La miséricorde de Jean Raspail

« Mon digne ami, écoutez-moi. Je ne crois pas aux prêtres sans vocation. Ce n’est vraiment pas un métier. Au soir de l’ordination, il n’y a pas de mauvais prêtres. Même les plus chancelants rêvent de sainteté, pas de femmes. Et quand la faute se présente, imaginez le courage qu’il faut à un prêtre pour renier son état, son habit, son caractère sacré, ses engagements, le respect dont il est entouré, et pour oser se contredire chaque jour, à chaque minute de son ministère, dès qu’il a franchi le pas. Il faut un triste courage pour renier Dieu et se contenter d’une banale vie d’homme, jusqu’à y trouver une forme de médiocre petit bonheur. (…) Le dessein de Dieu, tout est là. Dans le double crime du curé de Bief, je découvre la terrible présence de Dieu…  »

La miséricorde est un roman inachevé de Jean Raspail, initié en 1966, plusieurs fois repris et complété, inséré une première fois en tant qu’essai en 2015 au sein d’un recueil contenant six romans de l’auteur (Là-bas, au loin, si loin) et publié de façon autonome, mais sans retouche, pour la première fois en mars 2019 par les Editions Equateurs.

Bien que ce livre soit un roman, Jean Raspail s’est cependant inspiré d’une histoire vraie : l’assassinat commis par un curé, en 1956 à Uruffe, de sa maîtresse enceinte puis de l’enfant qu’elle portait, après l’avoir extirpé de son ventre puis baptisé.

Jean Raspail a écrit en post-scriptum de son livre, repris en quatrième de couverture : « J’ai changé le nom de ce village qui fut, il y a soixante ans, le théâtre de ce crime horrifiant, qui bouleversa la France entière, plongeant les fidèles et le clergé catholique dans un abime de réflexions consternées. J’ai aussi changé le nom de l’assassin, immolateur, sacrificateur, l’appelant Jacques Charlébégue, curé de Bief, dont j’ai pris la vie en charge à partir de son incarcération. Car ce livre est un roman. Si je me rappelle bien sa genèse, ce n’est pas ce crime qui m’y a conduit, mais l’enfermement de ce jeune prêtre coupable condamné à la perpétuité et son face-à-face avec Dieu, jour après jour, mois après mois, année après année, entre les quatre murs de sa cellule. […] Nul ne savait plus rien de lui, par une sorte de conspiration du silence entre l’administration pénitentiaire et le magistère catholique romain, lequel, pas plus que Dieu, n’abandonne jamais ses prêtres déchus, fussent-ils au-delà de l’indignité. J. R. »

Le livre s’ouvre en 2001 : un avocat septuagénaire, qui selon tous les critères mondains de la réussite sociale est bien établi dans la vie, échoue malgré lui dans le confessionnal d’un prêtre, à l’occasion d’une plaidoirie dans une petite ville de province, où étonnamment, de nombreuses voitures sont garées à proximité de l’ancienne abbatiale pour venir s’y confesser. Quelques pages plus loin, nous sommes en 1960, un nouvel évêque de 74 ans vient d’être nommé dans la région, et il part à la rencontre des quelques prêtres dont il a la charge, ainsi que du curé de Bief, emprisonné depuis 4 ans, dont les lettres adressées à l’ancien évêque étaient restées sans réponse.

Le roman alterne ainsi entre les deux époques et s’interrompt à la page 167…

Jean Raspail donne une seule explication au caractère volontairement inachevé de son roman : une phrase qui figure dans le canon de la messe « Seigneur, je ne suis pas digne … »

Inachevé certes si l’on espérait connaître quel aurait pu être le sursaut spirituel de notre avocat, ou comment le prêtre emprisonné devint une sorte de Curé d’Ars anonyme, mais cependant tout est dit, l’essentiel :  le mystère de la grâce et du dessein de Dieu, la force du pardon et de la miséricorde.

Dans ce petit confessionnal où afflue une foule de gens venus se repentir, il y a certes l’indignité nommée, jugée devant les hommes, flagrante, celle qui fait horreur et qu’il est aisé de brandir pour disculper et atténuer nos propres fautes, comme une échelle de valeurs que nous mettrions en place pour ne pas avoir à trop en descendre. Mais il y a aussi, et surtout, cet ordinaire de nos petites vies quotidiennes, l’afflux de toutes nos indignités plus ou moins graves qui rassemblées sans retour en arrière ou enfouies bien loin, finissent par former des torrents de boue qui n’en sont pas moins conséquents ni moins lourds au regard du salut de nos âmes. Qui est le plus digne aux yeux de Dieu ? Vers qui la miséricorde se faufile-t-elle plus aisément ? Vers le « grand » pêcheur repenti ou le « petit » pêcheur satisfait de penser qu’il ne l’est pas trop ?

N’oublions pas Saint Pierre ou Saint Paul qui, avant d’être de grands saints, n’en ont pas moins été de grands pêcheurs, ou le bon larron.

Oui nous ne sommes pas dignes. Mais elle est là l’Espérance des chrétiens : savoir que Jésus est mort pour chacun d’entre nous et que sauvés nous le sommes, même indignes.

« La miséricorde, nous dit le pape François, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre.  Elle est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites du péché, le moyen déposé dans nos mains fragiles pour atteindre la paix du cœur. »

Un livre bouleversant qui secoue nos tiédeurs.

Jean Raspail, né en 1925, est l’auteur d’une œuvre abondante, nombreuses fois primée, dont son œuvre phare Le camp des saints.

2 réponses
  1. Annick
    Annick dit :

    Je ne connaissais nullement ce roman inachevé.Mais on y retrouve la

    puissance d’écriture de Jean Raspail.Et pour un théme atroce.La projection

    de ces profondes émotions du prêtre est terrifiante.

    Ajouter que la présentation de l’oeuvre est aussi de grande qualité.

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