Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa

« Ces précautions verbales correspondaient très bien à ses sentiments personnels à l’égard de la passion raisonnée de Tancrède mais l’irritaient parce qu’elles le fatiguaient ; elles n’étaient d’ailleurs qu’un échantillon des cent détours de langage et de maintien qu’il était obligé d’inventer ; il repensait avec regret à la situation d’un an auparavant quand il disait tout ce qui lui passait par la tête, certain que n’importe quelle sottise serait acceptée comme parole d’évangile, et n’importe quel manque d’à-propos comme insouciance princière. Lorsqu’il prenait la voie du regret du passé, dans ses pires moments de mauvaise humeur il descendait très bas sur cette pente dangereuse. (…) Ce qu’avait prédit le Jésuite se confirmait (la vente des biens de l’Eglise) mais n’était-ce pas une bonne tactique que de s’insérer dans le nouveau mouvement et de le diriger, du moins en partie, en faveur de quelques individus de sa classe ? »

Paru en 1958 à titre posthume, Giuseppe Tomasi di Lampudesa s’est inspiré dans Le Guépard de son arrière-grand-père pour créer le personnage célèbre de Don Fabrizio Corbera, Prince de Salina.

Ce livre, véritable chef d’œuvre et grand classique de la littérature italienne, porté à l’écran en 1963 dans le célèbre film de Visconti avec Alain Delon et Claudia Cardinale, connut un grand succès à sa sortie et reçut le prix Strega, un des plus prestigieux prix littéraires en Italie.

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Suerte de Claude Lucas

L’exclusion volontaire

« La prison la première fois est une épreuve étrange, en vérité : c’est l’épreuve même de l’étrangeté. L’emprisonnement est une épreuve aride et solitaire qui fait brutalement découvrir qu’on n’est rien, c’est-à-dire, étant un être humain de qui est niée l’humanité, moins que rien, fondamentalement. La monstruosité de la prison ne tient pas, sauf cas extrêmes dans les pays de dictature ou du tiers-monde à ses conditions matérielles, fussent-elles scandaleuses comme elles l’étaient en France avant les révoltes de 1974 : elle tient au fait qu’on met le prisonnier face à son propre néant. Le supporter sans broncher requiert une certaine habitude. Le subir à quinze ans laisse des traces. (…) Ce monde est sans pitié, par bêtise, ignorance, préjugé, cuistrerie et manque d’indignation, voilà mon verdict. Mais plutôt que de m’en indigner et de dénoncer des responsabilités particulières, j’ai préféré subsumer les causes du scandale dans la catégorie métaphysique de l’absurde. Avoir père et mère n’est déjà pas en soi un antidote à l’absurdité de l’existence ; n’ayant ni l’un ni l’autre, trouver du sens au monde relevait de la gageure. »

Fiction autobiographique publiée en 1995, ce livre est exceptionnel à plus d’un titre. Exceptionnel par sa qualité littéraire, exceptionnel par sa force du témoignage, exceptionnel par son analyse du système carcéral, exceptionnel en raison de son auteur dont les propos non complaisants sont tout à la fois lucides, cyniques et d’une intelligence d’une rare acuité.

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Lilas noir de Reinhard Kaiser-Mühlecker

« Ferdinand s’agenouilla devant la sépulture. tout à coup, il fondit en larmes, et en même temps des rires le soulevèrent, il fut ébranlé par une force qui puisait à de telles profondeurs dans ses entrailles qu’elle en perdait toute dimension physique. Ce soudain afflux d’émotions le laissait désemparé. Et cependant il le comprenait, comme il l’avait déjà compris un peu plus tôt, quand il se tenait derrière la maison. Le bonheur d’avoir retrouvé son père, et la douleur de l’avoir à jamais perdu, cet enchaînement peu naturel, c’était cela qui le remuait. »

Il est de bon aloi dans certains milieux de ne trouver que peu d’intérêt à la littérature contemporaine, et en particulier au roman dont il est vrai que le fond ou la forme souffrent bien souvent d’un manque de tenue, de densité, d’universalité, de qualités somme toute qui ont permis l’émergence de ce qu’il est convenu d’appeler un classique.

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La vie, la guerre et puis rien d’Oriana Fallaci

« Depuis que je suis au monde on me rebat les oreilles avec le drapeau, la patrie ; au nom de ces sublimes sottises, on m’impose le culte de tuer, d’être tuée, et personne ne m’a encore dit pourquoi tuer pour voler est un péché, tandis que tuer avec un uniforme sur le dos est glorieux. (…)

Ces monstres qui ne savent pas qu’ils sont des monstres, et qui portent peut-être au cou une petite croix, des médailles de la Vierge, et qui ont dans leur poche la photographie de leurs vieux parents, et si on leur parle entre quatre yeux, ils vous tirent des larmes, ils vous prônent la pureté de leur idéal, et puis un matin de mars, un matin ensoleillé, ils sautent dans leurs hélicoptères avec leurs petites croix, leurs médailles, leur idéal, leur présomption de civilisation, et ils tuent presque six cents personnes, sans épargner les femmes enceintes, les vieillards et les enfants, « parce que c’était les ordres. »

Un homme, Inchallah, La vie, la guerre et puis rien …  Chacun de ces trois livres est une claque.

Mais que dire de ces romans sans parler de la femme, Oriana Fallaci (1929 – 2006), qui est toute entière dans chacune de ces pages.

Très controversée à la fin de sa vie en raison de propos contre l’islam tenus après les attentats du 11 septembre qui n’eurent pas l’heur de plaire à certains pans médiatiques et intellectuels, elle n’en demeure pas moins une femme largement reconnue et prisée tout au long de sa vie pour ses talents exceptionnels de reporter de guerre et d’écrivain, et pour la qualité de ses interviews auprès de célébrités et d’hommes d’Etat du monde entier.

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Tout le reste est silence de Jean Montaurier

« Là où ma foi chancelle, ce n’est pas sur la réalité de votre existence, mais (mettez vous à ma place) sur votre volonté de nous laisser souffrir. Et c’est bien là que Satan m’attendait… Il est là, vivant et attendant, dans le détail des pensées de ma vie. Lui non plus ne me fait pas de signes. Mais je le sens. Vous, je ne Vous sens pas. Ou bien est-ce vous sentir assez que résister au mal et de faire semblant, de tout son cœur, de croire. Comme je fais …

Oui, mon vieil homme est mort, la première âme que Dieu confiée à mes soins. Or un jour je compris tout d’un coup que ce vieil n’était pas un saint. Il lui manquait la Joie … (…) Ils ne furent pas des saints parce qu’ils avaient souffert mais que pendant leurs nuits épouvantées, ils attendaient l’aurore et qu’ils étaient un peu le Christ ».

Quelle merveilleuse découverte que ce livre tout à la fois, roman, témoignage et cri du cœur d’un prêtre.

Edité en 1969, vous ne pourrez trouver cet ouvrage malheureusement que d’occasion, mais si vous arrivez à vous le procurer, c’est vraiment une pépite. Chaque mot est comme une déflagration de la foi qui loin d’être une chose rationnelle, évidente, facile à définir et à vivre, est pourtant une chose toute simple, limpide, qui ne demande qu’à unifier toute une vie pour ne laisser que l’essentiel : la Joie. La Joie d’être aimé infiniment, la Joie de se savoir sauvé, la Joie de comprendre que rien n’est vain, et que même dans la nuit, au bout, il y a l’aurore.

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Le droit hiérosolymitain dans l’Orient latin du XIè au XVIè siècle de Louis-Marie Audrerie

Les Assises de Jérusalem

« La venue des Francs en Orient fait suite à cinq siècles de pression hégémonique de l’islam naissant mais surtout à l’appel des papes à la délivrance des Lieux Saints. L’unique désir, alors exprimé, était de porter secours aux chrétiens d’Orient, population encore très largement majoritaire, et de délivrer le Saint Sépulcre menacé. (…) Les territoires délivrés étaient la récompense de tous les pèlerins armés, un véritable bien commun, et celui des chrétiens d’Orient et des Syriens. Ainsi, en parallèle de l’organisation féodale, assurant la première barrière militaire, s’est adjointe une organisation des cités, indépendantes de la féodalité, où se sont installés les hommes libres. pour établir cet état de fait, il semble en tout état de cause, que le droit opposable à une si grande diversité de personnes fut bien mis par écrit dans des chartes et approuvés par tous. Ce droit des premiers temps était alors (…) les Assises. « 

Il est heureux que de jeunes étudiants en histoire du droit, dotés de cet esprit de curiosité et de rigueur qui leur permet d’endurer pendant des années une vie quasi monacale d’archiviste et d’analyste, prennent encore un immense plaisir à emprunter les chemins de traverse qui les conduisent vers des voies encore inexplorées ou si peu, pour en faire l’objet de leur thèse. Et il est encore plus heureux que des éditeurs acceptent de les publier afin de porter à la connaissance du grand public tant de richesses à la fois juridiques et historiques.

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Vie d’Hildegarde d’Aurore-Marie Guillaume

« Prêchant et regénérant les âmes fatiguées sur son passage, elle s’enfonce loin vers le nord. elle y découvre un autre monde où la nuit dure plus longtemps que le jour, où le givre couvre encore les branches en plein midi. Peu à peu, son corps s’habitue au froid, son regard s’ouvre à la beauté des paysages et s’émerveille de la manière dont les hommes y vivent. Dans cet univers cristallin, ses visions cessent, car elle ne fait désormais plus qu’un avec la volonté divine. (…) Elle possède un savoir encyclopédique des connaissances de son temps aussi bien en sciences naturelles qu’en médecine. Beaucoup proviennent de ses propres observations qui sont de nos jours encore source d’inspiration, fondées sur une recherche d’équilibre sans séparation entre âme et corps. »

Contemporaine de Bernard de Clairvaux qui fut son protecteur, d’Aliénor d’Aquitaine avec qui elle entretint une abondante correspondance, d’Abélard avec qui elle s’opposa sur une vision purement rationnelle de la foi, Hildegarde de Bingen, religieuse bénédictine, ne cesse de nous interroger par sa nature d’une richesse incomparable.

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Histoire d’une enfant de Vienne de Ferdinand von Saar

« Elsa était en vérité d’une beauté surprenante et l’on se rendait compte, une fois de plus, du rôle que joue l’art de bien s’habiller à l’automne de la vie d’une femme. Une robe fourreau bordée de dentelle, ornée de roses pâles près de l’épaule gauche, dégageait harmonieusement sa taille élancée et svelte; ses cheveux lisses et coiffés avec la simplicité qui était au goût du jour, noués sur la nuque en chignon à l’anglaise, la rajeunissaient d’autant plus que l’expression de son visage, en cet instant, n’avait plus rien de maladif. »

Les éditions Bartillat poursuivent, pour notre plus grand plaisir, l’ambition d’offrir au grand public l’accès aux œuvres de Ferdinand von Saar (1833-1906) et, dans la continuité du chef-d’œuvre, Le Lieutenant Burda, publié en 2022 et déjà présenté dans ces pages, c’est à travers le portrait d’une femme que nous entrons cette fois-ci dans la Vienne de la fin du XIXème siècle.

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L’enragé de Sorj Chalandon

« Mon père buvait, ma mère s’était enfuie pour mieux que nous. Je vivais chez des vieux dans une ferme au milieux des champs. A l’école, j’apprenais des chiffres qui ne me servaient à rien. Le nom de pays où je n’irais jamais. L’instituteur nous parlait de morale. C’était quoi la morale? Laisser le bouillon à un enfant et garder la viande pour soi ? Que faisait-elle pour moi, la morale ? Et l’instruction civique? Et le « tu aimeras ton prochain comme toi-même », psalmodié par notre curé, j’en faisais quoi ? Il me déteste mon prochain. »

Ouvrir un livre de Sorj Chalandon n’est jamais un geste anodin ou qui laisse indifférent. Il est de ces écrivains qui ne sont pas seulement des conteurs ou de simples romanciers, mais qui soulèvent des lames de fond émotionnelles, vous retournent les tripes, vous tiraillent l’esprit, vous transpercent, vous transportent. Sorj Chalandon ne se caractérise pas par une densité des pages, ses livres n’étant pas spécialement des pavés, mais par une densité des mots qui d’emblée vous immergent dans un lieu, une époque, une famille. Lire ses romans, c’est accepter d’entrer dans la réalité et la dureté d’une vie, se laisser imprégner par une musicalité qui lui est propre, sans concession.

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Psychopathologie du totalitarisme d’Ariane Bilheran

Sommes-nous dans une dérive totalitaire ?

« Cette perspective psychologique permet d’éclairer d’une autre façon les dérives totalitaires qui frappent par épisodes l’histoire de l’humanité. Le phénomène totalitaire est quasi organique dans la mise en œuvre des pulsions de destruction des individus et de la société civile. Il convoque la participation des masses et réveille le petit fasciste qui sommeille en chacun de nous, en attisant des instincts de survie qui paralysent toute faculté de raisonnement et entrainent des collages pathologiques au sein du groupe. »

De nombreux livres ont été consacrés au totalitarisme, que ce soit au travers d’essais, de romans, de critiques historiques ou sociologiques, de témoignages, de biographies. Mais peu ont été abordés sous l’angle des processus psychiques conduisant à l’idéologie totalitaire et au fanatisme de masse qui soutient cette dérive.

C’est à cette tâche qu’Ariane Bilheran s’attelle, à l’aune des phénomènes de mondialisation que nous vivons actuellement dont certains processus ne doivent pas manquer de nous inquiéter, tant certaines formes ne sont pas étrangères aux mécanismes des totalitarismes étudiés. Si, comme le définit Hannah Arendt, le totalitarisme est l’ambition de la domination totale, le postulat de base suppose ainsi une idéologie et des masses pour y adhérer, car sans adhésion consciente ou inconsciente, l’idéologie perd le terreau sur lequel s’enraciner et se propager.

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