Discours épidictique – A ma fille

Au moment d’écrire ces quelques mots en hommage à celle qui me fut confiée comme fille, quelle n’est pas ma confusion à tenter de décrire celle qui est encore diamant brut posé dans un écrin, un trésor caché et pourtant accessible à ceux qui prennent le temps d’en percevoir les clés.

L’exercice est ardu à rendre grâce aux âmes extraordinaires et le risque fort d’en être de piètres portraitistes. Mais puisque telle est ma mission, c’est la plume tremblante et le cœur ému que je tente de m’essayer à la remplir et la mener à son terme, le terme n’étant ici en rien funèbre mais plutôt floraison.

 En fanfare tu arrivas dans ce monde, pressée d’en découdre avec la vie trois mois avant la date annoncée. Défunte avant l’heure, handicapée en devenir, tel aurait dû être ton destin. Tu déjouas tous les pronostics et, collée à ton jumeau qui serait bien resté plus longtemps dans les entrailles de sa mère, tu revêtais déjà tous les traits de caractère qui sont encore les tiens du haut de tes 15 ans. « Parlez, causez » aurais-je pu t’entendre dire et de fait, miraculée tu fus, à 9 mois tu gambadais et si la grande faucheuse t’a regardée, elle n’a pas osé trop s’approcher.

Ton prénom, que nous voulûmes héroïque, Isolde, ne fut jamais si bien porté. Certaines personnalités vous saisissent ; ni dédaigneuses, ni hautaines, elles se posent cependant là. Un regard, une posture, une éloquence dressent autour d’elles un cercle d’intimité, de délicatesse, de respect conduisant à rester à la place qui doit être la sienne et à vivre dans une plus grande justesse. Un enfant de cette nature vous reconnait comme mère, lui en donne toute sa légitimité. Tu fus un tel enfant, depuis toujours, et ce cadeau, pour qui accepte de s’en saisir sans être effrayé ou de passer à côté, c’est le prix d’une immense exigence envers soi, envers toi, et une grâce dont je reste éternellement reconnaissante.

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Ton prochain de Luigi Santucci

« Dans la garde-robe de notre imaginaire dont nous habillons nos semblables, nous avons déniché une vague écharpe de soie blanche avec le mot « prochain » brodé en lettres d’or, et nous l’avons mis en bandoulière à ces sortes de gens qu’on disait : le vieil oncle (…), le cher ami (…) ou l’aveugle à qui nous faisons traverser la rue (…). Mais notre garde-robe, tout bien considéré, est très avare de ce genre d’écharpes, et nous laissons la grande majorité de nos semblables circuler sans cet accessoire symbolique. »

Si on ouvre un dictionnaire sur l’occurrence « prochain », on y trouvera la définition suivante : être humain considéré comme un semblable, considéré dans les relations entretenues avec lui, personne de proche. Dans ce cadre, il aisé d’imaginer que le prochain recouvre pour beaucoup la famille, les amis, et plus largement ceux qui nous entourent. La relation peut être plus ou moins facile, mais il est généralement acquis que notre attention et notre affection porteront plus spontanément sur cette sphère immédiate.

Il suffit cependant de regarder la vie des grands saints et de creuser le sens du mot prochain à l’aune de la charité, pour comprendre que le prochain revêt une toute autre dimension, englobant toute personne qui n’est pas soi, qui nous est agréable comme insupportable, aimante comme agaçante. Le prochain c’est le frère que nous n’avons pas choisi et qui se présente malgré tout sur notre route.

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