Un vent les pousse de Frédéric Bécourt

« Assigné par son âge, son sexe et ses origines à une communauté dont on attendait désormais le silence, ou tout au moins la retenue, Gilles persistait à penser à voix haute. Son point de vue universaliste, devenu minoritaire et ringard, n’intéressait personne. Pour autant, il se considérait encore comme un Français tout à fait habituel, indissociable du nombre. Absorbé par ses livres et son rôle de père, il s’était peu à peu coupé du monde, c’était évident, mais surtout il ne l’avait pas vu changer. »

Dans la série des romans d’anticipation qui ne seraient pas si terrifiants s’ils n’annonçaient pas une réalité déjà en germe, il convient de rendre hommage au livre de Frédéric Bécourt qui décrit avec talent la pulsation idéologique de notre temps qui nous conduit inexorablement vers un monde bicéphale où le tempo de certains, parfaitement accordés sur ce rythme digne du boléro de Ravel, radicalise et marginalise de fait ceux qui tentent de s’en extirper.

Nous sommes en 2025 à Bordeaux. Un père de famille, ordinaire, divorcé, écrivain, un brin dépressif, est convoqué un matin par la directrice de l’établissement scolaire de sa fille de 5 ans, au motif que cette dernière aurait tenu dans la cour de l’école des propos jugés racistes. Le protocole RSHT (Racisme, Sexisme, Homophobie, Transphobie), en test dans la région, est aussitôt enclenché mais refusant que sa fille soit soumise à des tests psychologiques, la garde de sa fille lui est alors retirée par le juge. Pris en otage par un système déshumanisé, ses seuls soutiens proviendront de ceux que ses convictions intellectuelles abhorrent : une journaliste conservatrice, un magistrat sulfureux, un groupe royaliste.

Il est aisé de mettre des visages publics sur la plupart de ces personnages. Toutefois, se contenter de le dire serait très réducteur, ne serait-ce que parce que l’auteur ne tombe jamais dans la caricature. Bien au contraire, les personnages sont très bien campés, socialement, intellectuellement, émotionnellement, et la césure entre d’un côté le pouvoir, les médias mainstream et une certaine élite qui portent une vision idéologique et progressiste du monde, et le reste de la population regroupant tout à la fois les gilets jaunes, les soi-disant complotistes, les soi-disant fascistes, les conservateurs, les réacs et les médias alternatifs, unis malgré eux et tournés vers le même objectif de s’y opposer farouchement par tous les moyens à leur portée, est parfaitement décrite.

Ne nous y trompons pas : ce qui se joue en ce moment est un véritable combat qui oblige à choisir son camp, inévitablement. L’entre deux, c’est ne pas vouloir voir, accepter de suivre aveuglément le système, consciemment ou inconsciemment, de peur d’en être exclu, voire même d’en devenir un membre des plus zélés.

Frédéric Bécourt décrit parfaitement les mécanismes actuellement en lice. Parmi les réfractaires, certains en font une mission ou l’engagement de toute leur vie, d’autres ont des voix qui portent, se lisent ou s’écrivent, beaucoup sont des résistants de l’ombre, des censurés, des bannis, des victimes directes ou collatérales.

Si ce livre a une vertu, elle est de nous rappeler l’importance de chérir sa liberté, dans son acception la plus noble, et surtout celle de penser, qui nourrit notamment sa liberté intérieure et l’esprit de vigilance.

2 réponses
  1. DA
    DA dit :

    Où est la liberté véritable sinon au plus profond de nous, là où le silence s’ouvre à la Parole. L’agitation qui entoure chacun, portée par une pensée unique qui endort, ruine chez beaucoup la simple réflexion fondée sur l’observation du réel. Alors institutions et élite de pacotille peuvent assurément assurer leur emprise dans une sorte d’indifférence.

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  2. ht
    ht dit :

    Toujours cet esprit libre et épris de sa liberté de penser
    Un choix de livre qui s’impose. Magnifique billet

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