Fromentin, le roman d’une vie de Patrick Tudoret

 « Peintre et écrivain… c’est dans cet ordre invariable que le présentent les dictionnaires, mais Eugène Fromentin fut autant l’un que l’autre avec un art subtil qui confine à la grâce. Peintre dans l’écriture, écrivain dans le trait. (…) Chez l’auteur, chez le peintre aussi, tous deux célébrés de leur temps, reconnus à l’aune d’un vrai talent, il y a un désir d’absolu qu’il voulut assouvir (…), une soif de hauteur qui toujours sembla l’animer, lui l’homme d’airain à la sérénité apparente. (…) Pour peu que l’on gratte un peu, il y a une jolie fièvre romantique chez l’ami Eugène, (…) une vive intelligence qui toute sa vie aura couru après deux buts : être un artiste complet (…) mais avant tout un homme libre, intègre, exigent, généreux, paradoxal, qui aura su parfois s’appartenir… »

Mon cher Eugène,

Vous me pardonnerez cette familiarité qui me conduit à vous appeler par votre prénom, mais après avoir passé quelques heures exceptionnelles en votre compagnie, depuis votre prime jeunesse jusqu’à vos derniers jours, il me semblerait faire montre d’une grande froideur à votre égard en vous nommant Monsieur, alors que vous m’êtes apparu fort sympathique, presque familier maintenant, et qu’il me sera désormais possible d’accoler quelques détails supplémentaires aux deux substantifs qui vous caractérisent rapidement au sein d’une époque : peintre et écrivain du XIXème siècle .

Si vous nous entendez de là-haut, et bien qu’il soit maintes fois écrit à quel point votre intransigeance laissait peu de place à la croissance d’un ego surdimensionné mais plutôt au maintien d’une humilité parfois maladive, j’aimerais vous imaginer frétiller de bonheur à vous découvrir sous la plume de Patrick Tudoret  qui a su divinement faire refleurir vos lettres de noblesse aux mémoires sélectives dont nous sommes tristement dotés à notre époque, qui ont, me semble-t-il, davantage retenu le nom de vos illustres congénères que le vôtre.

Or, même les frères Goncourt qui n’étaient pas réputés pour leur bienveillance envers leurs pairs, ne tarissaient pas d’éloge à votre égard, vous aviez su gagner le cœur et la reconnaissance de George Sand, Sainte-Beuve, Baudelaire, Delacroix, Théophile Gautier, Flaubert, Alexandre Dumas et tant d’autres qui voyaient en vous « le plus sensible, le plus vrai, le plus fin des peintres orientalistes ».

Epoux et père, aimant la quiétude et la vie ordonnée, peu enclin à la fantaisie, plutôt conservateur dans les idées, vous devez le terreau de votre génie à une sensibilité hors du commun, sorte d’hyperesthésie « qui s’impose parfois à vous douloureusement mais les pages arrachées à ce doute constant sont superbes, flirtant parfois avec l’impalpable. »

En tant qu’homme, je dois vous avouer que vous n’êtes pas de prime abord séduisant : petit, maladif, de caractère fluctuant, souvent cloué au lit par des émotions trop fortes, porté à la mélancolie, vous n’êtes pas spontanément ce que l’on pourrait qualifier de joyeux drille ou d’homme costaud. Ceux qui vous ont côtoyé louent cependant votre vive intelligence, votre grande culture, votre regard de feu, votre éloquence, et il n’est qu’à constater la fidélité et générosité de vos amis pour se convaincre de votre grandeur d’âme. La beauté de vos œuvres littéraires et picturales achève de renforcer l’admiration que vous suscitez.

Il est d’ailleurs extrêmement émouvant de vous voir, derrière une apparence un peu froide et un intérieur si tourmenté, vibrer si longtemps pour votre amour de jeunesse, la belle Léocadie promise à un autre et devenue inaccessible par la mort, au point d’en faire le thème de votre unique roman et chef d’œuvre incontesté, Dominique. J’ai quelques pensées empathiques envers celle qui fut votre épouse tout au long de votre vie, mais le roman ne nous dit pas quelle fut sa réaction à la sortie de votre livre.

Mais je m’égare, cher Eugène, l’heure étant tardive au moment où je vous parle.

Je vous imagine désormais heureux, apaisé, vous appartenant pleinement, et nous appartenant un peu, avec ce livre qui vous est consacré, le roman de votre vie à travers les yeux d’un homme qui, à n’en point douter, vous aime profondément.

Ce livre, au vocabulaire riche, érudit, rendant l’homme, l’artiste, l’époque, la peinture, l’écriture, aussi vivants et passionnants, est assurément une pure merveille.

Je ne suis pas prête à vous oublier cher Eugène et puissiez-vous faire naître chez d’autres lecteurs le même enthousiasme que celui qui jaillit en moi.

Amicalement,

Elvire

Patrick Tudoret, je ne le présente plus. Je lui ai consacré déjà deux billets et il y en aura encore et encore, je l’espère.

5 réponses
    • pichon JACQUES
      pichon JACQUES dit :

      « Je ne suis pas prête de vous oublier cher Eugène et puissiez-vous faire naître chez d’autres lecteurs le même enthousiasme que celui qui jaillit en moi ».
      J’aurais préféré: « je ne suis pas près de vous oublier » ou « je ne suis pas prête à vous oublier », c’est véniel mais courant aujourd’hui…

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  1. Domdom
    Domdom dit :

    Je termine le livre sur Eugène Fromentin. L’auteur, Patrick Tudoret, a une plume pleine de sensibilité pour présenter la vie de Fromentin, dont il fait une sorte de roman, alors qu’il s’agit bien d’une biographie. Il avance par touche successive, au fil des années qui passent, principalement marquées par les avancées de son personnage. Il fait à son
    tour une sorte de tableau, riche de contrastes et souligné par des citations qui illustrent le propos. Quant à Eugène Fromentin, j’avoue ne pas être ainsi entré dans sa
    vie. Je connaissais, et pour cause, Dominique, mais bien peu son oeuvre orientaliste.
    Je retiens particulièrement cette phrase citée in fine: « L’épreuve temporaire étant consommée, l’expérience est riche de tout le trésor des peines et des joies amassées ».
    En somme une lecture bienvenue.

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  2. Gustave
    Gustave dit :

    Eugène peut être fier de vous compter au rang de ses amies. Billet de nuit inspiré, chaleureux et toujours brillant

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