Pour la liberté de François Sureau
« Le 31 janvier, 28 mars et 30 mai 2017, j’eus à plaider devant le Conseil Constitutionnel contre trois dispositions sur des lois relatives au terrorisme et à l’état d’urgence. (…) Les trois plaidoiries que vous allez lire s’inspirent d’une idée que je crois juste (…). Le système des droits n’a pas été fait seulement pour les temps calmes, mais pour tous les temps. Rien ne justifie de suspendre de manière permanente les droits du citoyen. Cela n’apporte rien à la lutte contre le terrorisme. Cela lui procure au contraire une victoire sans combat, en montrant à quel point nos principes étaient fragiles. »
« Pour la liberté », rassemble trois plaidoiries que François Sureau a prononcées devant le Conseil constitutionnel dans le cadre de ce qu’on appelle en droit des questions prioritaires de constitutionnalité permettant, à l’occasion d’un litige, de contester la conformité de lois en vigueur à la Constitution, et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 à laquelle la Constitution se réfère dans son préambule.
Un véritable contrôle a posteriori, alors même que les lois sont votées, publiées et mises en application.
François Sureau, avocat au conseil d’Etat et à la cour de cassation, représentant de la Ligue des Droits de l’homme, a ainsi, à trois reprises, saisi le Conseil Constitutionnel pour contester la conformité de dispositions votées à l’occasion de l’état d’urgence, en ce qu’elles portaient atteinte aux libertés publiques :
– Non-conformité du délit de consultation habituelle de sites internet terroristes au regard de la libre communication des pensées et des opinions
– Non-conformité du délit d’entreprise individuelle terroriste au regard des principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peines
– Non-conformité de la possibilité pour le préfet d’interdire dans le département toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics au regard de la liberté d’aller et venir.
Par trois fois, le Conseil Constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution.
« Répondre au terrorisme sans perdre la raison », tel est en effet l’objet des plaidoiries de François Sureau et le sous-titre de son livre.
Empiéter sur nos libertés fondamentales pour répondre en urgence à une situation de crise et satisfaire ainsi la pression des citoyens, préfigure selon François Sureau un état « pré-totalitaire ». Sujet sensible parmi tant d’autres dont on voit bien que la frontière est fragile et le basculement rapide entre recherche de la sécurité à tout prix et protection des libertés fondamentales.
Une lecture rapide des textes incriminés ne choque pas a priori car jamais on ne se figure entrer dans son champ d’application : ces lois sont prises pour ceux qu’on imagine mais qu’on ne décrit pas. C’est cependant ouvrir ainsi la boîte de pandore à toutes les dérives, l’arbitraire du juge, la toute-puissance des forces de l’ordre ou les caprices d’un préfet, dont on peut aisément imaginer les turpitudes, en dehors même de toute situation de terrorisme, réelle ou envisagée.
Pour mémoire, s’il en est besoin, les lois antiracistes et les lois anti-négationnistes, dites lois mémorielles, ont soulevé et soulèvent exactement la même problématique dont on constate les effets aujourd’hui. Le carcan de la bien-pensance a grignoté peu à peu les esprits au point de fustiger violemment toute liberté d’opinion et de penser jugée « incorrecte » et ouvrant la voie à toutes les minorités, ethnies, groupes religieux ou groupes de personnes pour, soit réclamer leur loi protectrice, soit recourir de plus en plus au juge, lui laissant ainsi le pouvoir d’encadrer et censurer la liberté d’expression.
Si les décisions liberticides font le bonheur de ceux et celles qui les sollicitent, il y a tout de même matière à s’inquiéter fortement sur les coups de canif portés régulièrement à nos libertés publiques.
Doit-on y voir un progrès ? J’aurais pour ma part tendance à y voir une énorme régression intellectuelle, car comme le rappelle si justement François Sureau, s’il est aisé de détricoter la loi par des réformes successives prises sous le coup de l’émotion ou la pression d’un groupe, il est plus difficile de revenir en arrière. D’autant que si l’on en croit avocats et magistrats, la loi dispose déjà de tout l’arsenal nécessaire pour lutter contre les abus et excès auxquels la mise en œuvre de ces libertés pourrait conduire.
Ces empiètements réguliers à nos droits et libertés, qui ont valeur constitutionnelle, s’ils ne sont pas justifiés et proportionnés au but recherché, ont tous les atours d’un Etat inquisiteur qui, de surcroit, en raison de la pauvreté juridique de la plupart des textes votés, laisse le juge à l’arbitraire de sa décision et permet l’augmentation des erreurs judiciaires pour une protection bien relative.
Se battre pour la liberté n’est donc pas un vain mot, et ce livre nous en rappelle toute l’acuité et sa fragilité.
Je précise qu’il n’est pas nécessaire d’être un juriste pour le lire, ces plaidoiries étant des hymnes à l’âme française et à notre histoire, un appel à la liberté.
A lire absolument.
François Sureau, né en 1957, est également écrivain, plusieurs fois primé, dont notamment le Grand Prix de l’Académie Française en 1991 pour son livre L’infortune.
Ce livre, Pour la liberté, est sorti le 31 août 2017. Il intègre la nouvelle ligne éditoriale de chez Tallandier confiée à François Maillot dans la collection « Essais ». Une belle initiative pour une maison d’éditions réputée pour ses livres historiques sous toutes ses formes et dont le choix ambitieux d’élargir sa palette, en ce compris une collection « Spiritualité », trouvera je l’espère son public. De belles plumes ont d’ores et déjà ouvert le bal de ces deux nouvelles collections et je remercie les Editions Tallandier de m’en avoir fait profiter et de pouvoir vous les partager à mon tour.
La liberté est aujourd’hui « grignotée », remise en cause par l’Etat et certains personnages..
Avec des amis juristes nous avions prévu d’organiser un colloque sur le thème: le droit public à l’assaut des libertés individuelles.
Il est bien certain que le principe de la loi est oublié face à cette
multiplication de lois et décrets qui n’organisent pas la vie
ensemble, mais cherchent à régler des situations singulières
aux dépends du vivre ensemble. Il faut ajouter que la liberté est un des attributs fondamentaux, peut-être le premier, de l’homme et y porter atteinte est une
agression faite à tout homme.
Merci Elvire. Vous confirmez en tout point et avec vous François SUREAU que l’essence que la démocratie à la française est le totalitarisme absolu.
Votre curiosité est admirable. Ce billet est remarquable par sa concision et sa justesse. Mon frère étant un grand avocat pénaliste ayant eu à plaider à de nombreuses reprises sur ces sujets en défense, il partagerait en tout point cette analyse. Un de vos nouveaux lecteurs séduit par votre éclectisme.
Merci Raphaël et bienvenue sur le blog
Avec grande joie Elvire. Bravo et merci pour ce très bel ouvrage. J’espère avoir le plaisir de vous lire très fréquemment Fidèlement votre