Il n’y a qu’un seul droit de l’homme de Hannah Arendt
« Aucun paradoxe de la vie politique contemporaine n’est empreint d’une ironie plus amère que cette divergence entre les efforts d’idéalistes bien intentionnés, qui persistent à présenter les droits comme des droits de l’homme inaliénables dont ne jouissent pourtant que les citoyens des pays les plus prospères et les plus civilisés, et la situation réelle des personnes privées de leurs droits qui s’est, elle, continuellement détériorée, à tel point que le camp d’internement , qui ne constituait avant-guerre qu’une menace exceptionnelle pour les apatrides, devienne une solution routinière au problème du séjour des personnes déplacées. (…) L’apatridie dans des proportions massives a de fait placé les nations du monde face à la question aussi inévitable que troublante de savoir s’il y a vraiment « des droits de l’homme » inconditionnels, autrement dit des droits qui sont indépendants de tout statut politique particulier et qui découlent du simple fait d’être humain. »
Ce recueil, édité en 2021, regroupe un texte inédit d’Hannah Arendt dans sa version originale de 1949 « Il n’y a qu’un seul droit de l’homme », lui-même précédé d’un texte intitulé « Nous réfugiés » de 1943. Longuement préfacés par Emmanuel Alloa, ces deux textes d’Hannah Arendt qui témoignent du sort politique des juifs devenus apatrides, nous mettent face à cette aporie issue de la notion de droits de l’homme et du citoyen, telle que déclarée et développée dans les diverses conventions nationales ou internationales.
Que ces droits soient attachés au statut d’homme ou au statut de citoyen, dans les deux cas, l’existence même de ces droits présupposent de disposer d’un tel statut. Or, de la réalité purement pragmatique constatée sous les pires régimes totalitaires, le droit attaché à la notion même d’homme, comme étant un droit naturel lié à sa sacralité, disparait dès lors qu’un Etat lui renie sa dignité d’homme ou son humanité. De la même façon, un droit attaché à la notion de citoyen, implique de facto que cette personne bénéficie de ce statut de citoyen, et soit donc intégré et reconnu au sein d’une communauté politique ou d’un Etat-nation.
Dès lors qu’un être humain n’existe plus que dans sa réalité-nue, c’est-à-dire sans patrie ou sans statut propre, il ne peut donc bénéficier de ces droits dits inaliénables, ne disposant d’aucune possibilité de les mettre en œuvre. De ce constat longuement développé dans ces deux textes, est née chez Hannah Arendt l’idée qu’avant d’avoir des droits garantis par un Etat ou la communauté internationale, présupposant d’en faire partie, tout être humain doit bénéficier d’un droit originel garanti : celui du droit d’avoir des droits. Tenant compte du fait que les Etats définissent et encadrent des droits de nature hétérogène liés à leur histoire et à leur culture, le premier des droits qui permet de bénéficier de tous les autres, est celui de faire partie d’une communauté politique. A ce titre, ce droit de l’homme à la citoyenneté transcende tous les autres, et doit être, selon Hannah Arendt, le seul droit pouvant et devant être garanti par une communauté de nations.
Ces textes, repris en partie ou développés dans d’autres ouvrages d’Hannah Arendt, sont presque passés inaperçus à l’origine, pour être repris et développés sous des angles variés par différents auteurs en France notamment dans les années 80-90, pour justifier une hospitalité inconditionnelle et la fin des Etats Nations souverains comme créant de facto un droit à l’accueil encadré et limité. Cette figure du « réfugié » sans patrie, qui nourrit toute cette réflexion d’Hannah Arendt et des commentateurs subséquents, est naturellement plus que jamais d’actualité et nous invite à repenser ce lien entre nature humaine et citoyen, dissensus politique pour les uns ou aporie philosophique pour d’autres, qui ne saurait se satisfaire d’une vision purement idéologique.
Admirable
Le droit d’avoir des droits devrait en faire réfléchir plus d’un…