Coups de coeur… comme diraient les libraires

Quand je lis les critiques littéraires de certains, je suis toute tremblante d’admiration par la vitalité, la talent et l’érudition qu’ils y mettent. Un grand critique à mon sens est celui qui non seulement parle de l’œuvre, mais également de l’écrivain à travers son œuvre, autrement dit, arrive nous faire comprendre comment le style et la pensée réunis concourent à faire œuvre littéraire, de telle sorte que le livre une fois ouvert voire même déjà lu, s’éclaire et s’illumine d’un jour nouveau. Nous avons tous en tête des grands classiques présentés comme des chefs-d’œuvre qui nous ont barbé comme les pierres, et c’est parfois des années après, la maturité et un prisme nouveau aidant, que nous avons pu parfois en savourer tout le génie.

Je me sens toute petite quand ensuite je viens ici vous parler des livres que j’ai aimés car mes billets, de littéraires, ils en ont peut-être la couleur des mots, mais de critiques il n’en est assurément rien, faute de talent en ce domaine et de savoir surtout. Je ne suis qu’un pèlerin autodidacte qui puise dans un labyrinthe infini les lumières plus ou moins vives que j’arrive à saisir et qui ressent le besoin de les faire partager, à travers le filtre de ma personnalité. Car ce qui m’importe ici, sur ce blog, ce n’est pas tant le livre, art sacralisé par certains qui taillent à la serpette tous ceux qui n’entrent pas dans le pinacle à leurs yeux, à raison parfois ceci dit, mais bien comment le livre, parmi tant d’autres sources, peut permettre de faire coïncider nos vies avec nos aspirations profondes.  Comment, ce qui vient d’ailleurs, d’en-Haut, des autres, peut transcender notre propre chemin pour le rendre plus noble, plus beau, plus vivable, plus vivant, en un mot : engagé. Engagé, au sens bernanosien du terme, en y mettant son corps et son âme, en osant et se risquant pour l’éternité.

Les livres que je chronique sont de qualité inégale sur un plan strictement littéraire, y compris sur le fond parfois, et il est même probable que le livre en lui-même diffère, à la lecture que vous en ferez, de la façon dont j’ai pu en parler. Car ce qui m’importe c’est ce que le livre, ou l’artiste, suscite en moi sur notre condition humaine. J’emploie ce terme à escient, suite à la lecture d’un magistral article que Romain Deblüe a consacré à André Malraux dans la revue Zone Critique et qui rappelle que la condition humaine est avant tout une condition métaphysique où l’homme ne cesse de trouver ou inventer en lui-même (au sens de rencontrer) la vie et la voie vers l’éternité. Certains auteurs nous laissent un arrière-goût de défaite mais d’autres nous font avancer vers la victoire.

C’est cette humanité qui ne cesse de vouloir être sauvée qui me touche profondément et il y bon d’y puiser pour tracer nos propres sillons. Tous les livres ne nous font pas vivre une expérience intérieure profonde mais beaucoup sont source d’identification, de rêves, de voyages, d’aventures, de culture et d’expérience qui sont autant d’occasion d’enrichir sa vie intérieure pour s’autoriser à être, à son tour.

Dans ce billet, je vais vous présenter rapidement mes dernières lectures, sous forme de catalogue lapidaire, mais elles ont toutes en commun d’être non seulement de formidables récits, mais également d’intenses aventures humaines.  Dernier point commun, et non le moindre, ces livres sont de vrais plaisirs de lecture et que des auteurs que je lis pour la première fois : je n’en revends aucun, je les garde tous.

Les livres de Yves Ravey, ce sont avant tout une atmosphère : des rapports sociaux qui se désagrègent, une petite ville de province, une ambiance de lourdeur et d’ennui qui tient pourtant en haleine, une tension dans la simplicité, des personnages qui suscitent une forme d’empathie. Vous en fermez un et vous avez tout de suite envie d’en lire un autre pour retrouver cette ambiance particulière qui nous fait dire : ah oui, c’est du Yves Ravey.

