Seul ce qui brûle de Christiane Singer

« La longue gestation de tout changement reste invisible à l’œil nu. (…) Il ne faut jamais faire semblant de croire que les choses telles qu’elles se produisent dans nos vies soient évitables. Ce serait la source d’une inutile souffrance. (…) J’eus la chance insensée d’être remise chaque jour au monde par son regard. (…) Au lieu de subir ce à quoi on n’échappe pas, on peut aussi le choisir : on peut oser le choisir !

Les femmes, quand nous les croyons encore soumises et offertes, elles sont depuis longtemps déjà fenêtres ouvertes sur l’infini. (…) Aucune femme n’est belle. Mais il arrive que la beauté fasse irruption en l’une d’elle de manière irrépressible, et la voilà débordée, envahie, inondée.»

Le souvenir du trouble ressenti l’année de ses 15 ans à la lecture d’une courte nouvelle de Marguerite de Navarre, (sœur de François 1er pour qui aurait besoin de se rafraichir la mémoire historique), suscita chez Christiane Singer, quelques années plus tard, le désir de revenir à la source de cette émotion en réécrivant cette histoire du XVème siècle.

Ce trouble, nous dit-elle en préface, reflétait déjà ce qu’elle éprouva sa vie durant : la peur de toute tiédeur, de toute platitude, pour ne chercher que le Nihil nisi ardeat !

Seul ce qui brûle !

Et il brûle son roman, il consume pourrais-je même dire, tant la passion dévorante entraine les êtres qui y sont enchainés vers les abimes les plus vertigineux pour renaître, par la grâce transcendante qui transperce, vers l’immensité de ce qui nous dépasse.

Epoque oblige probablement, notre époux transi est un veuf de 37 ans, et l’objet de sa passion, une jeune fille de 13 ans (sans commentaire, époque du récit oblige …). Il l’aima son épouse, il aima même tellement qu’il en devint fou de jalousie au point de l’enfermer trois longues années. L’histoire aurait pu en rester là, mais ce serait faire fi de ce nihil nisi ardeat de Christiane Singer qui dilate les âmes, réveille les cœurs, rend la vue et pousse les amants vers leur rédemption. Il fallut l’arrivée inopinée d’un étranger en cette demeure pour que notre époux enferré dans son orgueil voit sa dureté se fendiller, son regard changer, et se jeter aux pieds de sa femme captive pour implorer son pardon. Et elle pardonne la jeune épouse emplie d’amour pour son mari, d’un amour pur et sans jugement, d’un amour qui espère et attend.

Sur la gamme de passion amoureuse, Christiane Singer écrit une symphonie où la femme, réceptacle de l’homme en toutes ses acceptions, source féconde de la vie, le révèle et l’amène vers ce qui se joue au-delà ce qui n’est visible qu’à l’œil nu.

« A force d’être ouverte, à force de laisser passer à travers elle et la vie et la détresse, la prospérité, les enfants et les cavales indomptables du désir, elle a obtenu de moi ce qu’elle n’a pas même pris la peine d’exiger :  une totale reddition. » écrit notre amant Sigismund d’Ehrenburg.

« Aucune femme n’avait été mieux honorée dans son âme et dans son corps que je l’avais été ici, ( …) je suis si intensément rassemblée autour de l’amour que j’ai reçu de mon seigneur et que je lui porte », écrit Albe d’Ehrenburg.

L’homme et la femme, comme deux miroirs qui se révèlent l’un à l’autre dans une complémentarité où le don entraine l’abandon, l’amour fait naitre la beauté, le spirituel transcende la nature.

Ce n’est pas troublée que je referme ce roman d’une centaine de pages, mais bien émerveillée. Puissions-nous, nous aussi, porter et vivre ce regard qui met au monde chaque jour.

Christiane Singer, 1943-2007est une essayiste et romancière française, prolifique, dont l’œuvre s’est tournée essentiellement vers la mise en exergue du spirituel au cœur de chacun. Derniers fragments d’un long voyage fut son dernier livre, écrit quelques mois avant sa mort annoncée. Elle a reçu plusieurs prix littéraires, dont le prix de la langue française en 2006 pour l’ensemble de son œuvre.

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