Rimbaud de Stéphane Barsacq

Celui-là qui créera Dieu

« On s’étonne parfois qu’un homme si jeune que Rimbaud soit allé si loin, alors que c’est sans doute le plus faible de ses paradoxes : la jeunesse est un génie. Il est plus difficile de survivre à l’âge mûr, que de mourir adolescent par suite des excès de son âge. Rimbaud s’échappe dans la légèreté, l’insolence et la liberté, grâce à son sens de la gravité. C’est que, pour lui, la poésie n’est pas un amusement : elle est une action violente dirigée contre la violence du monde, et d’abord une expérience de tout l’être. Rimbaud est sans doute le premier en France qui ait rendu à la Poésie son culte véritable. Pour Rimbaud, l’aventure a-t-elle été de tenter de rêver au-delà du paradis perdu, et d’en créer un nouveau qui intègre toute la création, qui rejette la morale, au nom de la morale suprême : la poésie. »

Mon cher H.,

Tu t’interroges voire t’inquiètes régulièrement sur mes inclinations non dissimulées envers des êtres dont la vocation est rarement dénuée d’exigence et de radicalité, toujours en quête de vérité, de liberté, de foi, de Dieu. Il est vrai que mon blog laisse une large place aux prêtres, saints, chartreux, philosophes, essayistes ou femmes dont la pensée et la vie ont pu me saisir. Il est plus rare d’y voir figurer des poètes. Peut-être et fort probablement parce que je les connais peu, et que les radicalités orientées me parlent davantage que la soif d’absolu désorientée dont Rimbaud ne fut pas dépourvu, fusse son verbe porté au plus haut. Il fallait que son nom s’inscrive sur un livre de Stéphane Barsacq pour que je me penche sur ce génie de la poésie, car dès les premières lignes, il est difficile de ne pas tomber sous le charme de cette « rumination orientée par l’amour qui ne se substitue pas à l’être aimé », de ne pas être touché par cette envie de « rendre à ce rebelle la part la plus radicale de son être, cette volonté de dire non, pour dire oui, même si autrement : par charité. »

Je souris car Rimbaud, présenté souvent et hâtivement comme athée, pouvait tomber aisément dans ton giron en éludant les aspects religieux mais que nenni ! « Derrière les athées, combien d’êtres qui veulent Dieu avec une ardeur telle qu’à moins de Dieu lui-même ils ne veulent rien », et où l’on découvre que Rimbaud, dans ce balancement entre espoir et désastre, a élevé la poésie au rang d’une mystique en elle-même.

En refermant ce livre, me vient l’image d’une étoile filante, de celle qui brille de mille feux puis disparait fugacement. Et pourtant… en touchant du doigt l’invisible et l’ineffable, Rimbaud demeure éternel, en refusant de se soumettre à la fatalité, il s’est forgé un destin.

Une figure qui devrait te toucher assurément, portée par une écriture de haute volée.

E.

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Très chère Elvire,

Quand tu m’as invité à lire un livre sur Rimbaud, qui incarne pour moi des souvenirs de lycéens, d’émotions disséquées de longues heures sur son langage unique, la force de sa poésie inclassable, j’ai saisi l’ouvrage à pleines mains, sûr de tes choix, inquiet néanmoins d’y trouver la place de Dieu en seul questionnement, avec la peur d’y voir réduite ou salie ce qu’on sait de la relation qu’il vécut avec Verlaine. Quelle erreur…

Stéphane Barsacq, dans un petit livre de seulement 130 pages nous cueille dès l’entame par l’admiration, la modestie qu’il met à tenter de percer l’immense poète, avide de l’amour de la “liberté de la liberté”, en n’éludant aucun tabou, disséquant avec nombre d’extraits de ses œuvres l’immensité de la complexité de ce génie.

Si le livre commence bien par la “conversion” de Rimbaud sur son lit de mort, acceptant la confession, l’auteur nous invite à replacer avec modestie et un regard objectif son parcours dans cette fin du 19ème siècle, son histoire d’amour avec Verlaine, sa vie de provincial débarquant à Paris, ses excès, sa relation aux hommes et à Dieu, impossible à classer dans une case…

S’en suit un voyage où au fil des pages on s’immerge dans cette époque, on observe ce jeune homme si mature en fait, on vit sa vie au travers d’anecdotes, de récits. On est Rimbaud, sans aucune complaisance ou jugement sur sa courte vie dissolue, mais si construite, si pleine de sens.

Cet ouvrage est remarquable par cette immersion historique, qui m’a fait voir Rimbaud, autrement.

Au-delà de l’auteur immense qu’est le poète on y décèle le sens qu’il a de la vie, avec ses contradictions ses questionnements sur la société des hommes, Dieu, l’amour.

Loin de nous enfermer dans une vision moraliste du parcours de Rimbaud, Stéphane Barsacq dans un petit livre dense et érudit nous guide sur la compréhension de ce génie qui est allé au bout de ses limites, libre comme nous devrions tous tacher de l’être.

Un ouvrage de grande qualité, qui se dévore.

Un parfum de souffre et de liberté.

Merci mon Elvire pour ce choix, une fois de plus, éclairé et éclairant.

H.

 

Stéphane Barsacq, né en 1972, grandit à Moscou dans une famille aux ramifications russes et françaises. Il a publié Johannes Brahms (Actes Sud), François d’Assise, La joie parfaite (Seuil), Simone Weil, Le ravissement de la raison (Seuil), Cioran, Ejaculations mystiques (Seuil), Rimbaud, Celui-là qui créera Dieu (Seuil) et Mystica (Corlevour). Son roman Le piano dans l’éducation des jeunes filles (Albin Michel) a reçu le prix Roland de Jouvenel décerné par l’Académie française en 2016.

 

2 réponses
  1. ANONYME
    ANONYME dit :

    Votre regard si fin, votre intelligence sans fin sont un ravissement chère Elvire. Vous lire élève, cultive, grandit. En un mot comme en tant d’autres, merci.

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