Dans le même état d’esprit, le premier roman de Laurent Petitmangin « Ce qu’il faut de la nuit » est aussi une petite merveille. Un père, veuf, ouvrier dans le nord de la France, élève ses deux fils qui grandissent et font des choix qui susciteront de la fierté ou de la colère. C’est l’histoire d’un père tout simplement qui aime ses fils et ne sait pas toujours comment faire dans un monde où les codes le dépassent, surtout quand le drame arrive. Derrière l’écorce et la simplicité, il y a un cœur qui saigne et nous fait part de ses désarrois, de ses questionnements, et c’est un petit bijou d’humanité qui nous est offert.

Les orages de Sylvain Prudhomme, ce sont des nouvelles, des histoires courtes qui décrivent ces moments brefs, ces instants où une vie vacille, pour le meilleur ou pour le pire. C’est un art de savoir capter et décrire ces bouleversements à peine perceptibles pour les tiers, qui vont donner une coloration nouvelle à la vie d’un être. L’écriture est belle, les nouvelles sont belles, le livre est beau. Précipitez-vous, c’est presque un livre de méditation.

Chimères de Nuala O’Faolain est le genre de livre qui m’a fait redécouvrir les sensations que j’éprouvais quand plus jeune, je plongeais sans réserve dans des romans inconnus, affalée sur mon lit, sans contrainte et limite de temps, et dont j’avais du mal à m’extirper pour retrouver ma vie quotidienne qui me semblait bien fade à côté. Ceci dit, je pense qu’il faut avoir un peu vécu pour apprécier vraiment ce roman, qui est avant tout un livre de femme pour les femmes. Nous voyageons entre l’Irlande et l’Angleterre à travers une femme célibataire d’environ cinquante ans, journaliste, dynamique, et qui à l’occasion d’un scandale qui s’est déroulé en 1850 en Irlande lors de la grande famine, part sur ces lieux pour en savoir plus. A travers cette histoire, c’est finalement son propre passé qu’elle revisite, le poids de ses racines irlandaises, l’empreinte de sa famille, le rapport aux hommes, à l’amour, à la passion, au mariage, à son corps, au regard porté sur soi, ce moment dans sa vie où tu décides vraiment d’en être acteur et plus simplement d’être ballotée au gré de ses blessures. J’ai adoré.

Les yeux dans les arbres de Barbara Kingsolver est dans la même veine. Je l’ai lu aussi affalée sur mon lit (comme quoi il y a des choses de l’enfance qui durent) mais ici dans nous sommes dans le Congo belge des années 60, à l’heure où le pays est en passe de devenir indépendant. Une famille américaine, baptiste, part en mission dans un village congolais et nous assistons à un véritable choc des cultures. S’étalant sur plusieurs dizaines d’années, roman choral par excellence donnant la voix à la mère et aux quatre filles, ce livre est d’une très grande finesse psychologique et historique pour décrire cette période où inévitablement la grande Histoire rencontre la petite histoire.

Voilà donc quelques idées de lectures, et si en avril on ne doit pas se découvrir d’un fil, il n’est pas interdit de garder l’esprit subtil.

6 réponses
  1. Aurélie
    Aurélie dit :

    merci pour le témoignage de ton authenticité et de ta passion pour les livres que tu transmets toujours merveilleusement !

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  2. Hugues Temime
    Hugues Temime dit :

    Comment ne pas partager ce qui est dit… culture, curiosité et sens du verbe font de vous Elvire le meilleur des lecteurs et passeurs

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  3. Ponsot
    Ponsot dit :

    Combien de fois, Elvire, vous ai-je lu mettant en cause une forme d’inculture. Je ne suis pas sûr que le mot que j’utilise là soit juste. Mais je peux vous assurer, et je sais n’être pas le seul qu »en lisant vos comptes-rendus, on n’a plus qu’une seule envie : se procurer le livre. Hélas ! Ma bourse est bien trop plate pour cela. Meilleur souvenir à vos petits chéris, qui sont peut-être aussi vos lecteurs.

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  4. eMmA MessanA
    eMmA MessanA dit :

    En tous cas, avoir retrouvé mon livre dans ce blog m’avait donné un sacré coup au coeur !
    Merci pour ces conseils de lecture. J’ai notamment énormément apprécié le livre de Laurent Petitmangin (un ex collègue).

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