La conversion de Don Juan de Fabrice Hadjadj

« Dona Elvire : Vous avez voulu lui jeter son passé à la figure. Vous l’avez forcé à regarder en arrière. Ne fallait-il pas laisser les morts ensevelir les morts ? Non, vous l’avez contraint, lui, le vivant, à exhumer son cadavre. Si l’on vous faisait voir, à vous, dans un éclair, tous vos péchés passés, ne seriez-vous pas comme lui foudroyé ? Si je venais à vous comme ça, collant contre vous un corps où sont encore les égratignures de vos ongles, approchant une bouche que le goût de votre vice n’a pas fini d’imprégner, ne reculeriez-vous pas d’effroi ? Ne commettriez-vous pas cet acte désespéré ? (…)Les exercices spirituels, rien à voir avec quelqu’un qui touche vraiment ses fautes, qui en mange la putréfaction, qui en éprouve l’horreur infinie, capable de le faire mourir. (…) Vous l’avez placé haut, plus haut qu’il ne le voulait, qu’il ne le pouvait, parce que cette élévation n’était pas la sienne mais la vôtre (…) et vous êtes à présent comme le père qui en veut à son enfant de n’avoir pas réalisé son idéal. »

Ecrite dix ans après sa propre conversion, cette pièce de Fabrice Hadjadj n’est cependant publiée qu’en 2019 aux éditions Ad Solem, à l’occasion de sa première au Théâtre Auguste le 4 octobre dernier.

Dans une mise en scène épurée, que l’on doit à son épouse Siffreine Michel, portée par une interprétation habitée et talentueuse de ses (anciens ?) élèves de Philanthropos, cette pièce en trois actes de plus de deux heures interpelle finement le spectateur sur les thèmes de la miséricorde, de la vertu, de la foi et de la rédemption.  

Fabrice Hadjadj nous offre un Don Juan converti devenu Carme à Salamanque sous le nom de frère Juan de la Mise au Tombeau et qui se voit confier la direction des âmes. Cinq personnages viennent compléter le tableau, Dona Elvire une ancienne maîtresse qu’il a arrachée à son couvent et qui revient le tenter, le frère de Dona Elvire, Don Alonze, qui refuse de croire à cette conversion, et son épouse Dona Teresa, Sganarelle, son ancien valet devenu Don Juan à son tour, et son supérieur, Padre Miguel.

Comment savoir si cette conversion fulgurante ne revêt pas les plus beaux atours pour pervertir les âmes ? Comment sonder le mystère à l’aune de la mise à l’épreuve, de la tentation pour s’assurer que le saint ne serait pas resté vulnérable ? La vertu doit-elle être mise à l’épreuve du feu pour en éprouver la grandeur, l’or peut-il couler de nos chutes dans un dessein qui nous dépasse et qui demeure un des plus grands mystères divins ?

Cette pièce écrite, il y a presque douze ans, n’avait pas vocation à retentir comme un triste écho à l’actualité de notre Eglise. Il est difficile cependant de ne pas l’écouter sans pénétrer dans cette longue agonie à laquelle nous assistons qui exhibe, juge, révèle jusqu’à la lie, où la justice des hommes se heurte bien souvent à la miséricorde divine accordée à ceux qui l’implore. La charge confiée à certains n’est-elle pas parfois trop écrasante ? Le chemin de croix intérieur n’est-il pas souvent plus lourd que la demande de réparation exigée des hommes ? La rédemption ici-bas est-elle possible ? Sommes-nous capables de miséricorde face à un repenti ?

Autant de questions auxquelles la pièce ne répond pas de manière péremptoire, si ce n’est, dans une indicible délicatesse, à travers cette magnifique scène où la Vierge Marie, s’adressant à Frère Juan, lui dit : « Ta dépouille sera méprisée de tous. Mais je la serrerai entre mes bras. »

En se prêtant au jeu de la séduction de Frère Juan, notre Elvire, victime trompée et abusée par lui voilà quelques années, se trouve à son tour transformée. En chutant, Frère Juan ressuscite Dona Elvire.

Le temps de l’âme n’est assurément pas celui des hommes. Ce qui se joue au fond des cœurs et des reins ne saurait être la trame d’une scène théâtrale exposée aux multiples regards des hommes.

 « Nous combattons dans un tunnel, et ceux qui sont de bonne volonté peuvent s’y entre-déchirer comme les autres, parce que la lampe qu’on voudrait lever pour reconnaître un visage ne fait que projeter sur lui un ruissellement de lueurs et d’ombres qui nous le rend encore plus étrange. »

Un texte lumineux et puissant sur le discernement, incarné, subtile qui réveille notre regard sur notre propre authenticité.

En ce moment au Théâtre Auguste jusqu’au  1er décembre.

1 réponse
  1. Anonyme
    Anonyme dit :

    Tellement envie de la lire maintenant à défaut de pouvoir aller la voir, cette pièce.
    Un jour je serai de retour à Paris et nous irons à nouveau ensemble au théâtre.

    Répondre

Répondre

Se joindre à la discussion ?
Vous êtes libre de contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *