Le moine et la comtesse
Dom Guéranger – Madame Swetchine – Correspondance (1833-1854)
« Il faut avouer que c’est un grand bonheur que d’être chrétien ! Ainsi nous partons pour aller à Dieu et notre départ, tout en désolant nos vrais amis parce qu’ils seront longtemps sans nous voir, notre départ ne brise point leur cœur. C’est un adieu, mais un adieu jusqu’au revoir. (…) Je demande à notre Seigneur de me rendre meilleur afin d’être moins indigne d’être exaucé quand je prie pour vous. »
Dom Guéranger
« Que je vous dise combien j’aime vos lettres, leur naturel, leur abandon, leur mouvement qui vient de l’âme, et qui met si bien même l’esprit que vous avez à sa véritable place qui est la seconde, et cette douce chaleur si pleine de vie et dont la source est si évidente. Vos lettres me font un vrai, un sensible plaisir, celui d’être comprise, répondue avant d’avoir parlé, et de trouver dans leur accent, dans l’impression d’un autre, cet unisson que je préfère à toutes les merveilles composées de l’harmonie. »
Comtesse Swetchine
Au début de l’année 1833, l’abbé Guéranger, alors âgé de 28 ans, s’installe à Solesmes avec une poignée de candidats dans l’espoir de restaurer l’abbaye et rétablir l’ordre religieux des bénédictins en France. Très rapidement, les besoins pécuniaires se faisant ressentir, l’abbé Guéranger se rend à Paris pour tenter d’obtenir quelques dons et profite de cette occasion pour se faire introduire dans le salon de la Comtesse Swetchine réputé pour y recevoir l’élite intellectuelle et spirituelle de l’époque.
Née à Moscou en 1782, Sophie Swetchine, surnommée « la Madame de Sévigné russe », grandit à la cour de Catherine II et s’installa à Paris en 1816 avec son mari, peu après sa conversion au catholicisme considérée comme illégale dans la Sainte Russie orthodoxe. Son salon, ouvert l’après-midi, lui permit de recevoir et côtoyer ce que l’époque comptait alors d’esprits vifs et spirituels tels Lacordaire, Chateaubriand, les Ségur, Lamartine, Sainte-Beuve, Madame Récamier, Falloux, Dupanloup, Montalembert et d’autres encore.
De 25 ans son cadet, Dom Guéranger rencontre la Comtesse Swetchine en avril 1833 et s’ensuivit une très longue et très forte amitié qui nous est révélée dans cette correspondance abondante publiée aux éditions de Solesmes en 2019.
Cet échange épistolaire révèle autant la foi partagée que les souffrances et difficultés rencontrées, qu’elles soient matérielles, spirituelles ou physiques, et ce lien invisible qui lie l’essentiel avec la réalité et où le cœur se loge dans ce qu’il y a de plus intime et inviolable de l’âme humaine, crée une de ces grandes amitiés qui font aussi l’histoire du catholicisme.
La convertie et le refondateur, le moine et l’aristocrate, la femme du monde et le religieux, deux personnalités dissemblables et qui pourtant témoignent magnifiquement du réveil catholique au début du 19ème siècle, et de la force d’une amitié qui y a largement contribué. Tous deux partagent le même enthousiasme pour la beauté de la liturgie, la joie d’être catholique, et la Comtesse Swetchine, en accueillant dans son salon la quasi-totalité de l’Eglise militante de son temps, a favorisé considérablement le rétablissement des grands ordres religieux.
Par leur vitalité et leurs actions, en agissant et priant inlassablement pour trouver des amis pieux, des donateurs et des bienfaiteurs, beaucoup de laïcs ont permis de soutenir et encourager les grandes œuvres spirituelles, et la Comtesse Swetchine fait partie de ces figures majeures, aux côtés de Dom Guéranger, qui ont favorisé le renouveau et l’essor de la vie bénédictine à et depuis l’Abbaye de Solesmes.
La Comtesse Swetchine, tout comme les Maritain à une autre époque, porte en elle une compréhension et un respect de l’altérité qui lui permet de nourrir des amitiés très diverses, en dépit parfois de controverses doctrinales vives, ce qui semblait moins être le point fort de Dom Guéranger, plus dogmatique, plus virulent.
Je ne sache rien de plus dur pour un cœur catholique que la persécution ecclésiastique : bien des saints l’ont éprouvée. (…) écrivait Dom Guéranger.
En ces temps difficiles pour l’Eglise, cette correspondance qui est, faut-il le préciser, un petit bijou, procure une lumineuse bouffée d’espérance et éclaire je trouve ce que Lumen Gentium , issue du Concile de Vatican II, rappelle dès les premiers paragraphes, « qu’il faut que tous les hommes, désormais plus étroitement unis entre eux par les liens sociaux, techniques, culturels, réalisent également leur pleine unité dans le Christ. »
Les grandes figures spirituelles sont bien souvent celles associées à des vocations radicales, mais ce serait vite oublier l’importance de chaque chrétien, là où il est, en son temps, qui doit avoir à cœur de ne pas « oublier les promesses de son baptême ».
La Comtesse y aura répondu, et ô combien.
Quand Elvire parle de la foi, elle est habitée. La comtesse du 21eme siècle c’est elle. Pas convertie non elle est née dedans s’en délecte avec naturel. Un passeur oui, un éclaireur. Une éclaireuse pour parler comme aujourd’hui.
Cette Espérance cette Lumière se retrouvent dans vos mots, magnifiques