Le chemin du cœur de Charles Wright
L’expérience spirituelle d’André Louf (1929-2010)
« André Louf se situe dans la postérité de cette tradition pour qui la reine des puissances de l’âme n’est pas l’intellect, mais ce qu’on appelle la volonté, c’est-à-dire la faculté d’être affecté, de désirer. Le pivot de l’expérience de Dieu est moins la raison que l’affection (…) mise en branle par l’Esprit Saint, maître d’œuvre de l’intériorité. Louf est l’un des grands pédagogues de cette sensibilité spirituelle qui porte attention aux vibrations du souffle de Dieu qui, tel un musicien, fait danser les cordes de l’âme. Cet aventurier a exploré l’âme sous toutes ses coutures. Loin d’une approche doloriste, sacrificielle, les Pères de l’Eglise lui révèlent que la foi est un épanouissement de tout l’être. Ce qu’il demande aux théologiens, ce n’est pas dé livrer un beau discours logique et bien agencé, mais de lui ouvrir les chemins du cœur. »
Ma fillotte,
Partir à la découverte de la vie intérieure d’une personnalité, voilà le voyage auquel nous convie Charles Wright, dont on a pu apprécier par ailleurs les précédents ouvrages.
André Louf est ici présenté avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse. Abbé d’un grand monastère, le Mont des Cats, puis ermite, Dom Louf a tenu une place éminente chez les trappistes, où ses interventions ont toujours été remarquées. Des papes aussi l’ont reçu et écouté. Ses livres et ses articles, traduits en plusieurs langues, sont empreints de spiritualité, celle qui part et revient au cœur.
André Louf est donc bien une de ces personnalités qui ont marqué l’après concile. Il a cherché à montrer les voies d’une vie intérieure approfondie, en s’appuyant aux meilleures sources, en particulier sur les pères des premiers siècles.
Tout serait dit et pourtant …
Derrière cette façade d’une personnalité reconnue se cache une vie tourmentée, pleine de courbes, nourrie d’interrogations. André Louf a toujours été un pèlerin, avide de solitude pour mieux entendre l’Esprit, pour entrer dans ce dialogue du cœur avec Dieu, un véritable cœur à Cœur, tout personnel et si délicat à réaliser.
L’humilité d’André Louf l’a conduit à accepter sa charge d’abbé et de nombreuses missions au service de l’Eglise dans une volonté d’obéissance, sans cesse renouvelée. Mais toujours, ce désir d’un face à face plus fort avec Celui auquel il aspire, loin du monde et de ses bruits incessants ; ce désir s’est manifesté, jusqu’à une certaine forme d’obsession, qu’il eut beaucoup de mal à dominer.
Au soir de sa vie, l’ermitage enfin consenti l’a comblé. Ceux qui ont pu alors le visiter ont vu sur son visage ce sourire d’enfant, enfant riche de confiance avant le retour à la maison du Père.
Mais chez Louf, il y a plus encore, et Charles Wright le montre bien. André Louf n’a jamais été certain de sa vocation la plus profonde et la place que la Providence lui réservait. Abandonné dans la confiance et l’humilité, il a connu bien des combats pour accepter la réalité des jours. Il a dû apprendre à apprivoiser ses désirs les plus forts et les plus légitimes.
C’est sans doute là qu’André Louf rejoint le chrétien ordinaire, insatisfait, inquiet et pourtant soucieux de répondre à sa vocation personnelle.
Ton papa
Mon cher papa,
La lecture de ce livre fut pour moi une telle source d’enthousiasme et de surlignage effréné de phrases entières à tout va à presque chaque page, que je ne pouvais manquer de te l’offrir pour ne pas garder exclusivement et égoïstement une telle découverte.
J’aime lire sous ta plume ce qui te touche dans ce portrait si dense et complexe de cet homme à la fois si cultivé, si omniscient, si incontournable, au caractère si affirmé et en même temps si humble, si assoiffé de solitude et de vie intérieure.
Les regards et les mots que nous posons sur les êtres que nous croisons et les livres que nous lisons en disent beaucoup me semble-t-il sur ce qui nous anime, nous stimule, nous peine, nous transporte ou nous blesse. Tu retiens notamment ses nombreux combats intérieurs pour accepter sa vocation, son appel, sa mission qui semblaient souvent si éloignés de ses désirs profonds, et son tiraillement récurrent entre la vie monastique et ses obligations et son aspiration à la vie d’ermite.
Pour ma part, j’ai été particulièrement bouleversée par la façon dont André Louf, avide de toucher la source profonde de son être, le tréfonds de sa conscience pour atteindre la plénitude spirituelle où par la grâce du baptême le Saint Esprit vit en perpétuelle prière, va accompagner le concile Vatican II dans les profondes mutations qu’il engendrera. Nous en retenons bien souvent que les excès et les dérives mais, ne cesse-t-il de dire, tous les acquis de la science, de la théologie, les rites, ne servent à rien s’ils ne débouchent pas sur une authentique expérience de la Parole de Dieu. La connaissance doit être câblée sur cette vie spirituelle et en ce sens écrit-il, la Tradition n’est pas un paquet ficelé que l’on se passe de génération à l’autre, elle est davantage un acte de transmission qui est toujours à la fois don et accueil créatifs. A partir de ce que nous avons reçu, il s’agit d’inventer ce qui convient aujourd’hui.
Allant toujours plus loin sur ce sujet, André Louf nous rappelle merveilleusement que la suite du Christ ne peut pas consister à suivre docilement des préceptes ou une morale, mais à se laisser balayer par l’Esprit. Ce qui au fond, est d’une bien plus grande discipline car elle impose non seulement de vivre à l’écoute de son exigence intérieure éclairée par l’Esprit Saint, mais également de mettre en œuvre sa liberté intérieure, ce qui suppose discernement, accompagnement, prise en compte de la personne dans sa psychologie, sa sensibilité, ses désirs. La conversion profonde est à ce prix nous dit-il, en raison de l’humilité qu’elle engendre et de la confiance dont il faut faire preuve, le péché remis n’étant plus un obstacle face son infinie miséricorde, nos échecs consentis devenant la voie royale pour faire advenir malgré nous la Royaume de Dieu.
Pour finir, car il faut bien finir, j’ai bondi de joie en voyant les nombreuses pages consacrées à l’orthodoxie, ayant une grande affection pour les rites byzantins. En partant de l’étude de la patristique, dont il traduira d’ailleurs de nombreux écrits, André Louf a œuvré pour un œcuménisme spirituel et une Eglise une et indivise avec les orthodoxes, en ayant la certitude que le moine, au cœur de la plénitude et de la communion spirituelle, dépasse les schismes théologiques.
Nous pourrions échanger des heures entières sur ce livre absolument magnifique. Biographie certes, mais pas que, André Louf étant abondamment cité et son auteur s’efface pour nous en livrer toute sa richesse exceptionnelle et son incroyable fécondité, alors même qu’il serait presque tombé dans l’oubli.
Je t’embrasse mon cher papa,
Ta fillotte
Historien de formation, Charles Wright a été plume d’un ministre, éditeur, journaliste, avant de devenir novice dans un monastère cistercien. Il a notamment publié À quoi servent les moines ? et Casanova ou l’essence des Lumières (Prix Guizot de l’Académie française).
Ces billets à quatre mains, quatre doigts, voire 3 si on imagine votre papa taper avec son pouce…, sont magnifiques, par la forme sans même aborder le contenu dont je ne doute pas, jamais, du bien fondé de vos sélections, rigoureuses, éclectiques.
je tape avec tous mes doigts sauf les petits … 🙂