Les fiancés de Manzoni

 « Vous ne savez donc pas que souffrir pour la justice est notre victoire ? si vous ne savez pas cela, que prêchez-vous, alors ? Qu’est-ce donc que vous enseignez ? Quelle est la bonne nouvelle que vous annoncez aux pauvres ? Qui prétend de vous que vous vainquiez la force par la force ? Il ne vous sera certes pas demandé un jour, si vous avez su mettre au pas les puissants, car de cela, l’on ne vous a donné ni la mission, ni le moyen. Mais il vous sera demandé si vous avez usé des moyens qui étaient entre vos mains pour faire ce qui vous était prescrit, quand même ils auraient eu la témérité de vous l’interdire. Comment ne voyez-vous pas, que si dans ce ministère, le courage vous est nécessaire pour accomplir vos obligations, quelqu’Un vous le donnera infailliblement, si vous le Lui demandez ? Croyez-vous que tant de millions de martyrs eussent naturellement du courage ? Connaissant votre faiblesse, et vos devoirs, avez-vous pensé à vous préparer aux difficultés où vous pourriez vous trouver ? »

Je ne saurais plus dire où j’avais trouvé, il y a quelques mois déjà, la liste des dix livres préférés du pape François, mais parmi ceux-ci, figurait curieusement ce roman du 19ème siècle d’un auteur italien, à ma pomme, totalement inconnu.

« Dis-moi ce que tu lis, et je te dirai qui tu es » est un adage qui je trouve, ne dit pas tout de la personne, mais la dévoile cependant grandement, en ce que les livres qui nous semblent essentiels sont aussi les livres qui nous ont révélés, construits, accouchés, accompagnés, et à ce titre sont une (parmi d’autres) excellente porte d’entrée de connaissance des êtres.

Lire « Les Fiancés » de Manzoni ne fut pas une mince affaire car nous sommes là en présence d’une œuvre littéraire de la grande époque romantique par excellence, qui se situe au sein de l’Italie du 17ème siècle, et par conséquent, un roman de plus de 800 pages qui s’étale en descriptions, raffinement de la langue, multitude de personnages, faits historiques, le tout à coup de force détails, sentiments et rebondissements. Il faut donc disposer d’un peu de temps devant soi et ne pas être pris d’une envie irrésistible de roupiller.

Dans cette fresque, Manzoni nous prend à témoin face à la mésaventure de deux jeunes fiancés qu’un prêtre, devant la menace de mort d’un seigneur local arrogant et cruel qui souhaite notre belle Lucia pour lui, refuse de marier par couardise. De ce fait, va découler toute une série de péripéties pour nos deux fiancés qui seront l’occasion pour Manzoni d’explorer le déchaînement des âmes quand elles sont en proie à la peur, la bassesse, et où seuls l’amour, la miséricorde, la douceur peuvent espérer triompher et entraîner repentance et conversion, dans une société lézardée par la guerre, la famine, la peste, les oppresseurs et les pauvres.

Je ne saurai dire ce qui a pu plaire particulièrement à notre pape François dans ce livre, outre sa remarquable écriture, mais il est vrai que ce genre de roman porte en lui un universalisme qui démontre remarquablement bien combien le cœur des hommes, quel que soit son époque, reste en proie aux mêmes tourments. Les circonstances changent mais le combat reste le même. Il m’a semblé cependant percevoir dans ce récit un fléau considéré comme pire que tout autre par Manzoni, et qu’il dénonce farouchement, qui est celui de l’homme par lequel le mal advient par son entremise au travers des autres. Cet homme qui, de par sa scélératesse (très joli mot), entraine dans son sillage tant d’autres, soit par son action propre, soit en la faisant exécuter, et qui de là, va conduire aussi bien son auteur que celui qui en est victime dans une spirale de forces contraires, de turpitudes et de misères vis-à-vis desquelles la sainteté des uns sert au dessein de Dieu dans un mystère qui nous échappe. Manzoni n’est pas tendre avec les puissants de ce monde, et les figures de sainteté, d’autorité morale, sont celles qui dépouillées de tout attribut extérieur de pouvoir sont entièrement données au service des âmes, de façon singulière et particulière. Il prête à son cardinal des propos qui forment les pages les plus remarquables de ce roman.

« Quel malheur si je devais prendre ma propre faiblesse pour mesure du devoir d’autrui, pour norme de mon enseignement ! Il est pourtant certain que tout ensemble avec la doctrine, je dois donner l’exemple aux autres et ne pas ressembler au docteur de la loi qui charge les autres d’un poids qu’ils ne peuvent supporter et que lui-même de toucherait pas d’un doigt. »

L’homme est susceptible d’être mené par ses plus vils instincts quand il ne se soumet à rien qui le transcende et l’arrache à lui-même, et l’humanité n’est belle que lorsque dans son désarroi elle se hisse portée par quelque chose qui la dépasse.

« Malheur à l’homme par qui le scandale arrive » nous dit l’Evangile. « Une âme qui s’abaisse, abaisse le monde, une âme qui s’élève, élève le monde », nous dit Elisabeth Lesueur.

Un roman d’actualité si tant est que nous ayons encore conscience d’avoir une âme et un grand classique à avoir en bibliothèque.

Alessandro Manzoni, (1785-1873), est un poète, dramaturge et prosateur romantique considéré comme l’un des plus importants écrivains italiens. Il fut aussi un intellectuel et politique engagé. Il embrasse la religion catholique en 1810, durant la période où il vécut en France et fréquenta les salons littéraires. A titre d’anecdote, Verdi composa son Requiem à sa mémoire en 1874.

1 réponse
  1. Hugues
    Hugues dit :

    Je ne retiendrai que deux passages qui disent l’essentiel: le cœur des hommes reste en proie aux mêmes tourments…
    Et
    Une âme qui s’abaisse abaisse le monde, une âme qui s’eleve élève le monde
    Magnifique

    Répondre

Répondre

Se joindre à la discussion ?
Vous êtes libre de contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *