Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls de Eivind Hofstad Evjemo

« Le deuil est comme un bateau lourd à manœuvrer. Il faut ramer et écoper en même temps. Le plus important, c’est de cultiver la solidarité. (…) Le bonheur qu’elle éprouve a un rapport avec le temps, elle le sait. Il vient d’une concordance entre autrefois et aujourd’hui, d’un sentiment d’éternité, d’immuabilité : ce qui vit englobe ce qui a disparu. C’est le sentiment qui, pour elle, se rapproche le plus d’une foi religieuse »

Dans la série des livres de la rentrée, je viens de terminer cet ouvrage du norvégien Evjemo, traduit pour la première fois en France.

Le titre à lui seul est rempli de promesses, et a justifié en grande partie son acquisition.

A travers la figure de Stella, Evjemo pose la question du deuil collectif, du deuil personnel et du deuil par procuration.

Stella voit derrière sa fenêtre ses voisins rentrer sans leur fille adolescente, tuée dans les attentats du terroriste Anders Breivig le 22 juillet 2011 sur l’île d’Utøya. Bien qu’ayant elle-même perdu trois ans plus tôt son fils adoptif de 18 ans dans un attentat survenu aux Philippines, elle est totalement dépourvue pour montrer son soutien à ses voisins qu’elle connaît à peine et revient, à travers des bonds dans le temps, sur sa vie, son mariage, sa maternité compliquée.

L’écriture, crue et sobre, que l’on retrouve généralement dans les livres scandinaves, contribue à créer une atmosphère intimiste et pudique mettant en exergue le décalage entre la profondeur des êtres en souffrance et le reste du monde.

Un roman auquel les évènements récents confèrent une triste actualité et qui justifient probablement qu’il soit plébiscité par de nombreux libraires.

Pour ma part, c’est une jolie découverte que je pourrais recommander à ceux qui veulent varier facilement les auteurs et les genres, mais l’écriture manque trop, à mon goût, d’épaisseur et de transcendance pour que je referme  ce livre bouleversée ou enthousiaste. J’ai même hésité à le partager pour être tout à fait honnête, car ce blog n’est pas à proprement parler un livre de critiques littéraires et j’apprécie puiser dans les livres ce qui nourrit la réflexion, le regard, l’âme …

Je lui sais gré toutefois de poser cette délicate question de la juste attitude à adopter vis-à-vis de ceux qui vivent de grandes souffrances, des angoisses ou des drames. Une amie me demandait l’autre jour ce qu’elle pouvait faire vis-à-vis d’une maman dont le bébé allait se faire opérer à cœur ouvert. La réponse est loin d’être évidente, et ce livre relaie cette délicate interrogation puisqu’il faudra à Stella l’occasion d’une quête collective dans le quartier pour trouver le prétexte lui permettant de frapper enfin à la porte de ses voisins trois ans plus tard.

Rester naturelle et laisser cette maman lui dire ce dont elle a besoin est cependant ce qui a jailli spontanément dans mon esprit. La souffrance isole à double titre en ce qu’elle pousse à un repli sur soi amplifié par le retrait de l’entourage souvent désemparé. Je me souviens des paroles terribles d’un ami dont le bébé à naître était décédé soudainement à terme et qui m’avait confié souffrir encore plus de ce que personne au bureau n’avait osé lui en toucher un mot. Et d’une autre qui ne supportait plus d’être réduite à « celle qui perdu un enfant » sans avoir en retour de paroles saines et bienveillantes. Et d’un autre qui n’osait pas dire que son fils était autiste et s’était enfermé dans un mutisme déroutant jusqu’à ce que la parole le libère. Un dîner, un verre, du shopping ou simplement un café dans la cuisine sont autant de gestes simples qui sont bien plus salvateurs que les paroles toutes faites ou regards lointains de commisération.

« Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls » pourrait sonner comme une parole évangélique si ce livre n’était à ranger dans la partie profane de la bibliothèque.

Grand espoir des lettres norvégiennes, Eivind Hofstad Evjemo est né en 1983 en Norvège et a étudié la littérature à Göteborg, en Suède. Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls est son troisième roman.

1 réponse
  1. Gustave
    Gustave dit :

    Rester vrai en tout et en toutes circonstances. Comme vous Elvire, face à une douleur, une tristesse, une souffrance un deuil. Simple et authentique comme vous très chère.

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