J’ai bien souvent de la peine avec Dieu

Correspondance entre Marie Noël et l’Abbé Mugnier (1918-1944)

«  Monsieur l’Abbé, rencontrant l’Index, je me suis inclinée là plus bas qu’ailleurs avec une crainte religieuse et la terrible question est que je n’arrive pas à concilier ensemble mon amour des lettres et les exigences de ma foi (…). Dois-je forcer tous mes scrupules, au risque de laisser pénétrer et demeurer dans mon esprit quelque impression malsaine, quelque idée inquiétante dont j’ai bien de la peine à me délivrer ensuite et à laquelle je crains parfois de m’accoutumer trop et de me plaire ?

Mademoiselle, je veux que vous restiez catholique, mais une catholique rayonnante, joyeuse, s’il est possible, et trouvant dans sa foi l’aide, l’élan et non l’obstacle. (…) Vous voulez vivre mais vous avez peur de vivre. Considérez la Religion comme une source de vie. Votre esprit est toujours en conflit avec une certaine conception, morale, religieuse, dont vous ne vous êtes pas affranchie. Vivez au jour le jour et ne vous posez pas toutes ces questions subtiles. Vous réfléchissez trop avec la raison. »

Ces quelques lignent résument assez bien le ton et la tonalité de l’abondante correspondance qui débuta en 1918 entre Marie-Noël et l’Abbé Mugnier, jusqu’à la mort de ce dernier en 1944.

Elle avait 35 ans, il en avait 65.

En mars 2017, l’assemblée des évêques a voté l’ouverture de la cause, en vue d’une éventuelle béatification, de Marie-Mélanie Rouget, alias Marie-Noël. A cette occasion, les éditions du Cerf ont effectué un travail exigeant en regroupant l’intégralité de cette correspondance, soit plus de deux cents lettres.

De cette relation épistolaire qui oscille régulièrement entre confession, doute, d’un côté et accompagnement spirituel, soutien, de l’autre, est née une amitié profonde, presque surprenante, lorsqu’on songe que Marie Noël voyageait très peu, n’a jamais quitté sa ville natale d’Auxerre, a consacré sa vie à s’occuper des autres et notamment de sa mère, alors que l’Abbé Mugnier était considéré comme le confesseur du tout-Paris, voué « au culte des âmes et des lettres » disait de lui Paul Valéry, célèbre pour avoir participé activement à la vie mondaine et littéraire parisienne.

Mais autant la vie de l’Abbé Mugnier est à peine évoquée dans ses lettres, souvent concises et soucieuses de répondre aux interrogations soulevées, autant Marie Noël le gratifie de missives abondantes au sein desquelles elle expose en maintes occasions sa vie quotidienne, ses tourments intérieurs, ses combats spirituels, « sa peine avec Dieu ».

Cet échange intime entre deux êtres qui se sont aimés, compris et respectés pendant presque trente ans et qui n’est pas particulièrement de grande envolée littéraire, pourrait n’intéresser que les inconditionnels de la poétesse, avides d’en connaître davantage sur sa personnalité.

Et pourtant, pour ma pomme qui n’a quasiment rien lu de l’œuvre de Marie Noël, et ne la connait donc pas sous ce prisme, j’ai lu cet ouvrage comme un roman, non pas l’histoire d’une vie car ce n’est pas vraiment une biographie, mais l’histoire d’une âme et sous cet angle, cette correspondance est remarquable.

L’Abbé Mugnier lui indiquera d’emblée que ce qu’il lui écrira sera pour elle seule, la direction des âmes étant chose individuelle. Et de fait, ô combien il saura sans cesse et sans relâche l’encourager, aussi bien dans son œuvre de création, que dans la fortification de son être, tout entier pris de doutes, de craintes et de peurs, de souffrances aussi bien physiques et morales. Souvent en proie à une dualité de son être qui la tiraille sans cesse entre joie simple et quasi enfantine, envie de lire et d’écrire, de s’isoler, ses inspirations poétiques, et sa crainte d’être hors Religion, une chrétienne sans foi, son incompréhension du Mal, la charge pesante de s’occuper de ses proches, la peur de son succès et d’être exposée, elle trouvera dans l’Abbé Mugnier le réconfort moral, voire même le quitus pour accepter d’être ce qu’elle est, de vivre ses aspirations profondes, de prendre les décisions qu’elles croient justes, d’avoir confiance en elle et en son jugement, d’exercer sa liberté tout simplement.

