdement. Un temps à rester enfermée, ce qui n’est pas fait pour me déplaire à dire le vrai, mais un peu tristoune dans une période où une activité professionnelle quasiment en berne devrait permettre de flâner davantage dans les rues Paris sans parapluie.
Alors que fais-je à Paris sous la pluie quand elle s’est vidée non seulement de ses habitants mais également de quasiment presque tous mes amis ?
Rien de nouveau : je lis, je vais au cinéma et je vais au théâtre. A peu près la même chose que lorsqu’il fait beau pour être honnête, si ce n’est qu’on peut rajouter une vie sociale plus dense en temps normal et mes si chers trolls bien évidemment.
J’aime Paris au mois d’août car c’est la seule période de l’année où j’ai réellement l’impression de prendre le temps de vivre. Pas d’horaires, de courses effrénées contre la montre, de rendez-vous improbables à caler dans des agendas déjà surchargés, de métros blindés, de nounous à gérer, de devoirs à superviser, de téléphone qui sonne sans cesse, de boulot à ramener chez soi le soir : le moment parfait propice à la pratique de l’eutrapélie, pour reprendre un mot rigolo trouvé dans un article qui a circulé sur la toile (vertu qui consiste à savoir s’accorder une légitime détente).
Vendredi a été probablement la journée la plus calme de la semaine, au point de passer l’après-midi à jouer à jouer au Trivial Poursuit au bureau avec les deux collègues qui tiennent la permanence avec moi. Je me réjouis que mon boss ne connaisse pas l’existence de mon blog car je ne suis pas sûre qu’il saute au plafond de joie en lisant cela, mais les jeux de société ont l’immense vertu de créer des liens privilégiés entre ses adeptes. Si tant est qu’il existait encore quelques freins à une intimité plus grande entre nous, je crois qu’ils sont définitivement tombés par le fruit de l’hystérie provoquée par la quête des fameux camemberts où, le sport notamment, en ce qui me concerne, relève de la loterie !
Dunkerque de Christopher Nolan
Donc vendredi soir, comme il ne faisait pas très beau, je suis allée voir le dernier film de Christopher Nolan, film actuellement à l’affiche qui retrace l’évacuation des troupes alliées de Dunkerque en mai 1940.
Moult critiques mettent en exergue des erreurs historiques et regrettent l’absence des soldats français. Pour ma part, faisant abstraction de ces éléments que je ne juge pas pertinents dans le cadre de ce film, je l’ai trouvé formidable. Le réalisateur s’attache à travers quelques personnages à retracer de l’intérieur ce qu’a pu être l’évacuation des soldats anglais de Dunkerque, et les scènes, où les dialogues sont quasiment inexistants, sont magistralement filmées et portées par la musique de Hans Zimmer. Le passage où l’officier voit les bateaux de plaisance anglais venir à la rescousse de la flotte militaire récupérer ses soldats sur la côte française ou dans la mer suite aux incessants bombardements aériens, et murmure « Patrie » les larmes aux yeux, est sublime.
A voir, car c’est un grand moment de cinéma.
Les faux British au Théâtre Saint Georges
Ce samedi pluvieux était consacré à la lecture quand je reçois un SMS d’un de mes amis, mon ami exceptionnel de sorties.
« Mon Elvire, je suis prisonnier d’une mélancolie qui m’étreint. » (Bigre …)
« J’ai entendu parler à la télé d’une pièce de théâtre qui a l’air formidable, j’ai pris deux places, j’aurais une joie immense si tu venais avec moi ». (Notez « une joie immense » : ma compagnie est certainement des plus agréable mais cet ami est en quelque sorte la version masculine de mon ami Sucre d’orge, tout en émotion spontanée et dosée).
« Il s’agit des Faux-British au Théâtre Saint Georges » (Ah oui, il est souffrant, nous y étions allés ensemble l’année dernière, un cadeau de ma part en plus … !)
Le Théâtre Saint Georges est un petit théâtre du 9ème arrondissement inauguré en 1929, au sein duquel François Truffaut a tourné certaines scènes de son film Le dernier métro, et que l’on doit à l’architecte Charles Siclis. Il se situe à l’angle d’une des plus ravissantes petites places de Paris, la place Saint Georges où trône le Monument à Gavarni du sculpteur Denys Puech.
Les Faux British est une pièce qui a reçu le Molière de la Comédie en 2016. Elle réunit sept amateurs de romans noirs qui décident de créer un spectacle où le manque de rigueur, catastrophes en chaine, bafouillages, décors brinquebalants se succèderont pour fournir un thriller théâtral dans l’esprit british absolument désopilant.
