L’éveil de Mademoiselle Prim de Natalia Sanmartin Fenollera
« Il y a des personnes qui un beau jour prennent conscience qu’il leur manque la pièce principale d’un puzzle qu’elles ne peuvent terminer. Elles sentent juste que quelque chose ne fonctionne pas ou qu’absolument rien ne fonctionne, jusqu’à ce qu’elles découvrent ou, plus exactement, jusqu’à ce qu’on leur permette de découvrir la pièce qui manque. »
Nous vivons au sein d’une époque où les ressorts de la pensée sont si malmenés par les injonctions sociétales qui agitent le goupillon de la culpabilité dès lors que nous avons l’heur de ne pas être en mode « ravi de la crèche », où même notre église semble bien souvent déroutante de conformisme et de tiédeur, où les mots sont galvaudés et perdent leur sens, qu’il est aisé de se sentir totalement désorientés.
Pour ma part, je le suis fréquemment, au point même de me demander parfois si je ne me suis pas fourvoyée sur l’ensemble de mes convictions, de mes valeurs, si ce qui peut me faire vibrer ou m’exalter ne serait pas suranné, si ce que j’aimerais défendre pour un monde que j’estime plus juste, plus humain, ne serait pas une vue de l’esprit, si l’amour de notre histoire, de notre pays ne serait pas une façon de fuir le réel. Anesthésie de la pensée, nuit de la raison, conscience atrophiée, autant de maux qui nous affligent parfois et laissent un vide abyssal.
Pourtant, rien n’est plus admirable qu’un certain art de vivre et de penser qui marque les personnes qui en sont dotées d’une forme de grandeur rare, si rare qu’elle nous éblouit, nous charme quand elle se rencontre. J’aime croire qu’il existe encore une façon d’être qui témoigne d’une certaine politesse au monde, d’une délicatesse des mœurs, d’une sensibilité à la beauté, d’une tendresse dans les relations, d’une élégance de la pensée qui ne devraient pas être l’apanage d’une poignée d’élus, mais plutôt un esprit qui se transmet comme un trésor précieux, une forme d’élévation de l’âme qui est aussi charité.
Quand de telles personnes se croisent, s’opère comme une sorte de miracle. Nos âmes désorientées par cette confusion et agitation de la vie où elles peinent à se poser si ce n’est en se réfugiant au loin pour respirer dans le silence de nos vies intérieures, se mettent à tintinnabuler en cadence au rythme d’une rencontre qui s’est longtemps cherchée et s’émerveille de s’être enfin laissée trouver. La nuit s’éclaire d’un coup de ces veilleurs réunis qui essaient de maintenir la lampe allumée tant bien que mal dans la bourrasque qui les emporte malgré eux, tant les vents contraires sont forts. Cet émerveillement ne naît pas d’une source qui s’appellerait légitimité ou vérité, mais plutôt d’une délicatesse commune qui conduit à porter sur le monde un regard et une sensibilité partagés.
Ce « miracle », à défaut de se produire avec la majorité des êtres que l’on côtoie, nait plus fréquemment avec des livres, des livres qui traduisent en mots ce que nous ne sommes capables que de balbutier ou espérer. Nous portons tous en nous ce souvenir marquant de livres de notre jeunesse où nous rêvions d’être dedans, cette littérature qui nous est propre mais qui nous a marqués, forgés, tant elle nous a fait rêver. En ce qui me concerne, beaucoup de ces livres, qui sont d’ailleurs de grands classiques, ont été écrits à des époques que nous pourrions qualifier de révolues à tout point de vue, que ce soit d’un point de vue littéraire ou d’un point de vue de la pensée.
Il est donc aussi incroyable de découvrir de tels livres aujourd’hui que de tomber sur un chevalier des temps modernes.
Et pourtant…, j’ai découvert « L’Eveil de Mademoiselle Prim ».
Si on m’avait demandé de dater à l’aveugle un tel livre, je n’aurais jamais dit 2013 aux éditions Grasset. Non en raison de la plume que des thèmes abordés qui ont le charme désuet, et pourtant éternel, d’antan. Au sein d’un petit village doté du ravissant nom de Saint-Irénée d’Arnois, situé au pied d’un monastère, vit une communauté hors norme d’êtres délicieux avides de partager ensemble une vie certes ancrée dans le réel mais proche d’un idéal oublié révélant la splendeur des choses simples. En répondant à une annonce « cherche esprit féminin détaché du monde capable d’exercer la fonction de bibliothécaire pour un gentleman et ses livres », une jeune femme cultivée, moderne, bardée de diplômes, arrive dans une famille où cohabite un oncle célibataire et ses quatre neveux orphelins dont il a la charge. Bien que délicate, instruite, Mademoiselle Prim va vite revisiter ses certitudes en matière de féminisme, de mariage, d’éducation, de journalisme, de littérature, de religion, d’art de vivre en tombant sous le charme de cette communauté qui s’adonne à ses passions et les enseigne comme telles à leurs enfants. Entre livres, tasses de thé, discussion, gazette et personnages haut en couleur, les choses de la vie qui en font son sel sont abordées et l’essentiel est dit.
Ce roman, à la façon d’un livre de Jane Austen, est lumineux et détonne dans le paysage littéraire actuel par sa fraicheur qui rime ici avec profondeur. Si pépite est le terme qui pourrait le qualifier, ce serait avant tout pour cet art de vivre et cette vision du monde qui nous manquent tant aujourd’hui, dont certains pourraient se moquer si ce n’était constater avec tristesse que de les avoir balayés avec désinvolture n’a pas entrainé l’épanouissement promis.
Née en Galice en 1970, diplômée d’une école de journalisme et en droit, journaliste au quotidien économique espagnol Cinco días, Natalia Sanmartin Fenollera est une révélation littéraire internationale avec ce premier roman publié dans soixante-dix pays.
oui, ce livre a été une découverte délicieuse comme une cascade que l’on découvre au détour d’une montage où l’on crapahute parfois péniblement…
Très touché par ce billet echo dun livre assurément marquant. Les rencontres littéraires ont parfois la vie pour terrain de jeu… une lanterne un éclaireur qui guide un être égaré, cela peut être reel. Certaines personnes ont cette capacité de combler des manques…