Les lieux où souffle l’esprit

Il est un lieu où j’ai longtemps rêvé de pouvoir y poser mes valises de façon ponctuelle comme lieu de villégiature mais pérenne au sens de s’y sentir chez soi par la possession d’une petite maison qui serait nôtre et nous ressemblerait.

Nichée dans une des innombrables ruelles fleuries, non loin de la plage, elle porterait le nom de Vive Ama, en hommage à Victor Hugo qui avait fait inscrire cette devise sur un banc que nous trouvons dans sa maison de la Place des Vosges.

Pour y parvenir, il nous faut prendre le train jusqu’à La Rochelle puis monter dans le bus qui nous permet de traverser le pont pour rejoindre cet espace insulaire. Déjà, nous sommes saisis par un air de vacances, un soupçon d’esprit d’aventure, les sacs jetés dans la soute, le front posé sur la vitre pour savourer cette envie d’ailleurs. Il nous faut ensuite entrer dans le temps long des arrêts et des paysages qui défilent et s’impriment en nous, prenant la place de la vie citadine, le corps et l’esprit tendu vers ce lieu familier qui regorge de tant de souvenirs. Nous descendons à l’arrêt de la Vierge qui portait si bien son nom jusqu’à ce qu’une bande de laïcards hystériques obtienne son retrait. Le socle vide est toujours là et une tristesse nous étreint l’âme à la vue de cette vacance inqualifiable. Mais très vite, agglutinés sur le trottoir, munis de nos valises promptement récupérées, il nous faut remonter les ruelles direction le port. Les roulettes tressautent sur chaque pavé et leur bruit réitératif, qui se dispute le silence improbable avec les sonnettes des vélos, annoncent que ça y est, nous y sommes enfin, qu’une fois les clés récupérées et les formalités accomplies, nous pourrons prendre possession des lieux, se distribuer les chambres et vérifier quelles sont les nouveautés et ce qui est resté immuable.

Les lieux familiers dispensent d’avoir à trop perdre de temps en recherches, quête, cartes et prise de possession. La procrastination n’est pas de mise, l’essentiel est retiré des bagages, les livres de vacances sagement empilés sur la table de nuit, les draps posés sur les lits, les serviettes transbahutées vers les sacs de plage, les vivres de première nécessité déposés dans la cuisine.

Les chaussures de ville sont remisées au profit des tongs qui seront nos indispensables en tout lieu et tout temps, que ce soit à la plage ou pour marcher.

Désormais, La Flotte est à nous. Nous pointons vaillamment le nez dehors, allégés et heureux et la première étape est celle du marchand de glaces pour vérifier que l’indispensable glace à la menthe trône bien à la place de choix qui doit être la sienne. Des vacances balnéaires sans glace à la menthe n’auraient pas la même saveur, ce serait même une frustration terrible. Rassurés, nous rejoignons la plage, notre plage. Ce n’est pas la plus belle ni la plus populaire de l’île mais c’est la nôtre. A marée haute, elle est entièrement recouverte. Nous y allons en citadins, sans vérifier les horaires de marées qui nous échappent d’une année sur l’autre. Mais peu importe, haute ou basse, c’est à chaque fois la même féerie, l’attente de sa montée ou de sa descente qui va décider de l’emplacement des serviettes de plage. A marée basse, c’est l’éternelle quête des palourdes qui vont assurer les premiers repas. A marée haute, c’est l’érection de digues éphémères qui nous laissent croire avec amusement qu’elles pourront contenir la mer qui reprend ses droits.

La vie à La Flotte est une vie presque coupée du monde, en dépit de ses nombreux vacanciers. Mais ses paysages, son rythme, ses vélos bruyants, ses marchés du matin, ses fruits de mer dégustés debout dans la cuisine, le couteau d’huitres à la main, les balades sas cesse refaites mais adorées, peuplent nos souvenirs au retour. La visite du cimetière est un incontournable. C’est ainsi, nous adorons les cimetières. Déchiffrer les noms sur les tombes, sourire aux prénoms anciens, s’attendrir sur certaines inscriptions, comparer et hiérarchiser les plus belles et les plus sobres. La maison de nos rêves, c’est le presbytère qui borde l’église avec sa jolie façade qui laisse imaginer le plus ravissant des intérieurs.

Un séjour à La Flotte comporte toujours une journée à Ars-en-Ré. C’est plus coquet, plus cosy, plus commerçant aussi, mais ce n’est pas chez nous. On y va pour ramener quelques souvenirs, monter dans la navette, cheminer le long du port, saluer les ânes en culotte, et se dire c’est vraiment très joli mais au fond, on préfère La Flotte. S’y sentir chez soi, c’est aussi s’y sentir en sécurité. Les enfants ont très vite appris à se déplacer seuls, portant tout leur barda, la quantité étant limitée à leur capacité à le porter et le ramener. L’esprit de La Flotte, c’est un esprit familial, l’assurance de croiser sur les mêmes bouts de plage, les mêmes mères, bien souvent, et les mêmes enfants qui finissent par jouer ensemble.

Le Covid est passé, « notre » maison a cessé d’être louée, et les prix se sont envolés…. La Flotte est restée ainsi figée dans nos souvenirs, comme le lieu où l’esprit a soufflé dans notre famille éparpillée pour la reconstruire.

1 réponse
  1. ht
    ht dit :

    Sublime évocation…. Digne des grands auteurs.
    Chaque mot invite au voyage, on entend le bruit des valises sur les pavés.
    Magnifique
    Juste magnifique

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