« J’ai une foi si peu sûre que je crains de l’aller perdre en leur compagnie… je veux dire d’être ébranlée par leur talent et par la valeur de leur pensée sur quelque point vital où j’ai déjà bien du mal à garder mes fidélités. Chaque fois qu’une sympathie sincère s’approche de moi, c’est le même saisissement, le même étonnement d’une bonté pour moi, la même infinie gratitude. Il suffirait que demain tel ou tel de mes amis soit avec moi un peu plus tendre que d’habitude pour que j’en perde aussitôt le cœur et la tête. Les gens qui ont lu mes livres me croient une âme pure et fidèle. Il y en a qui m’ont demandé de prier pour eux. Mais tout ce qu’ils trouvent en moi pour nourrir leur foi, moi je ne l’ai plus. Mes pensées se sont mises à faire du bien en dehors de moi. Cela m’est affreusement pénible, me fait peur. J’ai un nid de guêpes au-dedans – j’empêche les guêpes de sortir et de piquer les gens mais c’est à moi qu’elles font mal ».

L’œuvre de Marie Noël connut un grand succès et reçut de nombreux prix et gratifications. Elle-même fut souvent sollicitée pour appartenir à des Académies, Ligues et organisations diverses et variées. Elle refusa la plupart du temps, de peur d’en perdre sa liberté et devoir entrer dans un cadre auquel son être profond se rebiffait.

Cette dissension intérieure, qui s’apaisa avec le temps mais ne la quitta jamais tout à fait, témoigne de son incroyable envie de vivre à pleins poumons sans contrainte ni frein institutionnels, littéraires ou spirituels, confrontée sans cesse à la crainte de ne pas être légitime dans ses écrits ou d’aller contre des prescriptions cléricales ou enseignements religieux dont elle ne pouvait discerner l’intention raisonnable. Elle connut de grandes nuits de la foi qui inspirèrent ses plus beaux poèmes selon l’Abbé Mugnier et la rendirent si proche de tous ceux qui, même incroyants, sont dotés de cette même sensibilité d’où jaillit une grâce que d’aucuns, souvent étroits du cœur, rejetteraient sans même un regard.

« Mademoiselle, votre lettre contient tous les Mystères du Rosaire, joyeux, douloureux, glorieux. Je l’égrène au pied de la crèche à côté de vous. Si je redevenais jeune prêtre, c’est vous que j’irais consulter pour faire plus de bien et avec plus d’intelligence. Je voudrais que le monde catholique fût à vos pieds. Il y sera un jour quand il aura compris que le beau est inséparable du vrai et du bien. Il faut se placer en dehors de tous les raisonnements humains, s’élever dans cette sphère intérieure où, si rien ne vous est expliqué rigoureusement, du moins on éprouve la vertu d’espérance. »

Marie Noël est une figure qui parlera à tous ceux qui sont aux proies de cette même dualité dont la forme la plus extrême s’apparente presque à de la désespérance et nourrit le sentiment ne pas avoir sa place dans ce monde qui les blesse sans fin.

Laisser palpiter dans ses veines ce qui est cependant source de vie, sans chercher à vouloir séparer l’ivraie du bon grain en vain, sans se laisser désorienter comme un pantin sans boussole par ce qui n’atteint pas immédiatement le compréhensible à notre échelle humaine ou nous heurte par un dogmatisme qui nous enferme et nous freine, et en tirer une source de lumière qui nous échappe : tel est ce que lui a insufflé l’Abbé Mugnier dans ses lettres, et telle est la leçon de vie qui continue de s’appliquer à tous ceux qui se reconnaitront dans ce portrait d’âme.

4 réponses
  1. Annick Rousseau
    Annick Rousseau dit :

    Après la lecture de la correspondance de Marie Noël et de l’Abbé Mugnier

    J’ai plongé ds les textes superbes et vibrants qu’elle a érits à sa demande explicite

    LE JUGEMENT pourrait,d’une certaine façon s’intituler CONFESSIONS.

    D’AVANT EN ARRIÈRE, c’est l’épanchement si bien ordonné d’une âme en vérité.

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  2. Dom-Dom
    Dom-Dom dit :

    Encore un bien beau billet… La désespérance au regard de ce que nous sommes ou vivons est une tentation permanente. Et pourtant telle n’est pas notre vocation qui, bien au contraire, doit nous entrainer vers la joie profonde.

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  3. Gustave
    Gustave dit :

    Compris aimés et respectés pendant plus de 30 ans…c’est un chemin que je parcourrais avec vous. Le conditionnel est en trop chère Elvire.
    Votre regard sur le monde, la vie, la foi éclairent si intensément la petite route que j’arpente avec grâce, à vos côtés depuis 6 ans. Merci Elvire

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