Les Atticistes d’Eugène Green
« Selon lui, Rome était tombée dans le vice de l’asianisme à cause du soleil et du ciel bleu qui y régnaient dans une démesure effroyable. Paris, en revanche, bénéficiait en toute saison d’une délicieuse petite pluie, d’un ciel gris, et de températures qui variaient peu entre décembre et juillet. Ce climat était un don de la Providence, qui protégeait la ville capitale de la France contre tout excès. »
Je connaissais Eugène Green réalisateur de films.
Je découvre Eugène Green écrivain.
Ce qui est extraordinaire dans la confiance donnée à autrui, c’est de pouvoir mettre ses pas dans les siens aveuglément ; non pas sans analyse ou recul, mais plutôt dans une forme d’abandon qui permet d’aiguiser et assouvir sa curiosité dans des terrains inconnus dont on sait par avance qu’ils sont balisés.
Ce fut le cas avec le cinéma d’Eugène Green dont il est fort probable, pour ne pas dire certain, que si je l’avais découvert de façon inopportune, je n’aurais pas persévéré plus de dix minutes. Le parti pris esthétique de filmer ses personnages le plus souvent de face pendant qu’ils prononcent leurs phrases en soulignant toutes les liaisons, produit un décalage très déroutant de prime abord.
Fortement recommandé par un ami, j’ai commencé à visionner un premier film (La Sapienza), puis un second (Le fils de Joseph), puis un troisième (Le Pont des Arts), et j’aurais bien envie de les regarder à nouveau rien qu’à les évoquer en écrivant ce billet.
Cette linéarité du son poussant à l’intériorité, la musique baroque très présente, des thèmes assez intimistes pour les films que j’ai visionnés mais toujours pris sous un angle spirituel ou plus philosophique, conduisent à produire des films atypiques dont je comprends qu’on puisse les détester ou les adorer.
Pour ma part, ces films m’ont suffisamment intriguée pour que je veuille connaître davantage le réalisateur dont la plume ne pouvait, me semblait-il, qu’être à la hauteur de ses affinités cinématographiques. Un homme érudit, aimant l’élocution, les arts, la musique baroque, les désarrois intérieurs, ne pouvait a priori écrire des navets.
J’ai donc choisi par hasard un de ses livres, un hasard toutefois orienté par le titre du livre : Les Atticistes.
En voilà un mot qui sonne brillamment, un mot érudit : atticiste…
Il a fallu toutefois que j’ouvre le dictionnaire avant d’entamer la lecture de ce roman, ne serait-ce que pour savoir ce que ce terme à première vue captivant pouvait recouvrir. L’atticisme est (je vous la fais courte) un style d’écriture se caractérisant par sa finesse et sa pureté, une délicatesse de goût et de langage, et par extension : classicisme, raffinement.
L’atticisme s’oppose à l’asianisme, qui est une forme de discours brillant et efficace, plus ampoulé, tombant facilement dans le pathos et l’exagération, et par extension : outrance, affectation.
Ecrire un roman autour de l’atticisme, je l’avoue immédiatement, mon esprit est en alerte maximum, le neurone tressaille, la curiosité s’aiguise et je ne peux résister bien longtemps. Voilà un sujet, tout comme la diction soulignant les liaisons, qui est de nature à en rebuter plus d’un, mais fi diantre, ce serait se priver d’une délectation intellectuelle à vil prix.
Ecrit en 2012, Les Atticistes raconte de façon satirique l’histoire de deux personnages, Amédée Lucien Astrafolli, fougueux et brillant défenseur de l’atticisme français, et Marie-Albane de Courtambat, jeune sémiologue, féministe et révolutionnaire, autour desquels vont graviter des collègues, des conjoints, des amants, des amis, la famille, le tout dans un rythme enlevé et jubilatoire.
Se situant dans la seconde moitié du XXème siècle, Eugène Green se sert de ses personnages sulfureux pour dresser une critique aiguisée, et non moins amusante, des combats idéologiques, sociologiques ou culturels qui traversent cette époque, mais qui pour certains sont tout à fait d’actualité : étudier les classiques est-il réactionnaire ou bourgeois ? utiliser le genre masculin pour nommer des métiers exercés également par des femmes est-il phallocrate ? le graphisme ou les tags dans les toilettes ont-ils quelque chose à nous dire ? autant de questions qui nourrissent en trame de fond des scènes de vie et des joutes oratoires entre nos protagonistes qui, aussi brillants et érudits soient-ils dans la sphère intellectuelle, n’en demeurent pas moins cocasses, pour notre plus grand plaisir.
C’est fin, drôle, cultivé, décapant, totalement inclassable.
Longues vies aux atticistes.
Je ne retiendrais qu’une phrase pour résumer ma pensée: » ce qui est extrordinaire dans la confiance donnée à autrui c’est de pouvoir mettre ses pas dans les siens aveuglément »
Que tu parles de Dieu, de génies ou du génie du café nes, je te suis avec abandon et gourmandise. Tes billets sont magnifiques, tu es une parfaite atticiste.