Même les pêcheurs ont le mal de mer de Diane Peylin

« On a beau faire, les choses se répètent, se transmettent, qu’on le veuille ou non, on se fait du mal sans s’en rendre compte. Je n’ai pas voulu tout ça et pourtant… j’ai mal au ventre, moi qui n’ai jamais eu mal au ventre, je n’ai jamais eu mal nulle part, une véritable armure, ma carcasse. (…) J’aurais dû profiter de ce répit et prendre tout ce qu’il y avait à prendre, savourer cette exclusivité. J’aurais dû mais je ne l’ai pas fait, comme tant d’autres choses encore. « J’aurais dû » : ma nouvelle rengaine pour pallier les déchirures de l’existence. (…) J’aurais dû m’accrocher à ce sourire. »

« Tous les hommes ont le mal de père » aurait pu être le titre de ce roman choral.

Sur une petite île volcanique non dénommée où les hommes tirent de la pêche leur moyen de subsistance, trois hommes, grand-père, fils et petit-fils, s’affrontent dans une longue agonie intérieure où la quête de leur père les mure dans leur propre paternité.

Ces pères absents, ces pères qui partent, ces pères trop durs, ces pères qui portent le poids des secrets de famille, ces pères qui se calfeutrent dans leur douleur, ces pères qui ne savent pas témoigner leur affection, ces pères qui ne savent pas regarder leur fils faute d’avoir été eux-mêmes regardés, sont aussi des fils qui pleurent, qui hurlent, qui ne décolèrent pas contre leur propre père.

Les liens du sang sont absolument bouleversants car ils irriguent et tissent les liens familiaux, créent des attaches indéfectibles, sautent des générations, se transmettent, se faufilent dans les failles, construisent les générations de demain et ont bâti celles d’hier.

L’histoire d’une famille parle des êtres qui la composent et lui faire face, la comprendre, s’en imprégner, pardonner, accepter, s’en nourrir, permet de s’autoriser à construire sa propre vie en se délestant de bagages parfois trop lourds.

Le « j’aurais dû » du grand-père devant la tombe de son fils est certainement la phrase la plus déchirante que je puisse entendre.

Il est affreux ce fameux « si j’avais su » quand on y songe, quand il est trop tard pour rattraper le temps perdu, essuyer le mal qu’on a fait, clamer les « je t’aime » retenus, panser les blessures infligées, affronter les peurs transmises.

Diane Peylin, que je découvre ici, nous offre un roman poignant sur la paternité, l’amour, la transmission, la famille.

Un joli coup de cœur s’inscrivant dans la lignée de ces livres qui me touchent profondément en ce qu’ils rappellent au fond sans cesse que nous ne sommes que le maillon d’une longue chaine qui nous unit les uns aux autres.

Prendre soin de chaque maillon, c’est contribuer chacun à notre niveau d’éviter que les trous dans la nasse ne deviennent parfois béants et d’en perdre quelques-uns au passage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Diane Peylin est née en Ardèche en 1978. Titulaire d’une maîtrise de Français Langue Étrangère, elle a été institutrice, gérante de gîtes puis nomade lors d’un tour du monde en voilier. Elle est aujourd’hui animatrice en atelier d’écriture. Même les pêcheurs ont le mal de mer est son dernier roman sorti en 2016.

 

 

 

 

5 réponses
  1. Colbert
    Colbert dit :

    Chère Elvire, votre billet m’a donné des frissons. La place du père j’en mesure la difficulté à le devenir sans avoir eu moi même ce guide si précieux et manquant.
    Je vais me procurer ce livre sans délai.
    Je ne vous dirais jamais assez merci pour la qualité de ce blog et vos billets que je guette avec fébrilité.

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  2. Dom-Dom
    Dom-Dom dit :

    Le rôle du père est réel, difficile, car souvent le père n’a pas la sensibilité exprimée d’une mère. Une belle aventure pourtant.

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  3. Gustave
    Gustave dit :

    Chère Elvire, quel billet magnifique. Je ne voudrais pas regretter de ne pas vous le dire, le répéter. Vos mots sont puissants, simples, profonds et touchants. Vous prolongez en le magnifiant le message de vos lectures. Je suis inconditionnel de votre pensée, admiratif de vos tournures de phrases, fier et heureux de vous lire

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    • Elvire Debord
      Elvire Debord dit :

      Vous me flattez Gustave et je ne peux m’empêcher de sourire devant l’excès de vos dithyrambes. Si ces billets vous donnent a minima de la joie et l’envie d’œuvrer dans cette quête éternelle de contribuer à enrichir et construire utilement nos vies ici bas, vous m’en voyez comblée.

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