Le Maître de la Terre de Robert-Hugh Benson
« Tout ce qui avait eu lieu jusqu’alors ne pouvait manquer d’amener ce qui venait d’avoir lieu, c’est-à-dire la réconciliation du monde entier sur des bases autres que celles de la vérité divine. (…) Voici que se formait une unité sans équivalent dans l’histoire (…) En fait, les vertus naturelles s’étaient soudain épanouies, tandis que les vertus surnaturelles avaient été méprisées. La philanthropie avait pris la place de la charité, le contentement celui de l’espérance, et la science s’était substituée à la foi. (…) Et Percy comprenait désormais que le chrétien ne pouvait plus que veiller et attendre, jusqu’au jour où le corps mystique sortirait décidément du tombeau. »
Sorti en 1906, ce livre est une véritable fresque de la fin des temps, œuvre pré-apocalyptique par excellence que l’auteur situe un siècle après son écriture, mais dans un cadre totalement futuriste (habitat sous terre, machines volantes, trottoirs roulants…).
La note de l’éditeur qui précède cette édition résume à elle seule le contenu de ce livre qui est « une parabole, illustrant la crise religieuse qui, suivant toute vraisemblance, se produira dans un siècle, ou même plus tôt encore, si les lignes de nos controverses d’aujourd’hui se trouvent indéfiniment prolongées ; car celles-ci ne peuvent manquer d’aboutir à la formation de deux camps opposés, le camp du catholicisme et le camp de l’humanitarisme ».
Par le pouvoir et la puissance d’un seul homme, le monde se rallie autour d’une vision panthéiste de la nature où le Dieu transcendant est remplacé par un Dieu humaniste, somme de la vie créée, et où chaque individu forme un élément de cet être divin. Les grands principes humanistes, dans leurs manifestions la plus suprême, forment ainsi l’Esprit du monde, le Dieu à qui rendre un culte.
L’humanisme semble réussir là où la religion a échoué : l’arrêt des conflits, un consensus international sur les normes économiques et politiques, un ralliement sans discussion à ce nouvel ordre et l’instauration d’un culte régulier à la Maternité, la Paternité ou la Solidarité dans les anciens bâtiments religieux.
Le nombre d’apostasies spontanées au sein de l’Eglise, aussi bien parmi les prêtres que les fidèles, est incalculable et ce changement du monde s’opère avec une fascination et une docilité déconcertante, pour ne pas dire effrayante.
En dépit cependant de ces grands principes de paix et d’amour fraternel, la religion catholique, bien que réduite à peau de chagrin, est perçue comme un symptôme vicié à supprimer au sein de ce monde divinisé par l’Esprit humaniste qui le régit, et s’ensuivent des lois de persécutions contre les chrétiens allant jusqu’à la destruction du Vatican et du pape.
La question lancinante à travers cette œuvre est celle du pourquoi ce silence assourdissant de Dieu. Pourquoi tout cela est-il permis, pourquoi Dieu a -t-il laissé son Eglise se réduire à une poignée de fidèles voués au martyr ?
Il y a une part de mystère que la raison humaine ne peut éclaircir et Robert-Hugh Benson se garde bien d’y répondre de façon claire, si ce n’est en rappelant, à travers l’admirable figure du Père Percy, que l’Antéchrist orgueilleux, le Maître de la Terre, est voué à la destruction à la fin des temps.
« Et puis, ce monde passa, et toute sa gloire se changea en néant … »
Une des livres préférés du Pape François, semble-t-il, qui y voit un moyen de « comprendre le drame de la colonisation idéologique », « un fait de grande importance » fut sa lecture pour Benoit XVI.
Assurément un livre magistral, visionnaire et incroyable de modernité en 2017, un véritable cri de foi éperdu, dont les thèmes du combat spirituel situé sur un terrain idéologique ou du silence de Dieu, même si comparaison n’est pas raison en termes de genre, d’époque ou de support, sont repris notamment dans la remarquable trilogie du Père Elijah de Mickael D. O’Brien, ou le dernier film de Scorsese intitulé Silence.
Né en 1871, Robert-Hugh Benson, pasteur anglican, s’est converti au catholicisme en 1903 et fut ordonné prêtre l’année suivante. Il exerça son ministère à Cambridge, tout en poursuivant un travail d’écriture intense, une trentaine d’ouvrages regroupant des œuvres théâtrales, des romans et essais apologétiques.
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