Lectures pour temps de crise
« Nous devons prendre nos responsabilités » a dit monsieur le Président ce soir et ce n’est pas de la poudre de perlimpinpin. Non, non, non.
Chanceux sommes-nous, notre territoire de 10 km à la ronde peut s’arpenter sans attestation, et nous gardons nos enfants à la maison rien que pour nous, sans pouvoir les partager. Le « non-essentiel » nous est toujours interdit, ce qui est une occasion rare de poursuivre l’expérience de la sobriété heureuse et de la notion de « lèche-vitrine ». Si les Français ont le sentiment de trinquer, c’est sans alcool cela dit. Il a dû avoir une mauvaise expérience monsieur le Président avec une bière partagée à l’occasion d’un repas tiré du sac pour opérer une telle fixette sur la seule fantaisie qu’il était encore possible d’envisager en extérieur entre amis, heu citoyens pardon. Cela m’échappe, mais comme il était vraiment sérieux en insistant sur ce point, je m’incline béatement, acceptant de prendre mes responsabilités.
Je vais donc consacrer ce billet à tous les audacieux, les courageux, les téméraires qui ont vu leur livre sortir en plein Covid et qui me l’ont adressé dédicacé.
Cela ne nous empêche pas de les lire, bien évidemment, en revanche, adieu les promos, les salons, les librairies, tous ces lieux de rencontre qui rendent le livre vivant et contribuent à son partage. Mais comme nous devons rester responsables, ce ne sera pas demain que nous pourrons nous serrer la pince ni même nous claquer la bise, gestes barrières obligent.
Certains auteurs deviennent des amis, des amis des mots à tout le moins, de la pensée, de l’émotion, et je les remercie de tous ceux écrits de leurs mains sur les premières pages, qui me font tant plaisir à lire et rendent l’objet unique.
Ma première pensée est pour Maxime d’Aboville. Qui ne connait pas ce comédien hors pair est incité plus que vivement à réserver son billet lors de sa prochaine représentation. Je crois pouvoir dire l’avoir suivi dès ses débuts, grâce à son adorable femme avec qui je chantais dans une chorale il y a déjà quelques années et qui était son meilleur agent. J’avoue avoir été impressionnée de l’admiration et de l’enthousiasme qu’elle lui portait, ne ménageant pas sa peine sur les réseaux sociaux pour le faire connaître, et elle avait bien raison car c’est vraiment un comédien exceptionnel. Les années sont passées et le talent n’a pas faibli bien au contraire. Dans un registre qui lui est propre, Maxime s’est aussi fait connaître pour ses Leçons d’histoires. Mes enfants, bien que petits à l’époque, se souviennent de la poule au pot d’Henri IV grâce à lui, et rêveraient encore aujourd’hui d’avoir un prof d’histoire à son image. Elle reviendrait vite à grand pas la fierté nationale par la petite et la grande Histoire qui a façonné notre pays. Point n’est besoin de tout aimer, ni même de tout cautionner : juste regarder, écouter, lire avec bienveillance, truculence, compréhension et intelligence, déceler le génie et comprendre les courants de l’histoire qui ont forgé la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui. C’est dans cet état d’esprit que Maxime d’Aboville convoquent les illustres plumes du XIXème siècles (Dumas, Victor Hugo, Michelet, Lamartine) pour sa troisième leçon d’histoire de France consacrée à la Révolution. Une grande fresque, nichée dans un petit opuscule préfacé par Sylvain Tesson qui n’attend que d’être jouée sur scène, se dévoile, ne cachant ni les grandeurs de la Révolution ni ses dévoiements, ni ses idéaux ni ses cruautés. Grands discours, empoignades, bains de sang, têtes coupées : aux grands idéaux, les grands moyens. Le pari est ambitieux, car on l’admire la Révolution ou on la déteste, mais le pari est réussi : on vibre, on s’exalte, on est terrorisé, on pleure.
Ma seconde pensée est pour eMmA MessanA qui m’a fait le cadeau de suivre mon blog et d’y laisser souvent de très jolis commentaires. EMmA a accompagné sa maman pendant deux ans, jusqu’à son dernier souffle, et elle a posé des mots et des collages sur ce qui fut une longue attente, un fil d’amour continu qui servit à coudre une toile de souvenirs, de silences, de gestes posés. « Brodées de caresses aux couleurs lumineuses, deux âmes se consolent l’une de l’autre dans une aquarelle bleu outre-mère… » écrit Yves Duteil dans la préface de ce recueil intitulé Transpositions hasardeuses.
