Ces rêves qu’on piétine de Sébastien Spitzer

« Ma fille, je n’en peux plus de me cacher, de dire que j’ai une fille qui ne veut plus de moi. Des années sans un mot. (…) Je suis devenue pauvre de toi, de tout l’amour d’un père. (…) J’ai tenu ma place de père je crois. (…) J’espère que tu redeviendras ma fille un jour. Laisse-moi une petite place. Accorde moi l’image d’un père même à échelle réduite. (…) Tes fondations sont les heures que nous avons passées ensemble à interroger la vie, à balayer la mystique, à gratter les mots, les idées, les grands auteurs. A marcher sans rien dire pour écouter le silence. Je mérite bien d’être ton père, même à échelle réduite… »

Je le dis d’emblée : ce livre est un immense coup de cœur.

Attirée comme un aimant par le titre et la photo, puis son format et son papier, j’ai eu tout de suite envie de le prendre et de le feuilleter. Je le souligne car cela me permet de remercier au passage l’auteur et sa maison d’éditions, un livre réussi étant d’abord, à mon sens, un livre qui donne envie d’être touché, senti, exposé, un peu comme un bel objet ramené chez soi.

La lecture de la 4ème de couverture m’a ensuite totalement conquise, et je la reprends intégralement pour résumer le contenu de ce livre :

Sous les bombardements, dans Berlin assiégé, la femme la plus puissante du IIIe Reich se terre avec ses six enfants dans le dernier refuge des dignitaires de l’Allemagne nazie. L’ambitieuse s’est hissée jusqu’aux plus hautes marches du pouvoir sans jamais se retourner sur ceux qu’elle a sacrifiés. Aux dernières heures du funeste régime, Magda s’enfonce dans l’abîme, avec ses secrets. Au même moment, des centaines de femmes et d’hommes avancent sur un chemin poussiéreux, s’accrochant à ce qu’il leur reste de vie. Parmi ces survivants de l’enfer des camps, marche une enfant frêle et silencieuse. Ava est la dépositaire d’une tragique mémoire : dans un rouleau de cuir, elle tient cachées les lettres d’un père. Richard Friedländer, raflé parmi les premiers juifs, fut condamné par la folie d’un homme et le silence d’une femme : sa fille.

Elle aurait pu le sauver.

Elle s’appelle Magda Goebbels.

Encore un livre sur la Shoah me direz-vous. Certes ! et j’en ai lu pour ma part un nombre suffisamment important quand j’étais dans ma période « 2de guerre mondiale » pour effectivement ne plus être vraiment attirée aujourd’hui par ce thème en littérature.

Ce serait malheureusement passer à côté d’un magnifique roman, admirablement bien écrit, d’une finesse et d’une intensité telles qu’il a su me remuer les entrailles.

En s’attaquant à ce thème, Sébastien Spitzer n’a pas cherché la facilité. Sujet maintes fois traité, ce livre aurait pu être un parmi d’autres, et pourtant il en ressort un petit bijou.

Sébastien Spitzer mêle fiction et réalité historique pour raconter, comme en écho inversé, les derniers jours de Magda Goebbels en revenant sur les grandes périodes de sa vie qui l’ont conduite jusqu’au pouvoir, et le destin de quelques rescapés des camps marchant vers leur survie ou leur mort. Entre les chapitres, comme un fil conducteur, s’intercalent les lettres de Richard Friedländer, ce père juif dont elle aurait renié l’existence pour sa propre gloire.

Ces lettres, même si l’auteur reconnait qu’elles sont fictives, n’en sont pas moins bouleversantes et sublimes, et pourraient être écrites, abstraction faite de la détention dans les camps, par n’importe quel père à qui la fille manque cruellement.

Que ce soit la marche des prisonniers qui entame ce livre ou le moment où Magda Goebbels met fin à la vie de ses six enfants dans le bunker où elle s’est réfugiée avec Hitler et son mari ou la vie des camps à travers les yeux de la petite Ava née à Auschwitz, tous ces passages sont d’un réalisme terrifiant, portés par une plume de grande qualité.

Le vocabulaire est choisi : on trouve des mots comme trinquette, bagueule, friseler, giton, fourbir, pergeoté… je vous laisse le soin d’en chercher les définitions.

En un mot, vous l’aurez compris, j’ai adoré ce livre que je n’ai pas lâché à peine ouvert et je lui souhaite auprès du public le succès qu’il mérite.

Publié le 23 août 2017, ce livre a reçu en septembre le prix Stanislas du premier roman.

Une jolie reconnaissance pour les Editions de l’Observatoire pour qui, ai-je cru lire, ce livre est le premier roman publié depuis leur création en 2016.

 

Sébastien Spitzer, né en 1970, est journaliste et écrivain. On lui doit plusieurs enquêtes sur le Moyen-Orient, l’Afrique et les Etats-Unis et le terrorisme international.  « Ces rêves qu’on piétine » est son premier roman.

4 réponses
  1. Sébastien Spitzer
    Sébastien Spitzer dit :

    Je suis très touché par votre mot car ce livre est le fruit d un travail très intense. Merci pour votre billet. Bien à vous

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  2. Gustave
    Gustave dit :

    Chère Elvire, vous savez comme aucune autre nourrir la curiosité de vos lecteurs, et les encourager à partager vos pépites. Ce livre semble très attirant. Après vous avoir lu il devient indidpensable.

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