Je ne me souvenais pas d’avoir autant ri l’année dernière mais la magie du théâtre tenant essentiellement à la rencontre des comédiens avec son public, quand l’alchimie prend et que le rire est contagieux, aussi bien dans la salle que sur scène d’ailleurs, la même pièce peut être plus ou moins bien réussie.
Les ficelles sont un peu grosses et les gags attendus mais c’est une comédie au succès mérité, pour petits et grands.
Je laisse le meilleur résumé à la dame qui était ma voisine de droite : « quand le plaisir est communicatif, on a le droit de réagir. Il faut reconnaître qu’ils se sont bien dépensés et qu’ils ont la santé !».
Les comédiens de la troupe sont par ailleurs charmants, les ayant retrouvés dans Le café -terrasse de la place Saint Georges, portant un nom empli de mystère et ne laissant aucun doute sur son emplacement « A la place Saint Georges ».
En dépit du froid et de nos séants mouillés par les chaises détrempées, nous avons expérimenté l’eutrapélie heureuse en sirotant des jus de tomates. La joie simple dans les petites choses toute simples qui surgissent.
Le monde commence aujourd’hui de Jacques Lusseyran
« Vraiment je n’aime pas mon histoire, je ne peux pas l’aimer. La preuve ? C’est que aussi souvent que j’en ai le loisir, je la recommence en imagination, et cette fois elle a meilleure mine. (…) Pourtant, toutes ces années que je regarde sans trop d’illusions parce qu’elles sont passées (…), ce sont elles, ces années, qui se fondent dans ma joie d’aujourd’hui. Il y a quelque chose en elles qui bouge, qui émet un son continu et, pour le dire nettement, qui triomphe et avance victorieusement d’échec en échec. (…) C’est la vie dans ma vie. »
En me baladant dans l’onglet « Critiques » du site des Editions Corlevour, je suis tombée sur un hommage rendu à Jacques Lusseyran à travers ce livre si dithyrambique, que je me suis empressée de me le procurer et de le lire ce week-end en écoutant en boucle les Litanies de la Vierge de Charpentier.
L’auteur ne m’était pas inconnu car je lui avais consacré mon premier billet de l’année pour son magnifique ouvrage Et la lumière fut reçu en cadeau et je vous y renvoie, car ce que je disais en janvier est valable aussi aujourd’hui.
Devenu aveugle à 8 ans, déporté à Buchenwald à 20 ans en 1944, professeur de français dans un collège de Virginie, il meurt tragiquement à 46 ans dans un accident de voiture.
Jacques Lusseyran n’écrit pas de roman, il célèbre la vie autour de thèmes qui lui sont chers : la joie, la liberté intérieure, l’Espérance. En dépit de toutes les épreuves qu’il a traversées, il éprouve le besoin de nous dire, à 34 ans, ce qui lui a permis de l’aimer cette fameuse vie : la poésie, la littérature, des amitiés exceptionnelles, quelques compagnons de déportation, figures improbables aux portraits si profonds, la foi, sa famille, puis son métier d’enseignant et le bonheur de transmettre.
La joie, cette disposition intérieure qui, quels que soient le lieu où l’on se trouve et les difficultés à surmonter, ne peut en être altérée. Une grâce précieuse à cultiver avec soin, une Lumière qui éclaire toute chose, dont Jacques Lusseyran se fait le chantre à chaque page.
Vous l’aurez compris, ses écrits sont magnifiques, des compagnons de route à poser sur une table de chevet pour ne pas oublier que la vie est un présent qui recommence à chaque instant.
Aux âmes bien nées la valeur et le talent n’attendent pas le nombre des années. Alzheimer non plus.
Pardon ma si précieuse Elvire pour cette soirée particulière où je vous ai imposé un spectacle déjà savouré ensemble qu’un tourment m’a fait oublier. Comme le dit Alain, le philosophe pas le fleuriste de st Mandé, l’amour est sans patience, il espère trop, la moindre négligence lui apparaît comme une insulte…Hugues l’un de vos lecteurs assidus ne le contredirait pas.
J’ai redécouvert ce spectacle avec joie et me retrouver dans ce billet plein de charme et d’humour ( sans oublier la dose de gravité indispensable à votre équilibre…)n’aurait sans doute pas été le cas sans cela. Sans alcool la fête est plus folle, sans mémoire aussi. Votre Gustave, exceptionnel par ses maladresses et ses excès.