Confinement, le retour
Personnellement, je ne croyais pas cela possible mais à se retourner sur les semaines passées, force est de constater que chaque semaine a eu son lot d’interdictions, préconisations, sanctions, avec à chaque fois un cran supplémentaire. Le couvre-feu à peine lancé, voici que nous sommes à nouveau confinés. Du confinement » light » disent certains. Light à condition de ne pas être un petit commerçant, ni un indépendant, ni un restaurateur, de ne pas être pratiquant, de ne pas aimer la vie culturelle, de ne pas avoir d’amis, de ne pas aimer le sport en salle, bref …. Si tu es un moine chartreux, effectivement le confinement ça ne change pas grand-chose.
Si tu aimes sortir, recevoir, partager, boire des cafés en terrasse, flâner en librairie, aller au théâtre, s’embrasser, se prendre dans les bras, remplir ton agenda de sorties impromptues, de choses à voir, de personnes à découvrir, tout ce qui fait en gros le sel de la vie, le confinement version « rebelote » il est d’une tristitude infinie.
Gravée aux frontons de nos maisons, la nouvelle devise tient en quatre lettres : GMDS – Gel- Masque – Distanciation Sociale.
Et quitte à nous rendre encore plus fous, désormais tu « click & collect », tu regardes ton curé sur « youtube », tu dénonces « tes points contacts », tu dois choisir si tu travailles « en présentiel » ou « en distanciel », tu peux acheter de l’alcool mais pas de livres, remplir ton frigo de victuailles à t’en faire péter la panse mais ni te faire épiler ou couper les cheveux, tu ne peux pas aller à plus d’1 km de chez toi à pied pour prendre l’air mais t’entasser dans le métro si.
C’est joyeux, c’est sinistre, et en plus, comble de l’absurdie, on nous culpabilise à fond les marrons : les gens meurent ? c’est de ta faute, tu as rendu visite à Mémé. La courbe monte ? C’est de ta faute, tu n’as pas mis ton masque aux toilettes. Il y a un cluster ? C’est de ta faute, tu as invité plus de six personnes à ton mariage. Les gens se contaminent entre eux ? C’est de ta faute, tu embrasses tes enfants.
Il fait froid ? c’est de ta faute ! Ah non ça c’est l’hiver.
Au secours !!
Chacun va chercher en lui des trésors de vie intérieure pour rendre son quotidien riche et malgré tout joyeux, car oui il y a mille et une raisons de se réjouir et de rendre grâce. Moi par exemple, je rends grâce que les écoles soient encore ouvertes. Je veux bien accepter un tour de vis supplémentaire (un confinement + un couvre-feu + une interdiction de sortie) mais s’il vous plait, je vous en supplie, pas l’école à la maison.
Je rends grâce aussi, même si je télétravaille, d’avoir aussi du temps pour lire, et des choses très différentes selon l’état d’esprit du moment.
Si vous êtes d’humeur romanesque, je vous recommande le dernier livre de Laurent Mauvignier, Histoires de la nuit. Un roman abouti, maitrisé, au cœur d’une famille dont le passé ressurgit. Un magnifique suspens littéraire où l’écriture crée à mon sens toute la qualité du roman et de l’histoire. Des phrases longues où le lecteur, haletant voire pantelant, vit au rythme des pulsations des personnages. Une lecture immersive jouissive.
Si vous êtes d’humeur dépassement de soi, Shibumi de Trevanian est fait pour vous. Formidable roman d’espionnage mêlant une critique acerbe des Etats-Unis, ce roman est intelligent, vif, percutant. Notre héros a été élevé dans le Japon de l’après-guerre et initié à l’art subtil du Go. Attaché à atteindre le raffinement le plus subtil sous les apparences les plus banales (le shibumi), doté d’une intelligence prodigieuse, passionné de spéléologie, il devient malgré lui l’assassin le plus doué de son époque et l’homme le plus recherché du monde, tout en vivant retiré au Pays Basque. Un grand moment de littérature.
