Car ils ne savent pas ce qu’ils font de Maxence Van Der Meersch
« Le beau roman, ce ne doit pas être l’histoire d’une exception. Ce doit être un morceau de la vie de tous les jours, où chacun se reconnaisse, et qui pourtant enseigne aux hommes quelque chose que tous ne voyaient pas. (…) Il n’y a rien de plus cruel, de plus mauvais, qu’un homme qui n’aime plus ou qui croit ne plus aimer. (…) Je comprends à présent que je me suis conduit comme un monstre. Vous ne vous imaginez pas la somme infinie de souffrances qu’un homme peut faire endurer à l’esprit de sacrifice de la femme qui l’aime (…) mais l’expérience d’autrui n’a jamais profité à personne.»
Relire Julien Green m’a donné envie de faire perdurer ce saut dans le passé où affalée sur mon lit, je lisais à plus soif ces romans d’une époque révolue, qui comportait certes ses vices et l’empreinte d’une certaine dureté dans les rapports sociaux, mais dont il m’était aisé de compatir en spectatrice extérieure à un âge où la vie vous est douce et sans souci, ou de m’enthousiasmer pour un art de vivre où le port d’une redingote et l’emploi d’un verbe châtié et du vouvoiement rendaient même un malotru civilisé.
C’est fou comme on peut changer avec les années, non pas que cette littérature ne me plaise plus, au contraire, mais elle résonne aujourd’hui de façon différente, et là où je ne voyais (ou ne retenais) que l’exposé d’une vie remplie d’agréments, de mariages à former, de mœurs à respecter, de contingences sociales, le tout dans un style littéraire relevé, la plupart de ces livres, à l’aune de son propre vécu et de quelques désillusions, vous semblent au fond moins superficiels qu’ils semblaient en avoir l’air.
Je ne vous ferai pas de billet sur chaque livre redécouvert, je vous rassure, d’autant que beaucoup d’entre eux, à défaut d’être encore lus, restent connus du grand public ne serait-ce que par les films qui les ont portés à l’écran (les sœurs Brontë, Edith Wharton, Jane Austen, Daphné du Maurier, Michel de Saint-Pierre, Elisabeth Barbier, Pearl Buck, et tant d’autres encore comme Tolstoi, Pasternak …).
Mais certains tristement ne sont plus édités, et il faut courir les bouquinistes pour mettre la main dessus ou espérer avoir conservé sa bibliothèque de jeunesse, elle-même généralement issue des générations précédentes.
Car ils ne savent ce qu’ils font de Maxence Van Der Meersh fait partie de ceux-là, voyageurs égarés qui ont dû passer de mains en mains, jusqu’à ce que, réussissant enfin par conquérir le cœur de son lecteur, ils finissent par rester en place. Je ne pense pas exagérer en disant avoir lu la quasi intégralité de son œuvre, cinq romans ayant fait l’objet d’ailleurs d’une réédition chez Omnibus, en un recueil unique « Les Gens du Nord ».
Il faut dire cependant que Maxence Van Der Meersh n’écrit pas des romans tasse de thé et redingote. Son œuvre, centrée essentiellement autour des gens modestes du Nord, (le monde ouvrier, la misère, la violence), ferait presque figure de reportage social si ce n’était cet acte de foi dans l’humanité que l’on perçoit dans chaque ligne.
Promis à un avenir brillant, Blaise Rameau, fils unique, choyé, élevé pour faire partie des grands de ce monde, tombe amoureux d’une humble ouvrière d’usine, Agnès, avec qui il s’installe contre l’avis de sa mère. Privé de ressources, il sera alors amené à vivre la vie du peuple et endurera toutes les souffrances que cette condition lui impose : les privations, un dur labeur, et assistera impuissant à la fin de ses rêves, à un amour qui s’éteint, à la maladie de sa femme. Au moment de cheminer lui-même lentement vers la tombe, dans une longue confession confiée à un ami, il exprimera tout le remord de n’avoir pu aimer sa femme en retour comme elle méritait et la désillusion de se demander si au fond il aurait pu en être autrement.
Ce roman, partiellement autobiographique, a été écrit en 1933 et donc avant sa conversion intervenue en 1936. Il est d’une tristesse absolue tant le destin semble cruel et se jouer des êtres, tant la souffrance de Rameau est intense. Dans la postface, rajoutée plus tardivement lors de sa réédition, l’auteur indique avoir exprimé la misère morale de ses 20 ans et mesuré l’abîme dont il a pu sortir. L’amour n’est donné à l’homme que comme une occasion magnifique de se dépasser. Lorsque le culte du Moi est trop profondément implanté, l’amour se consume faute d’être offert ou d’être ajusté sans cesse à sa mesure.
« L’amour est un embrasement. Quand il s’éteint, on n’y voit plus, les yeux éblouis ne distinguent plus la clarté d’une lampe qui veille… Voilà comment j’ai cru ne plus aimer. Et cette histoire, c’est celle de tous les hommes. C’est cela qui fait le drame de la vie, la misère de ces séparations, de ces ruptures, de ces divorces où l’on croit briser ses chaines, et où l’on s’aperçoit ensuite qu’on a laissé un morceau de son cœur. (…) Il y avait cet homme, il y avait cette femme… et je ne l’ai pas compris »
Un livre sur la lutte perpétuelle entre ses instincts contraires où la figure d’Agnès est celle du don de soi, de l’amour porté jusqu’au sacrifice.
Le cri de souffrance d’un « sceptique désespéré, obsédé par la pensée du néant, privé d’une philosophie de vie. »
Maxence Van Der Meersch est né en 1907. Il obtient le Goncourt en 1936 pour l’Empreinte de Dieu et le prix de l’Académie française en 1943 pour Corps et Ames, son plus grand succès. Difficile de ne pas citer également la trilogie « La fille pauvre » dont le premier tome est sorti en 1934. Catholique converti en 1936, il a écrit aussi des biographies sur le Curé d’Ars et Sainte Thérèse de Lisieux. Il meurt en 1951 de la tuberculose, à 43 ans. Auteur populaire de son vivant, il est aujourd’hui quasiment oublié.
Un livre, un vrai, doit élever l’esprit de celui qui le savoure, sinon l’auteur n’est qu’un plumitif de la dérision.
Ecrire est une grâce, il faut en être digne, ou … s’effacer.