Le chant du genévrier de Regina Scheer

« Voilà vingt-cinq ans que Marchandel, ce village isolé sur la langue glaciaire de la moraine terminale de Malchin, fait partie de ma vie. Avant cela, je n’y avais jamais mis les pieds. C’est pourtant là que mes parents se sont rencontrés et mon frère Ian, je l’ai toujours su, est né au château de Marchandel. Or Ian a quatorze ans de plus que moi et, à ma naissance en 1960, ma famille habitait déjà à Berlin depuis longtemps. Notre grand-mère, restée à Marchandel, mourut peu après, nous n’avions donc plus de raison de rester au village. C’est du moins ce que je croyais. (…) Dans nos séminaires de bas allemand, nous avions analysé et interprété le conte du genévrier, je n’avais pourtant jamais fait le rapprochement avec le village de mon frère et de cette grand-mère que je n’avais pas connue. »

Autant il est fréquent de trouver des livres sur la seconde guerre mondiale, autant il est plus rare d’en lire sur la RDA, à tout le moins à travers des romans couvrant la fin de la guerre jusqu’à la chute du mur de Berlin et des mois qui ont suivi. C’est donc sans surprise que ce livre ait remporté un vif succès à sa sortie, peut-être parce qu’il fait œuvre de mémoire pour tous ceux à qui cette période semble presque étrangère ou trop lointaine, peut-être aussi parce qu’il fait la lumière sur tout un pan de l’histoire d’un pays qui coupé en deux pendant des dizaines d’années, a quasiment ignoré le sort de ses compatriotes de l’autre côté du mur.

Au sein d’une Allemagne aujourd’hui réunifiée, prendre le risque de donner la voix à ceux qui ont fait des choix souvent incompris des générations suivantes était un pari osé. Pourtant, Regina Scheer, elle-même militante et engagée en RDA, n’hésite pas à raviver ses souvenirs et à convoquer les destins particuliers de ceux qui ont vécu l’Histoire à travers la petite, au sein d’un roman choral où les personnages sont certes fictifs mais permettent d’éclairer avec finesse la situation des Allemands durant cette période.

Qu’ils soient réfugiés, socialistes, communistes, qu’ils aient rêvé à un monde meilleur après le nazisme ou qu’ils l’aient subi, qu’ils soient partis à l’ouest ou qu’ils soient restés, qu’ils se soient battus pour plus de libertés ou qu’ils soient entrés à la Stasi, une chose est sûre : les statuts de victime ou de traitres peuvent basculer rapidement de l’un à l’autre, les choix des générations passées sont rarement compris voire inconnus, et des événements de cette nature sont propices à briser des êtres, des vies et des familles.

Sur fond de saga familiale qui se déploie pour partie au sein d’un village appelé Marchandel, les souvenirs des différents personnages viennent s’imbriquer pour former une chronique de l’histoire allemande qui nous saisit et nous prend littéralement aux tripes.

Spectateur impuissant et lecteur attentif, nous ne pouvons que redoubler d’humilité face à ces destins pris en étau malgré eux et qui inévitablement finissent par se demander : ai-je opéré le bon choix, comment serons-nous jugés par l’Histoire ?

Un livre idéal pour les vacances que je recommande vivement.

2 réponses
  1. LEA
    LEA dit :

    Cette ô combien poétique recension m’évoque ma mienne lecture de Notre histoire, 1922-1945 conversations d’August von Kageneck et d’Hélie de Saint Marc. Se replonger dans des souvenirs est l’occasion de les interroger, non pour s’enferrer dans son passé ou tendre vers un horizon rêvé, mais pour goûter notre dignité d’homme dont l’humble respect de la réciprocité mutuelle est un beau témoignage.

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