L’arbre d’obéissance de Joël Baqué

 « Certains de ces ascètes sont des fous ou des demi-fous, soit, mais ceux qui gardent suffisamment de mots pour commenter leur folie, ceux dont la constance dans l’oraison est suffisamment éloquente, ces demi-fous, comment nommer l’autre moitié de cela qui les constitue, quel mot mettre sur cela qui échappe à la raison et à l’expérience communes ? Que poser sur l’autre plateau de la balance ? L’homme n’est pas sécable comme une galette de blé, en lui se mêlent toutes les saisons, une part de lui verdoie quand une autre est prise dans les glaces, sa bouche dit une chose et ses yeux le contraire. (…) Dieu est infiniment plus grand que l’imagination la plus féconde, c’est pourquoi nous ne savons rien ou presque rien. »

Il est fêté le 1er septembre par les Eglises d’Orient.

Il vécut toute sa vie dans l’ascèse et l’austérité au nord de la Syrie entre 388 et 459 après Jésus-Christ, dont plus de quarante années au sommet d’une colonne. Ne pouvant ni s’allonger ni ne voulant y descendre, il était nourri par quelques victuailles placées dans un panier qu’il hissait jusqu’à lui.

Respecté de l’empereur Théodose II et de sa femme Eudoxie, contemporain de Sainte Geneviève avec laquelle il est dit qu’il entretint quelques correspondances, il eut de nombreux disciples et attira une foule innombrable de pèlerins ou de spectateurs. Il mourut sur sa colonne en position de prière.

Son nom est Siméon le Stylite.

Contemporain de Siméon, évêque de Cyr, figure remarquée lors de plusieurs conciles, reconnu comme l’un des principaux historiens ecclésiastiques de l’Antiquité tardive, on lui doit l’une des premières biographies de Siméon.

Son nom est Théodoret de Cyr.

Tels sont les deux protagonistes de cet étonnant mais sublime roman de la rentrée.

Etonnant quant au sujet, car qui aujourd’hui peut s’intéresser à un stylite du 5ème siècle, un saint de l’église byzantine dont la vie est certes une prouesse d’austérité et de d’abandon total en Dieu, mais peut sembler un tantinet saugrenue. Rien ne vaut un bref sondage auprès de mes meilleurs alliés, je veux nommer mes adorables trolls, pour vite m’apercevoir que ce sujet est en fait assez fascinant : les questions qui ont fusé ont porté essentiellement sur des aspects purement pratiques, il me faut bien l’avouer, l’aspect spirituel ayant été relégué au degré ultime de l’incompréhension. Et nous voilà à rechercher iconographies, images, détails quant à la taille de la colonne, la présence ou non de poulies pour relever le panier en osier, le nombre de positions possibles sur le sommet de la colonne, les modalités de déplacement d’une colonne à l’autre (Siméon a changé plusieurs fois de colonnes au cours de sa vie, la dernière mesurant 18 m de haut) …

Sublime sur le fond, ce roman est une pure merveille quant à la finitude de l’homme, en ce que confronté à l’inexorabilité de la mort, et face à lui-même, la multitude des facettes de son être le conduit tour à tour au divin ou au désespoir, à l’orgueil ou à l’humilité, à la folie ou au don absolu.

« Le temps terrestre n’a pas de profondeur, il n’est qu’une surface où nous glissons, saisis par l’intensité de certains instants, abasourdis par la fugacité d’une existence. Nous sommes des enfants, puis très vite des enfants aux peaux ridées (…) et à peine arrivés, nous devons nous préparer à rendre des comptes, et notre faiblesse s’avère sans limite. »  fait-il dire à Théodoret qui tient la plume de ce roman.

Cénobites et anachorètes : deux appels de vie radicale de nature à interpeler et bousculer la pensée de nos contemporains et qui constituent le cœur de ce premier livre de la rentrée littéraire.

Joël Baqué,  est né en 1963. Ex CRS, officier de police judiciaire à Nice en 2017, il est l’auteur de poésies et de plusieurs romans remarqués.

3 réponses
  1. Dom-Dom
    Dom-Dom dit :

    Je dois avouer que le sujet peut surprendre: un homme juché sur une colonne
    où il vit humblement son quotidien. Au-delà du choix de vie, je trouve la position
    choisie riche de symbole: prendre de la hauteur, poser son regard sur toute chose
    de plus haut, se rapprocher aussi de ce qui est tout en haut. Cet exemple d’ascension,
    dans l’humilité, est une belle image et aussi une source de méditation. Car si la colonne
    est signe d’ascension, elle se voit de loin; ainsi pour celui qui « monte » en sainteté.

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