De brefs poèmes illustrés de ses collages interrogent le temps, sondent l’indicible, guettent un sourire, une main, disent le chagrin et l’attente, la sérénité aussi. Les plus petits souvenirs sont convoqués à ce banquet final, un bijou, un parfum, un cake de l’enfance, et racontent une vie croisée, celle d’une mère, celle d’une fille… Pudeur et profondeur se mêlent dans ce très bel ouvrage qui est à la fois art et poésie.
Je poursuis avec mon cher Emmanuel Godo que je ne présente plus pour l’avoir plusieurs fois chroniqué sur ce blog. Il est prolifique pour notre plus grand bonheur et sort La mort ? non l’amour comme dernier opus à sa trilogie comprenant Ne fuis pas ta tristesse et Mais quel visage a ta joie ?
L’amour, la joie, la tristesse : Emmanuel Godo est dans l’intime, dans la vie, le sens de la vie plus exactement. Rien de révolutionnaire mais justement, il ne détruit rien, il construit, il édifie, à partir de rien, de petits riens qui forment un tout, un immense tout qui libère, aère, en puisant dans le grenier de sa vie et en le retranscrivant dans une quête insatiable de se sentir vivant. Ce livre est un peu comme un testament, pour ses filles, pour nous tous finalement, où il lègue un antidote puissant contre la peur de mourir : savoir vivre, se réveiller, laisser s’embraser les feux que nous laissons couver, car « c’est du plus grand amour qui soit que nos vies veulent s’enflammer ». Emmanuel Godo nous livre de très belles pages, très personnelles, sur l’amour de la mère, l’amour- passion, l’amour en tant que père, l’amour de tous ceux qui ont croisé nos chemins. Un livre magnifique qui donne une furieuse envie de rajouter des mots à ses mots pour en faire un testament infini.
Hospitalités des gouffres de Réginald Gaillard a un titre quasi prophétique. Recueil de poésies publié aux Editions Ad Solem qui flirte avec les abymes, les cordes de funambules, les angoisses, les solitudes qu’il convient d’habiter, d’apprivoiser en attendant la grâce qui viendra nous en extraire. Jean-Yves Masson, dans la très belle préface qu’il lui consacre, écrit : « la poésie de Réginald Gaillard m’est proche parce qu’elle ne renonce ni au combat, ni à la beauté. » Une mise à nu hospitalière qui rejoindra les gouffres des frères d’armes des mêmes guerres.
Je finis ce billet avec Bascule (s) de Pauline Olphe-Galliard qui a eu la délicatesse de m’envoyer son premier roman avec une dédicace qui m’a beaucoup touchée. Je dis bien délicatesse car il en faut je crois pour envoyer ses écrits à une parfaite inconnue dont les chroniques pouvaient certes lui plaire mais qui n’a ni la casquette d’un éditeur ni le chapeau d’un critique littéraire. J’ai lu le livre dès sa réception il y a déjà plusieurs semaines et c’est vraiment un très joli roman autour des ressorts inconscients qui conditionnent une vie. Une chose est sûre : ce livre vous donne une furieuse envie d’aller en Provence.
« Faire des concessions ? oui c’est un point de vue – mais sur un cimetière » disait Sacha Guitry.
En attendant donc notre épitaphe, notre « ci-git », soyons responsables mais…. sans concession.
Les livres, oui les livres pour poursuivre une aventure, celle ô combien
riche et passionnante du quotidien.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à un monde devenu « fou », et ceux
qui ne sont pas dociles deviennent « complotistes ». Triste saison.
Les livres pour respirer et voir dans la demi-lumière du quotidien.
Merci aux auteurs de vrais textes.
Magnifique billet que j’ai partagé sur FB. Merci chère Elvire.
Oh, merci à vous
De séances de dédicaces annulées en salons du livre reportés, rendez-vous en médiathèque impossibles, lectures inimaginables, je craignais que mon livre ne se réduise à l’état de mort-né. Eh bien, je m’étais à peine trompée car je l’avoue et je confirme, cette période n’aura pas été la plus favorable pour faire connaître un livre en payant de sa personne physiquement.
Pourtant, le difficile post-partum me semble prendre des allures de renaissance à la lecture de votre bien sympathique article dont je vous remercie infiniment.
Grâce à vous, à votre belle et sensible lecture de Transpositions hasardeuses, vous avez ce soir insufflé de la vie entre ses pages.
Je vous envoie de l’amitié.
eMmA
Elle vire au rouge, elle bouillonne elle manie l’ironie mais Elvire reste Elvire. Une lectrice passionnée et passionnante