Les lieux où souffle l’esprit

Il est un lieu où j’ai longtemps rêvé de pouvoir y poser mes valises de façon ponctuelle comme lieu de villégiature mais pérenne au sens de s’y sentir chez soi par la possession d’une petite maison qui serait nôtre et nous ressemblerait.

Nichée dans une des innombrables ruelles fleuries, non loin de la plage, elle porterait le nom de Vive Ama, en hommage à Victor Hugo qui avait fait inscrire cette devise sur un banc que nous trouvons dans sa maison de la Place des Vosges.

Pour y parvenir, il nous faut prendre le train jusqu’à La Rochelle puis monter dans le bus qui nous permet de traverser le pont pour rejoindre cet espace insulaire. Déjà, nous sommes saisis par un air de vacances, un soupçon d’esprit d’aventure, les sacs jetés dans la soute, le front posé sur la vitre pour savourer cette envie d’ailleurs. Il nous faut ensuite entrer dans le temps long des arrêts et des paysages qui défilent et s’impriment en nous, prenant la place de la vie citadine, le corps et l’esprit tendu vers ce lieu familier qui regorge de tant de souvenirs. Nous descendons à l’arrêt de la Vierge qui portait si bien son nom jusqu’à ce qu’une bande de laïcards hystériques obtienne son retrait. Le socle vide est toujours là et une tristesse nous étreint l’âme à la vue de cette vacance inqualifiable. Mais très vite, agglutinés sur le trottoir, munis de nos valises promptement récupérées, il nous faut remonter les ruelles direction le port. Les roulettes tressautent sur chaque pavé et leur bruit réitératif, qui se dispute le silence improbable avec les sonnettes des vélos, annoncent que ça y est, nous y sommes enfin, qu’une fois les clés récupérées et les formalités accomplies, nous pourrons prendre possession des lieux, se distribuer les chambres et vérifier quelles sont les nouveautés et ce qui est resté immuable.

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Discours épidictique – A ma fille

Au moment d’écrire ces quelques mots en hommage à celle qui me fut confiée comme fille, quelle n’est pas ma confusion à tenter de décrire celle qui est encore diamant brut posé dans un écrin, un trésor caché et pourtant accessible à ceux qui prennent le temps d’en percevoir les clés.

L’exercice est ardu à rendre grâce aux âmes extraordinaires et le risque fort d’en être de piètres portraitistes. Mais puisque telle est ma mission, c’est la plume tremblante et le cœur ému que je tente de m’essayer à la remplir et la mener à son terme, le terme n’étant ici en rien funèbre mais plutôt floraison.

 En fanfare tu arrivas dans ce monde, pressée d’en découdre avec la vie trois mois avant la date annoncée. Défunte avant l’heure, handicapée en devenir, tel aurait dû être ton destin. Tu déjouas tous les pronostics et, collée à ton jumeau qui serait bien resté plus longtemps dans les entrailles de sa mère, tu revêtais déjà tous les traits de caractère qui sont encore les tiens du haut de tes 15 ans. « Parlez, causez » aurais-je pu t’entendre dire et de fait, miraculée tu fus, à 9 mois tu gambadais et si la grande faucheuse t’a regardée, elle n’a pas osé trop s’approcher.

Ton prénom, que nous voulûmes héroïque, Isolde, ne fut jamais si bien porté. Certaines personnalités vous saisissent ; ni dédaigneuses, ni hautaines, elles se posent cependant là. Un regard, une posture, une éloquence dressent autour d’elles un cercle d’intimité, de délicatesse, de respect conduisant à rester à la place qui doit être la sienne et à vivre dans une plus grande justesse. Un enfant de cette nature vous reconnait comme mère, lui en donne toute sa légitimité. Tu fus un tel enfant, depuis toujours, et ce cadeau, pour qui accepte de s’en saisir sans être effrayé ou de passer à côté, c’est le prix d’une immense exigence envers soi, envers toi, et une grâce dont je reste éternellement reconnaissante.

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Les parts de tarte

Les tartes de mon enfance devaient être coupées en parts égales

J’ai vécu mon enfance au travers du prisme guerrier que la vie est une jungle et qu’il faut se battre pour obtenir ce que l’on souhaite. Seconde d’une famille de cinq enfants et entourée de trois frères, il m’a été donné de développer très rapidement un instinct de survie si je voulais trouver ma place au sein d’une famille nombreuse.

La maison était grande mais comme souvent dans les vieilles demeures, aussi charmantes et magnifiques soient-elles, elle était dotée de peu de pièces. Les chambres étaient immenses mais il n’y en avait que trois pour cinq enfants, dont deux commandées. La chambre convoitée était celle au-dessus de la cuisine, car elle était indépendante avec un petit lavabo. Autant dire, qu’avoir une chambre à soi et fermée était donc un immense privilège et que nous avions hâte de voir les uns et les autres partir de la maison pour pouvoir investir les lieux.

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