La passion de Thérèse d’Avila de Christiane Rancé

« Je découvrais enfin une sainte à mon goût, conquérante et aventureuse. (…). J’entendais ce pays (l’Espagne) comme l’une des plus hautes et des plus secrètes données de la vie spirituelle : les mystiques y tiennent lieu de philosophes et la poésie nourrit la théologie. (…) J’eus la certitude que ce pays avait été créé à la seule fin d’y louer la gloire de Dieu dans ce qu’elle a de plus déraisonnable et selon une idée supérieure et absolue, dont le génie catholique espagnole serait l’exaltation. »

Découvrir Thérèse d’Avila sous la plume de Christiane Rancé est un enchantement.

Christiane Rancé déploie tout son talent, son érudition et sa sensibilité pour nous immerger dans l’Espagne du XVIème siècle, alors première puissance politique de l’Europe, à la tête d’un empire grâce à l’or des Indes, l’Espagne des Hidalgos, des grands écrivains, des peintres, d’une culture qui irradie, Siècle d’or où la vie monastique est devenue un enjeu politique après la Reconquista des derniers territoires occupés par les Maures, l’Inquisition et surtout face à la montée du protestantisme de Luther.

Dans un désir de faire rayonner le catholicisme, religion et pouvoir n’hésiteront pas à s’unir pour encourager les femmes à prendre le voile et à viser la sainteté.

Pour Thérèse, dotée d’une soif d’absolue qu’elle mettra des années à combler, il est probable que la vergüenza (l’honneur, la quintessence de la vertu) et le souci du salut de son âme la pousseront à entrer au Carmel à 22 ans.

Elle se sent certes appelée à la vie monastique mais demeure cependant attachée à mille futilités, à des amitiés ambiguës, à de longues heures de discussion au parloir, et elle souffrira de cet entre-deux, ne jouissant ni de Dieu ni des plaisirs de ce monde, incapable de se défaire de ses attirances mondaines venant troubler sa relation totale à Dieu.

Il lui fallut attendre ses 39 ans avant d’expérimenter la connaissance intime de Dieu, face à un Christ couvert de plaie exposé dans l’Oratoire, et de vivre dans la plénitude absolue ce commerce d’amitié avec Dieu qu’elle appelait oraison. « C’est alors que je n’espérais plus rien de moi-même, j’attendais tout de Dieu. » Foudroyée par l’humanité de Dieu au sein du mystère de l’Incarnation, elle n’aura de cesse d’insister sur la proximité de Dieu à travers son Fils qui, en devenant Homme, permet cette forme sublime de l’amour humain : l’amitié. Son génie spirituel réside ainsi dans ce Dieu ami, ce Dieu proche, cette amitié qui ne consiste pas seulement à Le connaître mais à vivre avec Lui et se laisser inonder par sa Grâce, à Le laisser demeurer dans le centre de son âme, celui qu’elle appelle le centre des demeures de son château intérieur. L’Amour, vertu théologale par excellence : aimer et désirer être aimée de toute son âme, de façon ardente et radicale.

Le Père Ibanez, dominicain chargé à l’époque d’observer les « états » de Thérèse, écrira à son propos : « Dieu lui a donné un courage si extraordinaire que cela étonne. Elle ne fait montre d’aucune minauderie ni enfantillage propre aux femmes. Elle est d’une grande droiture ». Christiane Rancé la décrit « maternelle dans ses attentions, juvénile dans ses enthousiasmes, virile dans sa détermination ». Dotée d’une grande pureté d’âme, elle touche ceux qui l’approchent par sa manière de vivre et les entraine aisément dans son sillage. Jolie, elle plait et sait s’en servir car elle aime convaincre et hisser ceux qu’elle aime vers ce qui lui semble le meilleur. Grande mystique, ses extases l’irradient et la vie divine qui s’épanouit en elle lui procure sur le monde un regard souverain, joyeux, non dénué d’humour caustique, et sa finesse d’esprit la conduit vers des êtres en qui elle se sent en confiance, en amitié profonde. Nous ne pouvons pas ne pas citer ici Saint Jean de la Croix, de 27 ans son cadet, qui réformera de son côté le Carmel masculin.

En 1562, à 47 ans, elle obtient de Rome l’autorisation d’ouvrir son premier couvent selon la règle carmélite des « déchaussées », plus stricte que celle dite de la « mitigation » alors en vigueur : vie entièrement consacrée à la prière, clôture définitive et dénuement total. Elle en fondera seize autres en s’attachant à réformer, non pas seulement les règles, mais également les esprits empêtrés par les préjugés, les règles sociales, la morale, les a priori de classe et de richesses de telle sorte que leur liberté de conscience soit entière et l’engagement total, et la vie en communauté fraternelle, par et avec le Christ.

Première femme proclamée docteur de l’Eglise en 1970 par Paul VI, la personnalité de Thérèse d’Avila reste une référence pour de nombreux croyants et non croyants, et parmi eux, des femmes telles que Simonne de Beauvoir ou Marguerite Yourcenar.

Une femme de poigne, une femme de caractère, une passionnée et une grande amoureuse du Christ qui, en dépit d’un état de santé déplorable, conservait une détermination à soulever les montagnes.

Une femme exceptionnelle, érigeant l’Amitié sous toutes ses formes presque en dogme, ayant compris qu’il ne servait à rien de s’opposer mais qu’il valait mieux « dominer » par une plus grande liberté intérieure. Elle mourra à 67 ans.

En connaître quelques grands traits ne me l’avaient rendue nullement intime.

Je remercie donc du fond du cœur Christiane Rancé de ce remarquable portrait qui m’a fait toucher du doigt une femme comme je les admire et vibrer en profondeur à l’écho d’un cheminement intérieur si intense. La petite Thérèse de Lisieux m’était bien plus familière mais je me réjouis grandement de découvrir Thérèse d’Avila à l’âge qui fut celui de sa grande rencontre avec le Christ.

Ce livre a obtenu en 2015 le prix de l’essai de l’Académie française.

« S’il vous arrive de tomber quelquefois, gardez-vous de perdre cœur ; armez-vous plutôt d’un nouveau courage pour continuer d’avancer, et croyez que Dieu saura faire tourner votre chute à l’avantage de votre âme ». Thérèse d’Avila

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je vous invite aussi à découvrir Christiane Rancé à travers ses  Carnets spirituels – En pleine lumière dont j’ai pu parler dans un précédent billet.

1 réponse
  1. Gustave
    Gustave dit :

    Je ne suis pas surpris que ce genre de caractère te touche,  » te parle »…, je dirais même que j’y vois une parenté. Elvire Thérèse Debord, à la personnalité d’une infinie richesse, au tempérament fougueux, aux convictions et croyances affirmées…, dans les pas d’une Sainte Thérèse d’Avila. Magnifique billet

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