Si vous êtes d’humeur spirituelle, il faut lire absolument Silence de Shüsaku Endô. Nous sommes au Japon en 1614, et les chrétiens sont en pleine persécution, martyrisés, les missionnaires expulsés ou tués. Trois jeunes jésuites décident malgré tout de partir là-bas pour retrouver leur maître qui aurait apostasié et dont ils n’ont plus aucune nouvelle. Outre l’écriture et l’histoire que je trouve magnifique, ce qui est profondément bouleversant dans ce livre est cette question lancinante sur le silence de Dieu qu’éprouvent nos jésuites. Père, pourquoi m’as-tu abandonné. Où l’on s’aperçoit que silence n’est pas absence, mais plus précisément présence silencieuse de Dieu. « Même à présent je suis le dernier prêtre en ce pays. Mais notre Seigneur ne se taisait pas. Eût-il gardé le silence que ma vie jusqu’à ce jour aurait parlé de lui. » Autant je n’avais pas aimé le film éponyme de Martin Scorsese qui lui a retiré à mon sens sa dimension spirituelle, en écho avec la passion du Christ tel que le décrit Endô, autant le livre dont il est tiré, et que j’ai lu tout récemment, est sublime.
Si vous êtes d’humeur tout à la fois romantique-spirituelle et historique, plongez-vous dans L’anneau du pêcheur de Jean Raspail, un roman étonnant que j’ai ouvert sans trop savoir de quoi ça causait et que j’ai lu finalement d’une traite. Deux histoires en parallèle : nous sommes au XIVème siècle, et deux papautés coexistent (Rome et Avignon) depuis plusieurs années jusqu’au Concile de Constance tenu en 1417 qui y a mis fin. Nous sommes en 1994, et un vieil homme, cherche à rejoindre Rome pour mourir sur la tombe de Pierre, détenteur de l’anneau du pêcheur, anneau des papes d’Avignon depuis Benoît XIII déposé par le Concile et de ses successeurs, invisibles parmi les visibles. Une intrigue autour de la papauté qui renoue avec la tradition, les querelles intestines et les grandes questions de foi.
Si vous êtes d’humeur politique, je vous invite à lire ce bref essai d’Alexandre Soljenitsyne intitulé L’erreur de l’Occident, qui nous rappelle que le communisme est un mal universel, qui n’est en rien une spécificité russe, et qui nous interroge sur la complaisance que l’Occident a eu à son égard et les erreurs d’analyse qu’elle a pu opérer. Si je le signale, c’est qu’en le lisant dans l’avion à l’occasion d’un déplacement professionnel, j’ai été frappé par le fait que ce texte est d’une actualité brûlante en remplaçant simplement le terme « communisme » par celui d’ « islamisme », non pas que ces termes se recoupent de par leur nature, mais en raison du fait que l’erreur de l’occident vis-à-vis du communisme pourrait être de même nature vis-à-vis de l’islamisme.
Si vous êtes d’humeur classique, relisez L’Autre de Julien Green. Une histoire d’amour à Copenhague qui démarre à la veille de la seconde guerre mondiale. Ce que j’aime chez Julien Green, c’est avant tout son écriture somptueuse, son art de décrire les choses les plus simples et les plus essentielles, les grandes questions existentielles qui le taraudent dans chaque roman, l’absence de demi-mesure, le caractère exalté de ses personnages. Je peux comprendre malgré tout que ces romans ne puissent pas plaire, en raison peut-être du côté très torturé de Julien Green sur les questions de foi, de sexualité, qui reviennent régulièrement dans ses livres comme une tension qui éclate en fin de roman. Malgré tout, ce sont de merveilleux livres sur la complexité de l’être.
Si vous êtes d’humeur militante, Personne ne sort les fusils de Sandra Lucbert sur le procès France Télécom vous passionnera. Il n’est pas sans faire écho au roman Cora dans la spirale dont j’avais parlé dans un billet précédent. Ici, les sept dirigeants de France Télécom sont sur le banc des accusés mais au final … rien. Rien car le système qui juge le système ne peut pas comprendre les plaignants autrement que comme des éléments discordants du système. La plume est acérée, directe, sans tabou. Je ne peux pas dire que j’ai aimé cette écriture mais ce constat implacable sur le capitalisme poussé à l’extrême est saisissant de réalisme et de cynisme.
Et si vous êtes toujours d’humeur morose, je vous recommande le coup de fil à un ami qui saura vous réconforter, vous faire du bien, vous requinquer.
Comme dirait Simone Weil, « Dieu t’a béni de naître à une époque où on a tout perdu », autrement dit, nous avons notre place à prendre et à tenir. Alors ne désespérons pas du monde qui nous entoure.
Chouette
La présence silencieuse d’Elvire en ces temps troublés est comme toujours essentielle. Ne jamais perdre espoir. Je reprendrai une citation de Bernanos que je tache de me répéter: les optimistes sont des imbéciles heureux et les pessimistes des imbéciles malheureux…
Quelle liste de lecture !!! C’est Noël !
Un peu défaitiste, non ?
Ne faut-il pas aller jusqu’au bout, pour traverser ?