Le rond de serviette est-il de droite ? de Richard de Seze
« Notre époque est devenue si habile à déceler le politique qu’il n’est plus nécessaire de discuter et que chacun sait à quoi s’en tenir en quatre phrases et trois références : tel est de gauche, telle est de droite, nous sommes frères ou nous sommes ennemis selon que vous aurez cité Althusser ou Saint-Exupéry, apprécié La première gorgée de bière ou vanté Voyage au bout de la nuit. (…) Evidemment, des termes comme « nation », « patrie », « honneur » et « gaullisme » sont de droite et suffisent à marquer celui qui les utilise, alors que « dignité », « progrès », « éthique » et « républicain » sont de gauche, surtout quand il s’agit de parler de la GPA éthique et de tenue républicaine. »
Le clivage de nos sociétés est aujourd’hui si ancré dans nos rapports à l’autre, qu’il rend politiques les objets les plus insignifiants en apparence. Insignifiants, certes en apparence, quant à leur portée philosophique, métaphysique ou même économique mais extrêmement signifiants en ce qu’ils disent au fond quelque chose de notre rapport au monde.
Ainsi, les mugs, les moules, les ronds-points, le plat du jour, les poules, le soutif, les robes qui volent, le tire-bouchon, le jus de goyave sont autant d’occasion d’épiloguer sur leur rapport à la modernité, l’histoire, la famille, le progrès, le pays et de les classer à droite ou à gauche selon ce qu’ils révèlent et la symbolique qui s’y attache.
C’est à cet exercice savoureux que Richard de Seze s’est prêté dans ce livre, recueil de chroniques parues dans l’Incorrect. Le ton est alerte, clairvoyant, et les chapitres se savourent pour notre plus grand plaisir au gré du temps et de l’humeur. Le tote-bag et le rond de serviette mériteront ainsi plus d’égard, et le peu d’estime que je portais aux mugs s’est définitivement envolé.
Ce livre a été offert à Noël, et je laisse la plume à mon Saint père qui s’est prêté à l’exercice (gratitude éternelle) d’en dire quelques mots.
« Face à une absence ou mieux un refus de repères bien ancrés dans le réel pour éclairer la vie ordinaire, il est facile de renvoyer sur l’autre, tous les autres, sa propre turpitude. Des coteries de pacotille s’organisent ; elles sont, suivant les incompétences des intéressés, de gauche ou de droite. Voilà bien le clivage qui accompagne la vie politique – ce mot si riche de noblesse a t-il sa place ici ? – depuis de trop longues années.
Richard de Seze se joue ici, avec humour, d’objets, de lieux ou de situations pour méditer sur leur appartenance à la gauche ou à la droite. Cet exercice est certes délicat tant les sujets traités touchent le lecteur au plus près. Ainsi le rond de serviette, qui retient et marque l’humble tissu, est assurément de droite, car il est, nous dit l’auteur, « un engagement social, amical, familial ».
Dès lors tout dans notre environnement le plus proche peut ainsi être caractérisé ; un peu de bon sens y suffit.
Toutefois telle remarque, telle observation est fortement marquée par le souvenir d’un temps passé, qui raisonne à l’intérieur de chacun. Alors le regard se teinte quelque peu de nostalgie, non celle du regret, mais davantage la nostalgie de valeurs immédiates perdues ou oubliées, qu’il nous appartient de faire vivre et de transmettre.
Voici le rond de serviette promu au rang de témoin d’une civilisation, une civilisation profondément humaine, toujours à recommencer. Assez des idées abstraites, dépourvues de contenu et sans lien aucun avec le réel. Il nous appartient de retrouver les joies de l’instant présent, son rond de serviette à la main. »
L’humour sauvera le monde, car il ne faut point désespérer de ce qui disparait ou se transforme. A nous de conserver ce qui doit l’être tout en nous ouvrant sur l’avenir. Avec le sourire.
À cette noble table, je retiens volontiers deux couverts.
❤️❤️❤️
De père en fille? Superbe billet ou l’humour s’avère une fois de plus la marque de fabrique d’Elvire, et ce qui sauve le monde.