Bakhita de Véronique Olmi

« Elle ne sait pas comment elle s’appelle. Elle ne sait pas en quelle langue sont ses rêves. Elle se souvient de mots en arabe, en turc, en italien, et elle parle plusieurs dialectes. Plusieurs viennent du Soudan et un autre, de Vénétie. (…) Elle connaît trois prières en latin. (…) On lui a demandé souvent de raconter sa vie, et elle l’a racontée encore et encore, depuis le début. (…) Pour ce récit, sa mémoire est revenue. Mais son nom, elle ne l’a jamais retrouvé. (..) Mais le plus important n’est pas là. (…) Elle garde en elle, comme un hommage à l’enfance, la petite qu’elle fut. Cet enfant qui aurait dû mourir en esclavage a survécu, cette enfant était et reste ce que personne n’a jamais réussi à lui prendre. »

Parmi les sorties littéraires de la rentrée, soulignons ce magnifique livre de Véronique Olmi consacré à Bakhita, sanctifiée en 2000 par le pape Jean-Paul II sous le nom de Sainte Joséphine Bakhita, après avoir été déclarée patronne du Soudan en 1995.

Née vers 1869 dans un village du Darfour, enlevée à 7 ans, Bakhita a connu toutes les horreurs et les souffrances de l’esclavage : marches forcées, faim, maladie, viol, violences, chaines, scarifications, humiliation, fouet. Rachetée par un consul Italien, elle arrive vers 16 ans en Italie en qualité de domestique. Affranchie à la suite d’un procès retentissant à Venise, elle entrera dans les ordres à 20 ans chez les Sœurs de la Charité canossiennes de Venise, chez qui elle demeurait depuis 2 ans pour son éducation. Devenue célébrité de son vivant, à la suite d’un feuilleton retraçant sa vie dans un journal, celle que tout le monde nommait La Moretta meurt en 1947, après avoir traversé les deux premières guerres mondiales.

Ce récit est une énorme claque d’autant que cette sainte m’était totalement inconnue. La première moitié du livre consacrée à sa période d’esclavage au Soudan fait état d’une cruauté quasi insoutenable et il faut avoir le cœur bien accroché. La partie consacrée à sa vie religieuse pourrait sembler plus douce si ce n’est oublier qu’être noire en Italie à cette époque est une curiosité rare suscitant réactions et peurs que nous avons du mal à imaginer aujourd’hui. Bakhita attendra d’ailleurs presque 50 ans avant de rencontrer fortuitement une soudanaise, devenue elle aussi religieuse.

Bakhita ne saura jamais vraiment lire, elle parlera difficilement l’italien, elle ne réalisera pas de grandes œuvres et marquée par ses années d’esclavage, elle restera toujours dans une obéissance humble et discrète, accomplissant des merveilles auprès des enfants. Et pourtant, c’est une figure de l’amour et du pardon.

Pour citer Jean-Paul II, Bakhita « a fait l’expérience de la cruauté et de la brutalité avec lesquelles l’homme peut traiter ses semblables. Enlevée et vendue comme esclave quand elle était encore enfant, elle a connu beaucoup trop la souffrance et ce que c’est que d’être réduit à l’état de victime, des maux qui affligent toujours d’innombrables hommes et femmes dans sa patrie, dans toute l’Afrique et dans le monde. Sa vie inspire la ferme détermination de travailler de manière efficace pour libérer les personnes de l’oppression et de la violence, en assurant que leur dignité soit respectée dans le plein exercice de leurs droits ».

Le Pape Jean Paul II souligna en outre que la vie de Sainte Bakhita montrait « clairement que le tribalisme et les formes de discrimination fondées sur l’origine ethnique, sur la langue et sur la culture, ne faisaient pas partie d’une société civile, et n’avaient absolument aucune place dans la communauté des croyants ».

Pour être tout à fait honnête, je dois cependant préciser que ce livre ayant succédé à quelques auteurs fin XIXème, première moitié du XXème siècle, dont notamment Julien Green et Van Der Meersch, j’ai été quelque peu déroutée par le style littéraire : beaucoup de phrases courtes, utilisation importante du présent, peu d’adjectifs, émotions esquissées … S’il est d’usage de dire que l’essentiel est invisible pour les yeux, ou que le fond prévaut sur la forme, pour ma part, en matière de littérature, la forme soutient le fond et j’ai eu de ce fait beaucoup de mal à rentrer dans ce livre et à vibrer immédiatement avec l’histoire de Bakhita. Comme j’avais parié avec un ami une boite de chocolats si ce livre arrivait à me tirer quelques larmes, très rapidement, j’ai stoppé ma lecture pour opérer des recherches biographiques sur l’auteur, et découvrant que Véronique Olmi écrivait beaucoup pour le théâtre (dont certaines pièces que j’avais vues d’ailleurs …), j’ai modifié mon prisme de lecture pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. Si dans une littérature plus « classique », je me sens comme le crayon qui retranscrit pas à pas sur le manuscrit la pensée de son auteur, les mots partant du cerveau pour se faufiler le cas échéant vers le cœur, avec Véronique Olmi, le chemin est inverse, et se dessine un décor où notre héroïne en serait quelque sorte la comédienne et le lecteur le spectateur. Les mots sont donc un souffle, une respiration sur lesquels se mettre au diapason, se faisant tour à tour rêverie, angoisse, poésie ou souffrance. Le rythme est donc plus ou moins trépidant, le lecteur plus ou moins en apnée.

Je pense très sincèrement que beaucoup de lecteurs n’en seront pas heurtés car ce livre est magnifique et Véronique Olmi nous parle de Bakhita avec une pudeur et une retenue portées par une forte puissance d’évocation, mais je ne peux crier au chef-d’œuvre sans réserve et je suis bonne de surcroit pour acheter la boite de chocolats.

 

1 réponse
  1. Dom-Dom
    Dom-Dom dit :

    L’Afrique nous réserve bien des surprises « religieuses », cette sainte en est un exemple, le cardinal Sarah un autre.

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