En marchant de Patrick Tudoret

Petite rhétorique itinérante.

« J’ai toujours été d’accord avec Gracq pour penser que le rêve, la rêverie, sont « un état de tension accrue plus qu’un laisser-aller ». C’est même pour moi, une exacte définition de la marche. Une mise en tension dans l’acception la plus forte, la plus noble du mot. (…) Il est vrai qu’il y a dans la marche en solitaire quelque chose en plus : une ascèse, un élan qui tend vers soi et la puissance de soi, mais renvoyant à la plus stricte humilité. Marcher fait de nous un être fort, tendu vers un but, mais aussi un être seul, et faible à ce titre. (…) Et si la marche était cette stabilité en mouvement qui permettait de concilier à la fois l’immobilité, disons la profondeur de la pensée, et le mouvement lui-même. La rêverie qu’elle permet est puissamment créatrice. »

Patrick Tudoret, ce fut d’abord L’homme qui fuyait le Nobel en 2016 (ici ), puis Fromentin en 2018 (ici), et Juliette Drouet en 2020 (ici).

Aristocrate des mots, tel était le qualificatif qui m’était venu alors en le lisant, et ce n’est pas pour rien si c’est probablement l’auteur que j’ai le plus chroniqué sur mon blog.

Cette année, Patrick Tudoret je le découvre sous une autre facette : en professeur d’écriture. Réunissant sous sa houlette une dizaine de personnalités sémillantes et pétulantes partageant la même prédilection pour les mots, les livres et les écrivains, il nous fait ahaner ou jubiler selon les talents de chacun sur des discours épidictiques, des questionnaires de Proust, des paroles de chanson ou des acrostiches. Heureux moments où tu découvres ébahie que parler en vers ou en alexandrins est presque une seconde nature pour certains, que l’ironie ou le second degré peut révéler des talents de conteur jouissifs permettant d’esquiver certains exercices jugés trop intimes. Au sein de cet amical cénacle, le mot scolaire doit consentir à perdre son « c » pour laisser émerger ce qu’il y a de solaire en chacun, et c’est dans ce lieu que j’ai découvert un Patrick Tudoret incarné, traversant les pages de ses livres qui sont aussi profonds et intimes qu’il l’est lui-même, témoignant d’un immense respect envers toutes nos personnalités si diverses qui s’expriment sans filtre ou ne demandent qu’à éclore.

L’exercice de lire un ouvrage écrit par un auteur que nous connaissons, côtoyons et, osons le mot, aimons, n’est pas anodin. Les livres d’écrivains lointains ou inconnus, s’ils s’avèrent insipides, peuvent rejoindre allègrement les boîtes à livres sans trop d’état d’âme, en se fouettant toutefois intérieurement de diffuser à des tiers des bouquins qui n’ont pas grand intérêt. Le « Je n’ai pas trop accroché » est plus délicat quand on a l’auteur en face. J’ai donc mis, je l’avoue, plusieurs jours à l’ouvrir, j’ai écouté quelques émissions où Patrick Tudoret était invité, et voyant arriver la date de mon prochain cours, j’ai fini par me lancer, ou plus exactement, je me suis mise en marche, puisque telle est l’invitation à laquelle nous sommes conviés.

Rhétorique de la marche, marche rhétorique, rhétorique en marchant : la marche est ici œuvre de méditation, de réflexion, d’ouverture et de partage d’une intimité qui se dévoile. Elle est avant tout, une disposition intérieure en mouvement. Elle n’est pas l’hybris qui se nourrit de la recherche d’un exploit ou d’une performance, ni conquête guerrière ou randonnée touristique qui se doit de revêtir tous les atours plus ou moins ridicules des magasins sportifs. La marche à laquelle nous convie Patrick est celle qui pose ses pas dans ceux des écrivains aimés qui l’ont précédé, celle qui permet de tâter le pouls d’une ville à découvrir, celle qui s’aventure sans autre but que de se laisser surprendre, celle qui permet de clamer des vers ou d’ordonner ses réflexions.

La marche de Patrick Tudoret, seul ou à plusieurs, est la source de ses plus fortes émotions, de ses plus beaux souvenirs, l’occasion de penser aux êtres aimés, vivants ou disparus, et de les aimer encore davantage, une appropriation des villes, des paysages et du temps, l’occasion de rendre hommage à tous les écrivains et peintres qui l’ont façonné, une expérience du sacré.

La marche de Patrick Tudoret nous invite à s’échapper de la tyrannie du bruit, du diktat de l’actualité pour s’ouvrir vers de nouveaux horizons où tout est possible, retrouver une profondeur de la pensée, afin de rendre le monde habitable.

Eprouver tout à la fois la liberté libre « forme la plus élevée de la liberté qui confine à la grâce », et l’esprit du pèlerin, tel est ce anime consubstantiellement Patrick Tudoret.

Dans ces quelques pages, et dans les traces des plus grands, comment ne pas entendre cet appel à nous élever, à se structurer intellectuellement corps, âme et esprit ? Si la marche nous facilite cet accès, devenons alors de grands marcheurs , goûtons à cette ivresse et cette mystique pour que, délestés du superflu, les amarres larguées, nous cessions d’être dépossédés de nous-mêmes.

1 réponse
  1. ht
    ht dit :

    Scolaire sans c j’adore
    Votre écriture, un prolongement naturel de vous, votre bel esprit s’incarne dans ce blog avec une évidence, dense, danse. Les mots les votres me bercent j’en raffole

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