Adieu la liberté de Mathieu Slama
« Tout le long de la crise sanitaire, le gouvernement a été le zélé serviteur d’un peuple qui a oublié l’importance de sa propre Constitution, et qui se réveillera peut-être un jour, mais il sera sans doute trop tard. La France entière fut prise d’une fureur disciplinaire et répressive, comme si la crise sanitaire avait réveillé chez les Français une passion de l’enfermement en même temps qu’une haine profonde de la liberté. Quand nous acceptons de nous confiner et que nous nous révoltons non pas contre le gouvernement mais contre ceux qui ne respectent pas les règles, nous oublions ce qu’est la liberté ».
Dans le système proprement orwellien au sein duquel nous avons vécu dès le 20 mars 2020 dès le début de la crise sanitaire que nous avons traversée, et qui nous laisse penser qu’elle est loin d’être terminée, un livre comme celui de Mathieu Slama fait presque figure d’ovni dans le paysage littéraire, voire médiatique.
Quelques voix se sont élevées en vain ou vite étouffées pour décrire et mettre en garde contre les dérives que les mesures dites sanitaires ont justifiées pour mettre fin à la pandémie, beaucoup sur le plan scientifique, quelques-unes sur le plan psychologique ou philosophique, peu curieusement sur le plan juridique. Et pourtant, au-delà des considérations scientifiques ou médicales sur le virus proprement dit dont il n’est pas question ici, les plus graves atteintes portées à l’ensemble des citoyens durant toute cette crise, sont celles relatives à sa liberté et plus largement à la notion d’Etat de droit.
« La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c’est-à-dire pleinement responsables de leurs actes », disait Bernanos et pourtant « le système l’a défini une fois pour toutes un animal économique, non seulement l’esclave mais l’objet, la matière presque inerte, irresponsable, du déterminisme économique, et sans espoir de s’en affranchir, puisqu’il ne connaît d’autre mobile certain que l’intérêt, le profit. Rivé à lui-même par l’égoïsme, l’individu n’apparaît plus que comme quantité négligeable, soumise à la loi des grands nombres ; on ne saurait prétendre l’employer que par masses, grâce à la connaissance des lois qui le régissent. Ainsi le progrès n’est plus dans l’homme, il est dans la technique, dans le perfectionnement des méthodes capables de permettre une utilisation chaque jour plus efficace du matériel humain. » (La France contre les robots).
Propos visionnaires mais qui prennent toute leur pertinence quand le monde s’écroule ou plus exactement, quand une crise rend visible, pour qui veut voir, ce qui était alors invisible, que la liberté, au sens de libertés publiques garanties par notre Constitution, n’est plus inaliénable et inconditionnelle, intrinsèque à la condition humaine et au statut de citoyen, mais dépendante du pouvoir en place, qui s’autorise à la donner ou la retirer en fonction des évènements. Une liberté sous condition que la grande majorité du peuple français, loin de s’en offusquer, a même appelé de ses vœux si on en croit les sondages, préférant le sécuritaire à la liberté, le médical au droit public, la science et la vie nue, sans sens, sans lien social, à la responsabilité et à la mise en œuvre de son libre arbitre.
De façon sidérante, un Etat dit démocratique s’est arrogé le droit de disposer et régir la vie de ses citoyens sous un régime d’exception permanente, jusque dans les sphères les plus intimes de sa vie privée, faisant basculer en quelques mois, avec l’assentiment de son Parlement, du Conseil d’Etat et du Conseil Constitutionnel, un régime déjà ultra-présidentiel en un régime de l’arbitraire, de l’autoritarisme, un état de vigilance étendu qui est de nature à inquiéter fortement sur la notion même de civilisation, de démocratie et d’anthropologie.
Mathieu Slama nomme cet état d’urgence sanitaire de dictature disciplinaire, un régime intégralement tourné vers des politiques de santé et d’hygiène publique, dont l’unique but est de discipliner les citoyens à travers une politique de contrôle, de sanctions, d’infantilisation, d’incitations, dont la fin (sauver des vies selon le verbatim de l’Etat) justifierait tous les moyens. Ce qui est d’autant plus surprenant et inquiétant sur un plan philosophique et juridique, c’est qu’à de nombreux égards cette dictature sanitaire fut également une dictature citoyenne : d’une part par le consentement inouï à des mesures aussi liberticides que le confinement, le couvre-feu ou le passe sanitaire et vaccinal, puis par la transformation de nombreux citoyens en citoyens-policiers.
Mathieu Slama analyse parfaitement bien ces mécanismes, à travers notamment la mise en place d’une rhétorique parfaitement réglée (guerre, peur, solidarité, responsabilité) conduisant à une adhésion presque instinctive à ce que l’Etat, qui est a priori là pour nous protéger, mettait en place, relayée par un discours des médias quasi unanimes quant au traitement des voix discordantes (complotistes), la mise en place du bouc émissaire (le non vacciné) conduisant tout naturellement à la mise en place de ce qu’on n’aurait jamais cru possible : le passe vaccinal et la notion du bon et du mauvais citoyen, et une jeunesse largement sacrifiée.
Mathieu Slama impute également ces dérives à la notion même de politique, qui sous l’ère d’Emmanuel Macron, s’apparente davantage à celui de management qu’à celui de l’exercice de pouvoirs régaliens et de la recherche de bien commun : comme au sein d’une entreprise, il faut être efficace, utile, faire preuve de pédagogie, ne pas hésiter à faire appel à des structures de conseil, le chiffre et l’algorithme étant roi et l’objectif est la réalité même des moyens mis en place. Peu importe l’humain, le citoyen, l’Etat se transforme en machine à bons points pour qui respecte les normes édictées par le pouvoir. Tout le paradoxe se niche dans cette ambiguïté de la conquête effrénée de toujours plus de libertés individuelles dans une vision pourtant collectiviste de la gestion de l’humain, où la bureaucratie se veut toujours plus intrusive et normative.
Moralement, éthiquement et juridiquement inacceptables, ces mesures n’en ont pas moins été mises en place et sans grande opposition de masse voire même totalement acceptées et sollicitées, ce qui interroge sur le sens même des mots libertés et démocratie. Seul le temps nous indiquera l’ampleur des dégâts et il faut espérer que ce n’est pas l’amorce d’une nouvelle ère politique, les reculs démocratiques étant rarement réversibles.
Cet essai à ce titre doit être remarqué et lu, même si les solutions que Mathieu Slama propose en conclusion pour y remédier mériteraient quelques ajustements et précisions. Il est dommage à mon sens que les exemples pris d’une liberté assumée soient celles de la liberté de profanation ou de blasphème et de la renvoyer uniquement à celle issue de 1789 ou de la République.
La liberté n’a de sens que lorsque, émanant de la notion même de la dignité de l’homme, elle exige donc de lui qu’elle agisse selon un choix conscient et libre, mû par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d’une contrainte extérieure. Le juste exercice de la liberté exige donc des conditions d’ordre économique, social, juridique, politique, culturel, moral et spirituel qui engage ainsi sa responsabilité.
La liberté est ainsi un droit à protéger mais c’est aussi un devoir à exercer.
Sujet délicat s’il en est qui a divisé et divise encore.
Il en faut plus pour effrayer Elvire. Billet engagé et comme toujours à l’écriture limpide